Samedi passé, nous avons vu que les hautes figures de la France édition « start-up nation » frétillent à l’idée de ressusciter le Commissariat général au Plan. Voilà – s’il en fallait – une preuve supplémentaire qu’il est grand temps de dégonfler certaines de nos baudruches nationales.
Je vous propose de commencer par porter notre regard sur ce qui se déroule en Chine…
Pendant qu’en France, Emmanuel, Jean et François font mumuse, Jinping vient de balancer le Plan dans les poubelles de l’histoire économique chinoise
Vous n’en n’avez peut-être pas entendu parler mais, à l’autre bout du monde, il se passe des choses sérieuses en matière d’économie.
La Chine est en effet en train d’abandonner la planification de son économie – rien que ça.
Avec la modification de la Constitution de la république populaire de Chine intervenue en mars 2018, Xi Jinping peut théoriquement rester président à vie. S’il y a bien une chose que l’on peut en conclure, c’est qu’il a toute sa vie devant lui pour envisager les « problèmes inéluctables du temps long », comme dirait François Bayrou.
Or voici ce qu’il a déclaré au mois de mai 2020, soit un peu plus de six mois après le déclenchement de la pandémie de Covid-19 :
« Nous en sommes venus à la conclusion que nous ne devons pas ignorer l’aveuglement du marché, ni revenir à l’ancienne voie d’une économie planifiée. »
Il a ensuite réitéré la position du gouvernement chinois selon laquelle les marchés doivent jouer un « rôle décisif » dans l’économie, comme le rapporte Bloomberg via l’agence officielle Xinhua.
Pour le moment, la Chine reste bien sûr une économie presque complètement étatisée. Il n’en reste pas moins que les objectifs étatiques de croissance économique sont désormais une chose du passé, ce qui constitue un « Grand bond en avant » de la Chine vers l’économie de marché.
Alors que la Chine abandonne l’un de ses fantasmes, la France continue d’abandonner toute rationalité. Sic transit gloria mundi…
Et si l’on reparlait du bilan de Colbert ?
En France, Colbert, c’est un peu comme de Gaulle : vu l’importance qu’ont eu ces deux personnalités dans l’Histoire de France, il s’agit de références encore communes, ce qui explique que tous les politiciens s’en réclament. Et comme elles étaient aux affaires à des époques glorieuses pour notre pays, rares sont ceux qui s’aventurent à en écorner la mémoire – surtout s’il s’agit de se faire élire.
Alors bien sûr, on m’objectera que dans une certaine frange de la population, il est clairement dans l’air du temps de s’en prendre au contrôleur général des finances de Louis XIV. Après tout, pourquoi pas ? Mais à mon sens, ce ne sont pas les bonnes raisons qui sont invoquées.
En 2014, Daniel Tourre publiait sur Atlantico un remarquable papier dans lequel il expliquait pourquoi Colbert, « il n’y a pas de quoi en être fier ». L’action économique qu’a menée le Rémois entre 1665 et jusqu’à sa mort en 1683 peut être résumée en cinq grands axes :
1. Centraliser & planifier la production manufacturière: en tant qu’élite éclairée, il s’agit bien sûr pour Colbert de décider à la place des artisans ce qui est bon pour eux de fabriquer. En vue de contrôler que ses décisions sont appliquées à la lettre, Colbert « met en place tout un réseau d’administrateurs, d’intendants, de superintendants capables de contrôler et d’exécuter ses volontés depuis Paris », explique Daniel Tourre. Voilà qui vous rappelle peut-être « un ami qui vous veut du bien »…
2. Renforcer les corporatismes & infantiliser les travailleurs : Daniel Tourre rappelle à cet égard que Colbert…
« … [Au] lieu d’affaiblir le corporatisme, le renforce tout en octroyant à sa discrétion des passe-droits. Avec l’ordonnance de 1673, Colbert tente d’imposer à tous les métiers un statut corporatiste. Dans le même temps, il exonère certaines manufactures et leur laisse la liberté d’employer un nombre illimité d’ouvriers, interdisant de surcroît à ces derniers de chercher un poste mieux payé ailleurs. »
Les défenseurs des droits des travailleurs apprécieront.
