Les mesures proposées manquent assez clairement d’ambition, et ne s’attaquent pas au problème structurel. Après les projets inutiles viendront donc les projets coûteux… et des impôts.
L’annonce d’un grand plan de sobriété énergétique par notre gouvernement aurait pu être une occasion unique de parler vrai. Malheureusement, le moment a plutôt viré en pantalonnade. Nos dirigeants auraient pu profiter du caractère inédit de la situation pour informer les agents économiques de la gravité de la situation. Ils ont préféré se lancer dans un nouveau numéro d’auto-suggestion visant à faire croire que la crise énergétique que nous traversons possède des solutions simples.
Notre Première ministre continue de tenter de ménager la chèvre et le chou en indiquant que le plan de sobriété énergétique ne sera « en aucun cas d’un plan de réduction de l’activité de la France ».
Elisabeth Borne aurait-elle trouvé la martingale qui permet de réduire la consommation énergétique d’une société sans réduire son activité économique ?
Si la méthode existe, elle serait une première dans l’histoire de l’Humanité. Nul doute que les milliards d’êtres humains, qui travaillent depuis la nuit des temps à créer le plus de richesse avec le moins d’énergie possible, seraient heureux d’apprendre que le lien entre les deux peut être brisé par la simple volonté de l’esprit. Que n’y avaient-ils pas pensé plus tôt !
Plus probablement, le plan sobriété du gouvernement sera soit inefficace, soit néfaste pour l’économie. Dans le florilège de mesures annoncées, certaines ne règleront aucun problème énergétique tandis que d’autres créeront une charge supplémentaire sur les acteurs économiques.
Jusqu’où changer nos habitudes ?
La plupart des mesures divulguées par le gouvernement entrent clairement dans la catégorie des bonnes intentions de façade.
Cet hiver, les particuliers sont incités à installer des thermostats programmables, régler le chauffage à 19°C, limiter la durée des douches, éteindre tous les appareils lorsqu’ils ne sont pas utilisés, et décaler l’utilisation des appareils électriques en dehors des périodes de pointe.
Bien évidemment, la chasse au gaspillage est intrinsèquement vertueuse. En termes économiques, il n’y a aucun intérêt à utiliser de l’énergie qui ne produit que des effets bénéfiques négligeables.
Mais il s’agit d’un fusil à un coup.
Réduire la durée de sa douche de 10 à 5 minutes permet effectivement d’économiser 50% de l’énergie de ce poste de consommation. Mais réduire de 5 minutes à 2 minutes et 30 secondes ne représente plus qu’une économie de 25% de la consommation initiale, et transforme ce qui peut être un moment de détente en un contre-la-montre. Pour continuer l’effort de sobriété en divisant une nouvelle fois la durée par deux – et donc ne prendre une douche que pendant une minute et 15 secondes – ne représente plus que 12% du coût énergétique initial… et obligerait le citoyen modèle à se laver avec un chronomètre à la main.
Il en est de même pour le chauffage. Chauffer son salon à 23° plutôt que 25° en hiver est certainement économiquement intéressant tout en ne réduisant que peu le confort. Mais, pour les foyers déjà économes, passer de 19° à 17° représente un gain énergétique négligeable tout en créant de nouveaux problèmes de santé, de salubrité de l’habitation, et même de dégradation des locaux.
Aussi, l’effort de chasse au gaspillage – si nécessaire soit-il – n’aura que des effets bénéfiques limités. Et ceux-ci ne pourront pas être reproduits dans le futur.
La situation est encore pire du côté des entreprises qui, économie de marché oblige, ont structurellement intérêt à faire la chasse aux dépenses inutiles. De fait, les industries énergivores ont déjà optimisé au fil des ans leurs processus industriels pour atteindre une efficacité optimale. Elles n’ont donc pas de marge de manœuvre qui leur permettrait de baisser significativement leur consommation énergétique sans baisse d’activité.
