▪ Vous connaissez notre point de vue sur les affaires étrangères : nous sommes d’avis qu’il ne devrait pas y en avoir.
Mais parfois, l’actualité nous coupe le souffle. Voici un bref résumé de la situation en Crimée telle que nous avons pu la comprendre après trois minutes de lecture :
La Crimée a été cédée à l’Ukraine par Nikita Krouchtchev, qui était à moitié ukrainien. Mais sa population est majoritairement russophone et il y a eu une forte présence russe dans la région pendant plus de 200 ans — avec notamment une importante base navale russe.
Menacées par les événements en Ukraine, où le gouvernement est diversement décrit comme étant "des voyous" ou "des incompétents", les autorités locales de Crimée ont apparemment demandé à la Russie d’intervenir. Vladimir Poutine a envoyé des troupes, s’assurant ainsi un port important de la Mer Noire — Sébastopol — sur son flanc sud.
A présent, l’idée est de tenir des élections… un référendum… qui décidera de la manière dont le peuple de Crimée sera mal gouverné — par les Ukrainiens ou par les Russes. Il y a de fortes chances qu’ils choisissent les Russes.
Les puissances occidentales sont apparemment outragées… et c’est là que nos yeux s’embrument.
▪ Quand l’hôpital se moque de la charité
"On n’envahit pas un pays comme ça sous un faux prétexte !" a déclaré le Secrétaire d’Etat américain John Kerry. L’indignation de M. Kerry ressemble à l’hommage sincère que le vice rend à la vertu. Il sait sans le moindre doute qu’un prétexte est exactement ce dont on a besoin. Vétéran du Vietnam, le Secrétaire d’Etat est non seulement au courant des invasions malheureuses des Etats-Unis en République dominicaine, au Liban, à Grenade, au Panama, en Haïti, en Afghanistan, en Irak, en Somalie et en Libye, mais il a participé personnellement à l’une d’entre elle… après "l’incident" bidon du Golfe du Tonkin.
Un empire doit avoir ses ennemis et ses prétextes, ses intellectuels préférés et ses pitbulls va-t-en guerre. |
Un empire doit avoir ses ennemis et ses prétextes, ses intellectuels préférés et ses pitbulls va-t-en guerre. Vlad "le Méchant" Poutine est un problème, entend-on partout. Nous nous tournons vers Tom Friedman, confiant dans sa capacité à nous fournir une solution idiote. Il ne nous déçoit pas. Voici comment résoudre ce petit problème, dit-il :
"[Il faut] mettre en place les bonnes politiques de long terme. C’est-à-dire investir dans les équipements permettant de liquéfier et d’exporter notre abondance de gaz naturel (dans la mesure où il est extrait selon les standards environnementaux les plus élevés), ce qui rendra l’Europe, qui obtient 30% de son gaz de la Russie, plus dépendante de nous.
J’augmenterais également notre taxe sur le carburant, je mettrais en place une taxe carbone et un étalon national pour un portefeuille d’énergies renouvelables — tout cela permettant aussi de contribuer à réduire le prix global du pétrole (et de nous rendre plus forts, avec un air plus pur, moins de dépendance au pétrole et plus d’innovation).
Vous voulez faire peur à Poutine ? Il suffit d’annoncer ces étapes."
Nous ignorons pourquoi il faudrait faire peur à Poutine. Mais c’est ainsi que des experts en politique étrangère comme Friedman commencent à parler lorsqu’ils ont trop bu ou n’ont pas assez mangé. La tête leur tourne un peu.
▪ Les plus grands idiots de l’Histoire
En quoi forcer les Américains à payer leur carburant plus cher nuirait à Poutine ? Selon Friedman, ça réduirait la demande d’énergie… entamant ainsi les profits à l’export de la Russie. Cela ferait sûrement du mal aux Américains. Mais à Poutine ? Qui sait ? Enfin. Pourquoi pas. Voyons ce que ça donne.
Friedman s’imagine qu’il peut connaître les milliards de faits sur le terrain, dans des endroits où il n’a jamais mis les pieds, et ainsi améliorer l’issue de situations qu’il ne pourra jamais comprendre. Bien en sécurité derrière ses éditoriaux pour le New York Times, il a mené la charge en Irak… et maintenant en Crimée !
La politique étrangère leur permet de donner des ordres à des nations entières. Ils ne sont plus les victimes de l’Histoire, mais ses maîtres… |
Quel délice pour les Roosevelt en herbe et les Wilson manqués. Leurs propres enfants les ignorent peut-être. Leurs femmes les trouvent peut-être idiots, pompeux et inefficaces. Mais, par procuration, la politique étrangère leur permet de donner des ordres à des nations entières. Ils ne sont plus les victimes de l’Histoire, mais ses maîtres…
Que Dieu soit remercié pour leur présence. Ce sont les plus grands idiots de l’histoire, mais sans eux, nous n’aurions pas autant de guerres passionnantes… autant de sturm und drang… autant d’articles distrayants dans les journaux. Qu’auraient fait les Cosaques sans la Grande armée ? Quelle utilité avait la bombe atomique sans Hiroshima ? Et que ferait la chair sans les canons ?