La Chronique Agora

Plein gaz vers un vrai changement d’époque ?

▪ Comme nous le supposions il y a de cela 15 jours, Abou Dhabi a volé à la dernière minute au secours de Nakheel PJSC (la filiale de Dubai World à l’origine du moratoire sur la dette de l’Emirat) en lui prêtant 10 milliards de dollars.

Pas question pour Cheikh Zayed, le président des Emirats, de laisser son prestigieux voisin –même trop dépensier et imprévoyant — subir l’humiliation d’un défaut de paiement comme l’Islande ou la Lettonie. Cela risque cependant de se payer d’un abaissement de notation supplémentaire pour la fédération des Emirats arabes unis car rien n’est réglé sur le fond.

Il reste à Dubai World 35 milliards de dollars d’obligations et de prêts à rembourser sur les deux prochaines années ; par ailleurs, les grands groupes semi-publics cotés à Dubaï ont accumulé à eux tous un endettement de 100 milliards de dollars.

Chronologiquement, Dubai Holding, le groupe appartenant à Cheikh Mohammed, l’émir de Dubaï, devra rembourser près de 1,9 milliard de dollars dès le premier semestre 2010. Pendant ce temps, les pertes s’accumulent : des cessions d’actifs apparaissent inévitables.

Plus globalement, les marchés s’interrogent sur l’ampleur et la nature des garanties exigées par Abou Dhabi en l’échange du soutien qui vient d’être accordé ce week-end. La perle du Golfe, la compagnie Emirates, ne devrait pas être concernée. Toutefois, beaucoup de programmes immobiliers qui n’ont pas trouvé preneur ou sont encore en cours d’achèvement devront être cédés.

Aux Etats-Unis, les promoteurs confrontés à l’intransigeance de leurs créanciers sont contraints de brader sans délai… Les entités gouvernementales de Dubaï semblent disposer de plus de temps, mais cela sera-t-il d’un grand secours si les prix continuent de chuter ? Au pire, ce pourrait n’être que reculer que pour mieux sauter !

▪ Dans le même, temps, l’Ukraine sollicite le déblocage d’urgence de deux milliards de dollars supplémentaires auprès du FMI pour surmonter une situation financière « extrêmement difficile ». Il s’agit d’une somme correspondant à environ un tiers du reliquat d’une enveloppe de 16,4 milliards de dollars de prêts. Cette enveloppe avait été accordée en novembre 2008 afin d’éviter une faillite retentissante qui aurait eu pour conséquence un nouvel arrêt des livraisons de gaz russe à l’Europe de l’Ouest.

Mais 10,6 milliards de dollars ont déjà été alloués pour que l’Ukraine puisse faire face à ses dépenses courantes — sans que la situation budgétaire du pays ait pu être rétablie.

Par ailleurs, lundi matin, l’Etat autrichien faisait savoir qu’il avait nationalisé la sixième banque du pays, Hypo Group Alpe Adria (HGAA), pour lui éviter la faillite. Une telle faillite aurait pu provoquer une crise systémique locale pouvant rapidement affecter d’autres banques européennes, notamment allemandes ou helvétiques.

Hypo Group Alpe Adria est très présente dans les Balkans. Cela laisse craindre que la situation économique soit demeurée très difficile dans les ex-républiques du sud de l’ex-Yougoslavie (tandis qu’elle passe déjà pour explosive en Hongrie et en Albanie).

Dubaï peut compter sur Abou Dhabi et son pétrole. Sur qui peut compter la Serbie ou la Macédoine ?

▪ Aux Etats-Unis, trois nouvelles banques qui ne pouvaient plus compter sur personne ont été fermées par la FDIC, ce qui porte le total annuel à 133. Un total supérieur à 140 devrait être atteint d’ici le 31 décembre, soit environ 12 par mois. Le rythme ne s’est pas ralenti de mars à décembre à mesure que Wall Street feignait de miser sur une embellie conjoncturelle alors que seul l’argent gratuit de la Fed l’intéresse.

Une nouvelle preuve de cette duplicité intellectuelle nous est offerte avec différents commentaires de stratèges de grandes banques et fonds d’investissement questionnés sur la teneur du prochain communiqué de la Fed en milieu de semaine.

Ils anticipent avec une réjouissante unanimité un diagnostic monétaire totalement neutre. Ils ne prévoient aucune modification sémantique susceptible de fournir le moindre indice concernant une inflexion de la politique d’assouplissement quantitatif, préfigurant une lointaine remontée graduelle du taux directeur… ce qui serait plus en accord avec une croissance de 3,5% à 3,9% attendue en fin d’année.