Ce n’est donc pas étonnant que le gouvernement leur demande de prendre des mesures aussi inefficaces que difficilement quantifiables comme travailler sur la mobilité durable (mobilité douce, covoiturage…), ou mettre en place des « ambassadeurs sobriété » au sein des équipes.
Des efforts insuffisants
Selon les calculs du gouvernement, la chasse au gaspillage de cet hiver devrait permettre d’économiser « de l’ordre de 50 TWh par an ». Cela peut sembler beaucoup, mais notre pays consomme, toutes sources confondues, plus de 2 500 TWh par an d’énergie primaire.
Toutes ces belles intentions nous permettront donc d’économiser au mieux 2% de notre consommation énergétique totale – et une fois seulement.
Le plan de sobriété sera donc largement insuffisant pour nous permettre de passer confortablement l’hiver, et aura un effet absolument négligeable dès l’année prochaine.
Notre trajectoire de baisse de consommation d’énergies fossiles est largement insuffisante pour atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Selon la dernière étude de la société de conseil PWC – qui s’appuie sur le « Statistical Review of World Energy » de BP –, la baisse des émissions de gaz à effet de serre des pays du G20 n’a baissé que de 0,5% l’an passé, soit près de trois fois moins de la baisse moyenne des 20 dernières années (-1,4% par an).
Aucun pays européen n’atteint les 5% de réduction par an désormais nécessaires pour atteindre les objectifs.
Que l’on considère la question énergétique sous le prisme de la baisse des émissions de gaz à effet de serre ou sous celui de la souveraineté énergétique qui nécessite d’aligner offre et demande sans dépendre de l’étranger, les seules mesures efficaces seront celles qui consisteront à diminuer la consommation ou augmenter la production locale.
Le premier levier sera actionné, bien malgré nous, par la récession, les faillites, et la destruction de la demande. Le second levier ne pourra être utilisé qu’avec de coûteux investissements… qui seront inévitablement financés par les acteurs économiques.
L’Etat prêt à faire payer les citoyens
Il serait malhonnête de dire que l’Etat n’a aucunement conscience des enjeux énergétiques de moyen terme. Dans la torpeur estivale, un projet de loi a ainsi prévu d’augmenter drastiquement la production d’électricité d’origine photovoltaïque.
Sa particularité : il irait chercher directement l’argent dans la poche des agents économiques.
En pratique, il imposerait aux propriétaires de parkings de plus de 2 500 mètres carrés l’installation d’ombrières photovoltaïques sur au moins la moitié de leur superficie. A l’échelle du pays, la puissance supplémentaire pourrait dépasser les 10 GW, soit une demi-douzaine d’EPR ou le tiers de la puissance disponible de notre parc nucléaire cet automne. Une contribution réellement significative, d’autant que le calendrier prévoit une obligation d’installation d’ici 2025 – autant dire demain.
Aéroports, centres commerciaux et hypermarchés, meilleurs ennemis des écologistes, seraient les premiers concernés par cette nouvelle obligation. A première vue, le grand public ne pourrait donc que se féliciter de cette solution-miracle qui parviendrait, en trois ans, à régler notre pénurie énergétique tout en « faisant les poches des pollueurs ».
Mais cette mesure, qui augmenterait de façon notoire notre production d’électricité renouvelable, aurait également un coût colossal. Les 10 GW supplémentaires coûteraient, rien n’étant gratuit, environ 10 Mds€. Les marges des aéroports et de la grande distribution étant particulièrement tendues depuis deux ans, ce sont in fine les citoyens qui payeraient l’addition par l’augmentation du prix des biens de consommation courante et du coût des transports.
Pour répondre à la pénurie énergétique, le gouvernement dispose de mesures soit inutiles, soit coûteuses. Il est mensonger de faire croire aux citoyens qu’il existe un entre-deux. Aujourd’hui, ce sont les premières qui sont annoncées tambour battant. Mais soyez certains que les secondes seront, un jour ou l’autre, mises en œuvre à leur tour.