3. Réglementer : Daniel Tourre explique par exemple que, dans le secteur textile, les producteurs de boutons qui s’écartaient des normes instituées par les corporations (2 200 pages de texte, déjà…), étaient « combattu[s] férocement par les corporations, appuyées par l’Etat. Des amendes sont infligées aux producteurs, aux vendeurs et aux clients de ces nouveaux boutons. Certaines guildes locales obtiennent même le droit de fouiller les maisons et d’arrêter les criminels portant des boutons de ce nouveau type ».
4. Subventionner, taxer & privilégier : Daniel Tourre rappelle ici que le capitalisme de connivence instauré par Colbert, au travers des subventions qu’il décernait à sa guise, lui a permis d’accumuler en grande partie par corruption la bagatelle de « 10 millions de livres, une fortune considérable (à titre de comparaison, la construction du château de Versailles est estimée entre 40 et 100 millions de livres). Le grand serviteur de l’Etat n’a pas oublié de se servir aussi. Les milliers de petits serviteurs qu’il a créés n’ont pas oublié non plus».
Je passe sur les tombereaux de deniers publics gaspillés dans le soutien à des manufactures en perdition.
5. Protectionnisme & patente: je ne détaille pas, vous connaissez le principe.
Colbert, c’est aussi quelques dizaines de milliers personnes qui, ayant enfreint la volonté de celui qui a concentré entre ses mains le pouvoir économique du pays pendant 18 ans, périrent sur l’échafaud, au gibet, à la roue, dans des émeutes ou furent envoyés aux galères.
Daniel Tourre dresse le bilan implacable du colbertisme :
« Cette étatisation de l’économie tuant l’innovation, bureaucratisant l’économie a contribué au retard de la France. L’Angleterre est entrée la première, seule, dans la révolution industrielle, alors que la France avait des atouts pour être en tête.
Même si son action dans d’autres domaines de l’organisation d’un Etat moderne est plus nuancée, son image flatteuse en développement économique est tristement usurpée. Colbert n’a pas redressé la France, il l’a plombé à coup de dirigisme et de réglementations. Hier comme aujourd’hui, la prospérité et l’innovation ne se décrètent pas d’un ministère. »
Voilà pour l’idole de François Bayrou, Marine Le Pen, Arnaud Montebourg, Nicolas Dupont-Aignan (et les autres).
Mais et le nucléaire civil, le TGV et l’aéronautique français ?
Le plan n’a-t-il pas donné d’excellents résultats à cette époque-là ? Et Charles de Gaulle lui-même ne voyait-il pas dans le plan une « ardente obligation », comme aime à le rappeler Jean-Luc Mélenchon ?
Il est vrai que le Général fantasmait dur sur la technique économique soviétique. Voyez donc :
Le Commissariat général au Plan a été mis en place par de Gaulle en 1946. A l’époque, et pendant les années 1950, la priorité n’était pas de permettre aux entreprises privées de conquérir des parts de marché à l’international, mais de reconstruire des infrastructures et des villes sinistrées.
Les années 1960 gaulliennes ont quant à elles été celles de la modernisation de notre économie et de notre société. S’il est vrai que Charles de Gaulle voyait l’Etat comme un stratège, il ne faut pas oublier qu’il a par ailleurs suivi les conseils du libéral Jacques Rueff, qui lui croyait d’avantage (euphémisme) en l’individu.
Un an à peine après l’élection de Gaulle en 1958, le plan Pinay-Rueff était adopté (le 23 décembre 1958). Pendant ce temps-là, l’URSS poursuivait sur la voie du tout-Etat qui l’a menée là où l’on sait.
Ceci posé, je vous propose de nous retrouver prochainement pour démonter un dernier mythe : nous verrons en effet que « le périmètre » du Plan n’est pas « la vraie question », n’en déplaise aux proches du président de la République.