La Chronique Agora

Ne pleurez pas pour les banquiers centraux

Comment détruire une économie florissante ? Les États-Unis pourraient tirer des leçons de l’Argentine.

Hola ! Bienvenidos a Argentina !

Qu’avons-nous appris de ces deux mois passés dans un pays où l’inflation est de 100% ?

« La chose la plus surprenante, nous a dit un ami, « c’est que cela ne semble pas avoir d’importance. Les restaurants sont pleins. Les gens dépensent de l’argent. La vie continue. »

Notre chauffeur de taxi a exprimé le même sentiment.

« Oui, c’est un pays de fous. Mais nous avons de la bonne viande. De bons légumes. De jolies femmes. Et Messi. »

« Oui…, a-t-il poursuivi, après un moment de réflexion. C’est bien ici… mais seulement si vous avez des dollars. »

La loi de Gresham en action

Nous confirmons qu’une personne qui a des dollars en sa possession peut bien vivre dans la pampa. Pour notre dernière nuit à Buenos Aires, par exemple, nous sommes allés au très populaire restaurant Fervor, à Recoleta. L’endroit était bondé d’étrangers et de locaux. Ce n’est pas étonnant : la viande est l’une des meilleures que nous ayons jamais mangées. Et avec une bonne bouteille de vin de Mendoza, le repas, le service, l’ambiance, tout était presque parfait.

Un restaurant populaire dans une capitale est forcément cher. Comparé à notre repas à Salta, il était cher. Mais à 30 dollars par personne, comparé aux prix pratiqués à New York ou à Londres, c’était une affaire incroyable.

Et c’est vrai pour beaucoup de choses – pas pour les pièces de tracteur ! – dans la majeure partie du pays. Presque tout est bon marché… en dollars échangés au taux du marché noir.

C’est idéal pour les étrangers.

Mais ce n’est qu’un exemple d’une vérité plus large et plus universelle : les cas particuliers sont importants. Vous pouvez dire que « tous les chats sont pareils ». Mais la vie d’un chat de gouttière maigre de West Baltimore est très différente de celle d’un animal de compagnie choyé de la bourgeoisie de Harbor East. Et de la même façon, même dans un pays où l’inflation est de 100%, certaines personnes vivent très bien. De nombreux jeunes, par exemple, sont payés en dollars… ou en bitcoins. Les personnes plus âgées peuvent louer leurs appartements ou être en mesure d’augmenter les prix de leurs entreprises pour suivre l’inflation.

Presque tout le monde dépense des pesos et conserve des dollars. Les classes supérieures ont des investissements aux États-Unis et en Europe. Les classes inférieures achètent des briques et du mortier… aménagent des chambres d’amis et des garages, convaincus que, quoi qu’il arrive au peso, le béton sera toujours là. Le crédit étant presque impossible à obtenir, les bâtiments sont construits brique par brique, au fur et à mesure que les propriétaires dépensent leurs pesos supplémentaires.

Au taux d’inflation actuel, le prix des briques double chaque année.

Mais qu’en est-il des États-Unis ? C’est là que le regard porté sur l’Argentine peut nous aider à envisager l’avenir de l’Amérique. Ce que nous constatons, c’est que lorsque les pays s’enlisent dans l’inflation, celle-ci devient le cadet de leurs soucis.

Panem et Circenses

Malgré tout le bla-bla sur le sujet, il n’y a que deux possibilités qui s’offrent à nous. Soit les individus décident eux-mêmes de ce qu’ils veulent… et l’obtiennent en « votant » avec leur propre argent. Soit quelqu’un d’autre décide. Ce « quelqu’un d’autre » est toujours la grande gueule qui prétend agir de manière désintéressée au nom d’un bien plus grand… d’un bien commun – l’égalité, la sauvegarde de la planète, le triomphe du prolétariat….Deutschland Uber Alles… ou autre chose.

En Argentine, en 1919, Roque Saenz Pena, alors président de l’Argentine, pensait avoir fait un pas de géant pour l’humanité en soutenant le suffrage universel pour tous les hommes. Non seulement il leur a permis de voter, mais sa loi Saenz Pena a rendu le vote obligatoire. Quelques années plus tard, les femmes ont elles aussi été intégrées au système.

Les opposants affirmaient alors que les masses n’avaient pas l’éducation ou la sophistication nécessaires pour voter intelligemment. Ils avaient raison. Mais les pauvres savaient ce qu’ils voulaient. Et, en 1946, pour la première fois dans l’histoire de l’Argentine, un candidat a pu gagner la Casa Rosada (l’équivalent de la Maison-Blanche) en promettant de leur en donner davantage.

