La Chronique Agora

Le plus gros risque pour l’euro

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Même si aucun pays ne décide de sortir de la zone euro, la monnaie unique survivra-t-elle à ses dysfonctionnements ?

Nous parlions hier des problèmes politiques qui, en France, pourraient amener à la fin de l’euro et un retour au franc. Parmi ces problèmes, nous avons notamment relevé le risque d’une résurgence des « démons de 1981 », c’est-à-dire de la tendance à augmenter la dépense publique sociale sans pour autant améliorer la qualité des services publiques.

Un autre risque, français mais pas seulement, est celui du risque de remise en cause des institutions européennes, qui signifierait la sortie de la France de l’UE. Même si les partisans du Frexit ne sont pas aussi nombreux actuellement qu’il y a quelques années, cette option doit être prise en compte. Avec elle viendrait un important risque de défaut sur la dette d’Etat libellée en euro, ainsi qu’un potentiel krach de l’assurance vie, fortement investie dans la dette d’Etat.

Un troisième risque bien français existe qui peut sembler tout aussi invraisemblable, mais a ses partisans.

Une dette « illégitime »

Ce courant met en avant l’illégitimité et l’illégalité de certaines dettes publiques accumulées. Il s’appuie sur l’audit réalisé par des experts internationaux en 2012 sur la dette grecque, qui avait conclu que « la Grèce ne devrait pas payer cette dette illégale, illégitime et odieuse ».

Ce rapport, présenté au Parlement grec, avait détaillé la mise en place des deux plans de sauvetage du pays, en 2010 et en 2011-2012. Ceux-ci prévoyaient 240 Mds€ de prêts jugés illégitimes, car liés à des mesures économiques et sociales qui n’ont pas été utilisées au bénéfice de la population, mais pour sauver les créanciers privés de la Grèce.

Bien entendu, on imagine l’exploitation qui peut être faite partout dans le monde de ce type de démarche. En termes de conséquences, ce serait aussi catastrophique que pour le Frexit, à la différence près que toute la dette publique resterait libellée en euro.

Ce serait aussi catastrophique puisque cette posture revient à faire défaut sur tout ou partie de la dette publique avec les deux crises majeures suivantes. D’un côté, la fermeture de l’accès aux marchés de capitaux pour refinancer sa dette publique (donc entre autres pour payer les fonctionnaires et financer la protection sociale). Puis, de l’autre, une crise de l’assurance vie et la paupérisation des classes moyennes (les revendications d’aujourd’hui pour préserver son pouvoir d’achat seraient alors considérées comme ridicules par rapport à ces dangers potentiels).

Comment objectivement évaluer ces trois risques et leur matérialité quant à la survie de la monnaie unique ? Le pire pour l’euro serait effectivement que la France y renonce (que l’on appelle ceci Frexit ou autre chose, peu importe).

Et, pour que la France y renonce, il faudrait une majorité politique (exécutif, législatif) s’inscrivant dans tout ou partie de ces trois dogmes (pour employer un terme neutre et convenable) : le retour à 1981 plus la remise en cause de l’UE plus le courant de la dette dite illégitime.

Rentrer dans le rang

Le « malheur » (ceci n’engage que moi), c’est que beaucoup de nouveaux députés se retrouvent dans ces camps. Mais à ce stade, ce risque d’implosion de la zone euro (à cause du risque politique français) me semble très faible.

Non seulement il faut une solide majorité politique pour cela (donc une majorité de Français, quels que soient les modes de scrutin et les taux de participation). Mais aussi, et surtout, quand bien même cette majorité existerait, encore faut-il que celle-ci affronte le principe de réalité.

Tous les gouvernements et même des oppositions qui avaient des velléités de se mettre en congé de la zone euro ont finalement tous fait machine arrière (non pas parce qu’un supposé complot mondialiste ou européiste ou une espèce de main invisible seraient venus les menacer, mais tout simplement parce qu’ils comprirent tardivement qu’on ne peut pas transgresser les lois économiques sans dommages).

Ce fut le cas en Grèce en 2015, mais aussi pour une partie de l’opposition française favorable au Frexit depuis 2017 et en Italie en 2018. De plus, si l’extrême droite anti-euro arrive au pouvoir en septembre 2022 en Italie, elle ne devrait pas mettre longtemps avant de rentrer dans le rang. Ce qui ne serait pas de la soumission et renoncer à son indépendance, mais simplement accepter un peu plus de discipline économique pour le bien collectif.

Dysfonctionnements

Si l’euro ne disparaît pas à cause de risques politiques majeurs dans un ou plusieurs grands pays de la zone euro, pourrait-il disparaître à cause des dysfonctionnements réels en matière de circulation optimale de liquidité et/ou de trop fortes hétérogénéités économiques entre pays ?

Ceux qui font intellectuellement et financièrement le pari de l’implosion de la zone euro depuis une bonne dizaine d’années font le parallèle avec la situation d’explosion du SME (système monétaire européen) en 1992-1993. Intellectuellement, la comparaison est tentante.

Il y a 30 ans, il était devenu insoutenable de faire vivre dans le même système monétaire la lutte contre l’inflation allemande née de la réunification allemande de 1990 (nécessitant des taux directeurs élevés) et la lutte contre le chômage des économies française et de celle des pays d’Europe du Sud (avec des remontées de taux directeurs par les banques centrales de ces pays pour que leurs monnaies nationales restent arrimées au deutschemark).

Pourtant, la spéculation n’a pas pu empêcher le SME de devenir en 1998 l’UEM (Union économique et monétaire), préfiguration de l’euro.

Aujourd’hui, le parallèle est fait de la manière suivante : il serait impossible de faire coexister dans la même union monétaire le modèle de spécialisation économique industrielle des pays d’Europe du Nord et celui d’Europe du Sud (France comprise) basé sur les services souvent non exportables.

Ce qui revient à constater que les pays du « Nord » ne font qu’accroître leurs excédents extérieurs et les pays du « Sud » leurs déficits (sauf à ce que ceux-ci mettent en place des politiques d’austérité aussi appelées dévaluations internes). Comme il n’y a pas d’union budgétaire de type fédéral similaire à celle des Etats-Unis qui permettrait d’institutionnaliser des transferts fiscaux du Nord vers le Sud, alors la zone Euro ne peut fonctionner normalement.

Dès lors, la zone euro ne fonctionne plus du tout comme une zone monétaire optimale depuis 2013, car les capitaux allemands ne sortent plus vraiment d’Allemagne pour aller financer les déficits des pays du sud de la zone.

D’un point de vue macroéconomique, les dysfonctionnements de cette zone monétaire – avec une absence de mobilité du capital à l’intérieur de la zone (les déficits des pays du sud n’étant plus financés par les excédents des pays du nord) – auraient déjà dû faire disparaître la zone euro. D’ailleurs, les plus farouches adversaires de l’euro ont depuis 10 ans affirmé et réaffirmé que le maintien de cette union monétaire était artificiel.

Ce n’était pas totalement faux d’un point de vue conceptuel, mais il arrive un moment où un artifice qui dure depuis plus de 10 ans doit provoquer des remises en cause. Sinon, c’est faire perdre trop d’argent aux traders et investisseurs petits, moyens et gros que de leur conseiller de parier sur la fin de l’euro. La spéculation (y compris celle des grosses BFI et gros hedge funds anglo-saxons) échouera toujours face à la force de frappe monétaire d’une banque centrale ou la force de frappe politique de gouvernements pris isolément ou regroupés dans des institutions européennes.

La suite au prochain article…

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