Le moindre mot de travers et la Fed risque de faire chuter les marchés !

▪ Ah bon ! Et nous qui vous reportons chaque semaine ou presque des discours faisant l’apologie de marchés inspirés par une croissance de 20% des bénéfices en 2010 et qui sont ancrés dans une tendance haussière quasi invincible… de quoi avons-nous l’air à présent ? Si la Fed change un seul adjectif, déplace maladroitement une virgule, les Bourses seraient acculées à effectuer le grand plongeon ?

Vous l’avez bien compris, il importe peu aux marchés que la Fed prenne des décisions économiquement pertinentes — aucun risque à ce sujet : Alan Greenspan nous a avoué que la Banque centrale ne sait pas ce qu’elle fait, d’où l’obscure clarté qui tombe de ses communiqués. Non, tout ce qui compte, c’est qu’elle ne fasse pas de zèle et s’abstienne de toute remarque pouvant entraîner une chute du Dow Jones d’ici vendredi.

En effet, la journée cruciale des « Quatre sorcières », qui clôture l’année pour une majorité de gérants, se profile d’ici trois séances. Les valeurs américaines abordent la dernière ligne droite à proximité de leurs sommets annuels.

L’essentiel en termes de performances est largement acquis ; le mois de décembre peut donc se terminer en roue libre. C’est déjà l’impression qui émanait de cette journée de lundi : le Dow Jones s’est contenté d’une progression de 0,3% mais cela lui a permis de passer la barre symbolique des 10 500, à 10 501 points.

Wall Street n’a pas cherché à pousser l’indice phare au-delà de son récent zénith des 10 516 points. En un ou deux clics sur un écran tactile relié à un logiciel de trading quantique, le Dow Jones peut prendre ou perdre 25 points en quelques secondes. Les programmateurs/manipulateurs d’indices se sont au contraire battus pour que cela n’arrive pas… et ils ont, sans grand suspense, obtenu gain de cause !

De la même façon, le Nasdaq Composite (+1%) a culminé à 2 212,5 points contre un zénith 2009 de 2 214,3 points début décembre ; un écart de 0,1% supplémentaire aurait suffi à établir un nouveau record. Il semble donc que le jeu consiste à contrôler tous les décalages de cours à la hausse comme la baisse — de façon à ce que les produits dérivés un peu « en dehors de la monnaie » (de type options ou warrants) expirent sans valeur vendredi. Les institutionnels s’offrent ainsi le beurre et l’argent du beurre.

Après trois mois de stagnation sous les 1 115 points sur le S&P, sous les 3 900 points sur le CAC 40 et sous les 2 200 points sur l’Eurotop 100, tous ceux qui jouaient l’émergence d’un mouvement directionnel se sont fait complètement plumer !

▪ Les motifs de pousser le cours vers des niveaux de « stop achat » ne manquaient pourtant pas. Il s’est en effet produit la plus grosse OPE de l’année, lancée par Exxon Mobil sur le groupe gazier indépendant XTO Energy : une opération sous forme d’échange de titres estimée à 41 milliards de dollars (dont 10 milliards de reprise de dettes).

Première capitalisation du Dow Jones, Exxon lâchait 4,3% suite à cette annonce et sa cible gagnait 14,5%… On est assez loin de la prime théorique de 25% offerte avant la reprise des cotations.

L’annonce d’une OPE ou d’une fusion/acquisition est toujours considérée comme un signe positif à Wall Street. La prime offerte, souvent généreuse, permet d’affirmer béatement que le marché est notoirement sous-évalué puis de miser sur les « banquiers conseil » qui engrangent pour l’occasion de juteuses commissions.

En l’occurrence, après l’OPA lancée par Warren Buffett pour 44 milliards de dollars sur le réseau ferroviaire Burlington Northern Santa Fe Corporation (BNSF), c’est la seconde opération de grande ampleur qui nous semble d’abord motivée par la recherche d’un placement alternatif au pétrole sur du moyen terme.

Un train peut tout aussi bien fonctionner à l’électricité nucléaire — comme en France — qu’à celle produite par une centrale thermique brûlant du gaz. Ceux qui arbitrent ce dernier au profit du pétrole depuis presque un an devraient y réfléchir à deux fois.

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