Juan Peron avait un sourire digne d’une publicité pour du dentifrice. Et il savait calculer. Il s’est rapidement rendu compte qu’il y avait plus d’électeurs pauvres que d’électeurs riches. Et leurs votes étaient relativement bon marché. La formule a connu un tel succès qu’elle a régné sur l’Argentine pendant les sept décennies suivantes, alors que le pays glissait vers le bas, passant de la 7e nation la plus riche de la planète… à la 86e !

Ce qui s’est passé n’est ni un mystère ni une surprise. Lorsque l’on offre des choses gratuites, il faut les payer d’une manière ou d’une autre. Peron a taxé les riches. Il a taxé les classes moyennes. Il a taxé les secteurs productifs de l’économie et a donné des cadeaux aux secteurs improductifs. La production a baissé. Mais la demande de produits gratuits n’a pas faibli. Et puis, la quantité de choses pouvant être taxées s’épuisant au fur et à mesure, les politiciens se sont tournés vers l’emprunt. Taxer, dépenser, emprunter, faire défaut, imprimer. Le pays a fait défaut neuf fois. En 2001, l’Argentine a fait défaut sur la plus grosse pile de dettes jamais contractée – 100 milliards de dollars.

Lorsque les prêts sont devenus caducs, les gauchos se sont tournés vers les escroqueries traditionnelles des désespérés du monde entier : la guerre et l’inflation. La première distrait le public, la seconde le dépouille.

En 1976, les généraux organisent un coup d’État militaire et prennent le pouvoir à la seconde épouse de Peron, Isabelita. En 1982, ils attaquent les îles Malouines. En 1989, l’inflation atteint 1 000%.

C’est alors que Carlos Menem a relancé le cycle. Le peso a été rattaché au dollar, à raison d’un pour un. Cela a encouragé les emprunteurs à emprunter et les prêteurs à prêter. Très vite, ils ont trop emprunté… et la parité peso/dollar a explosé. Les prix sont alors repartis à la hausse.

Lorsque nous sommes arrivés dans la pampa, le taux de change était de 1 pour 1 et Menem était à la Casa Rosada. Quelques années plus tard, au début des années 2000, le taux était passé à 3 pour 1. Cette année, nous avons obtenu près de 400 pesos pour un dollar.

Un cycle sans fin

Pourquoi les Argentins ne mettent-ils pas un terme au cycle dépenses-emprunts-défauts-inflation ? Parce qu’une fois qu’il est enclenché, le seul moyen d’y mettre fin est financièrement douloureux – avec la récession, la dépression, les faillites, le chômage, etc. Mais la véritable raison pour laquelle ce cycle se poursuit est qu’il devient presque impossible, politiquement, de l’arrêter. D’abord, les masses veulent des choses gratuites. Ensuite, elles dépendent de la gratuité. C’est pourquoi les États-Unis, où les « paiements de transfert » ont été multipliés par 290 depuis 1954, trouveront qu’il est presque impossible d’arrêter le cycle.

Mais ce qui est le plus charmant (et le plus loco) dans la finance argentine, c’est la façon dont les gens sont prêts à laisser le passé derrière eux. Oui, l’Argentine est un mauvais payeur en série. Mais cela n’a pas empêché le pays, en 2017, de vendre pour plus de 2 milliards de dollars d’obligations à 100 ans. Si l’on se fie à l’histoire, les investisseurs se feront éradiquer… non pas une fois, mais plusieurs fois, car le gouvernement fera défaut cinq fois avant l’échéance de ces obligations.

Que devons-nous donc retenir de cette expérience, de l’histoire de l’Argentine et de notre propre histoire avec ce pays au cours des 25 dernières années ?

Un système financier sujet à l’inflation et aux défaillances n’est pas la fin du monde. Mais il exige une attitude différente… moins de confiance et plus de prudence. L’argent pourrit plus vite qu’une banane mûre. Tout le monde se bat pour s’en débarrasser. Les gens ont l’impression de s’être fait arnaquer – et c’est le cas – et ils ne se sentent pas si mal d’arnaquer d’autres personnes.

Un chauffeur de taxi peut gonfler ses prix. Un restaurant peut vous rendre la mauvaise monnaie. Une entreprise peut vous facturer de manière incorrecte.

Et tout le monde peut tricher sur ses impôts. Presque toutes les grandes transactions comportent une part d’argent « noir » et une part d’argent « blanc ». Et puis il y a l’argent « bleu »… les dollars que vous obtenez en échangeant de l’argent au taux du marché libre ; vous ne voulez pas en avoir trop, de peur de devoir expliquer où vous les avez eus.

Chaque transaction nécessite des calculs rapides… et une comptabilité souple. Toute relation exige confiance… et vérification. Et chaque expérience s’accompagne d’une certaine ambiguïté… d’une fluidité morale et financière. C’est comme un pique-nique sur le flanc d’un volcan en activité : il faut se détendre pour en profiter…

… mais il faut être prêt à courir.

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