▪ Les agences de notation accueillent certes avec scepticisme le roll over à la française, mais les Grecs sont désormais fixés sur leur sort… si le plan de sauvetage n’est pas assimilé à un défaut de paiement partiel sur leur dette.
C’est Jean-Claude Juncker qui résume froidement la situation en diagnostiquant « une perte considérable de souveraineté du pays » au profit de l’Eurogroupe. N’oublions pas qu’il en est le président, et c’est donc lui qui orchestre en grande partie son sauvetage financier.
Au risque de réveiller de mauvais souvenirs, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker compare le futur sort de la Grèce à celui de l’Allemagne de l’Est au lendemain de la réunification qui a débuté en 1990. A la différence près que les Grecs ne se retrouveront pas du jour au lendemain les poches pleines d’une monnaie qui leur donne les moyens de refaire surface économiquement.
M. Junker ajoute que l’agence destinée à mener à bien les 50 milliards d’euros de privatisations instituées par le Parlement grec s’inspire de la Treuhand allemande. Ce système avait supervisé la restructuration et la migration de 14 000 entreprises est-allemandes vers le secteur privé de 1990 à 1994.
Il oublie de rappeler que cet effort s’était accompagné d’un durcissement de la politique monétaire allemande qui avait littéralement asphyxié la croissance chez ses partenaires économiques européens (notamment la France et l’Italie) pendant quatre ans.
Le processus de réunification s’était soldé par un krach obligataire début 1994, lorsque la Fed, fidèle à sa politique de laxisme monétaire — toujours au nom de la priorité accordée à la croissance suite à la récession de 1991 — s’était résolue à monter ses taux pour juguler le retour des tensions inflationnistes.
Chaque fois que les politiques monétaires européennes et américaines ont gravement divergé, cela s’est traduit par une catastrophe (1987, 1994, 2007) dans les mois qui ont suivi.
▪ La BCE devrait confirmer un deuxième tour de vis de 25 points de base (à 1,50%) à l’issue de sa prochaine réunion, qui se tient jeudi. Les dernières déclarations de J.-C. Trichet en milieu de semaine dernière ne laissent planer aucun doute à ce sujet.
Les marchés suivront attentivement la conférence de presse et la séance des questions-réponses qu’animera J.-C.Trichet pour l’avant-dernière fois de son mandat, avant de céder son fauteuil à Mario Draghi en octobre. La tonalité de son discours confirmera ou non l’hypothèse d’un troisième relèvement consécutif du taux directeur à la rentrée.
Si l’anticipation de taux directeurs européens à 2% d’ici fin 2011/début 2012 est la bonne, un différentiel de 190 points de base de part et d’autre de l’Atlantique apparaît intenable. Ceci sera d’autant plus vrai si les Etats-Unis continuent de s’exonérer de toute forme de discipline budgétaire crédible.
Qui voudrait détenir de la dette — et du dollar — qui rapporte zéro alors que le pays se comporte à peine mieux que la Grèce en termes d’efficience fiscale, d’équilibre budgétaire et de chômage ? La Grèce atteint les 17% et les Etats-Unis n’en sont guère éloignés selon des calculs moins hédonistes (et plus réalistes !) que ceux du département du Travail.
▪ La Fed a indiqué dans son dernier Livre Beige qu’elle ne planche actuellement sur aucune stratégie de retour à une politique monétaire classique. Même si nous sommes convaincu qu’elle doit bien y réfléchir « le matin en se rasant », son dernier message était qu’aucune date de remise en cause de l’ultra-laxisme en vigueur depuis deux ans n’était arrêtée.
La Fed connaît trop bien l’effet que l’annonce d’une raréfaction de la liquidité disponible aurait sur Wall Street. Les actions sont à ce jour la seule grande variable économique dont elle puisse orchestrer la croissance (de façon totalement « bullesque ») puisqu’il est avéré qu’elle ne parvient à relancer ni le marché immobilier, ni l’emploi, ni le PIB américain.
Les investisseurs sont à ce point convaincus que l’économie américaine ne peut se passer de l’opium de la planche à billets que le débat porte principalement sur le nom de la molécule de synthèse qui remplacera les principes actifs extraits de la sève du pavot.
On peut également s’interroger sur la forme que cela prendra. Exit les fumées entêtantes émanant de boulettes écrasées au fond d’une pipe (les quantitative easings), place aux patchs plus discrets ou aux comprimés effervescents (le breuvage ayant l’apparence d’un innocent verre d’eau gazeuse). Pourvu que l’effet soit le même, sinon encore plus puissant !
En attendant que le docteur Bernanke ait opté pour le bon dosage et le mode d’administration le plus commode, il faut continuer à discréditer l’euro pour assurer la survie du dollar en tant que monnaie de réserve quelques semaines ou quelques mois de plus.
Si les agences de notation ne parviennent pas à prononcer formellement une sentence de défaut partiel de la Grèce sur sa dette, il apparaît très facile d’agiter le chiffon rouge sur la dégradation de la note de l’Italie ou de l’Espagne ; et pourquoi ne pas s’en prendre à la Belgique qui se trouve dans l’impossibilité de rétablir ses finances, faute de gouvernement ?
Les euro-fédéralistes comme J.-C. Juncker ou J.-C. Trichet boivent du petit lait. La mise sous tutelle administrative de la Grèce pourrait bien servir de prélude à celle de la Belgique, de l’Italie ou de l’Espagne.
Les populations concernées ont beau se rebiffer — elles s’indignent déjà de façon très médiatisée — elles n’ont pas vraiment les moyens d’agir de manière efficace, surtout s’il n’y aucun gouvernement à sanctionner.
Les anciennes équipes politiques ont été enterrées par les urnes (Irlande, Portugal, Espagne). Les nouvelles ne peuvent qu’invoquer un héritage ingérable et réclamer la mansuétude de leurs créanciers.
Bruxelles qui tient le chéquier peut décider quel mode de soutien elle apporte au moment le plus opportun. C’est-à-dire quand tout semble perdu et que la population — à bout de nerfs — se résout à admettre qu’il n’y a pas de plan B, sauf à flanquer 50 ans de construction européenne par terre. Tout ce que nous venons de décrire nous promet de belles convulsions.
Wall Street fait peut-être déjà le calcul qu’une petite crise de confiance passagère pourrait faire avancer ses pions dans le sens qui lui convient, comme au début de l’été 2010 quand le scénario du double creux commençait à tétaniser les actionnaires et le Congrès US.
La dictature du « il faut faire quelque chose avant que cela ne tourne mal » rend acceptable n’importe quelle addiction à l’opium de la planche à billets.
▪ Dès que les marchés anticipent que leur sensation de manque va être calmée d’une manière ou d’une autre, il se produit le genre de phénomène auquel nous venons d’assister et qui est parfaitement symbolisé par l’Eurotop 100 (+0,22% ce lundi).
Il aligne une septième séance de hausse consécutive à 3 225 points, grâce principalement à la bonne tenue des valeurs cycliques, mais aussi et surtout grâce aux puissants algorithmes qui ont été réactivés au moment où les vendeurs se trouvaient empêchés de mettre à mal les supports moyen terme testés les 16 et 24 juin.
Les marchés ont donc bénéficié d’une sorte de flash par anticipation. Il s’agit d’un phénomène neurologique éphémère bien connu des spécialistes des substances hallucinogènes, assimilable à l’effet placebo. Mais s’ils ne reçoivent pas leur dose de molécules actives dans les minutes qui suivent, la descente est bien pire que la simple sensation de manque initiale.