La Chronique Agora

Pensée unique, marché à choix unique… et Dubaï n’est bien sûr qu’un mirage

▪ La tendance était encore baissière au Japon (-1,2% en début de journée) et sur les places asiatiques en milieu de nuit après deux heures de cotation. Cependant, un violent renversement de situation s’est opéré à Tokyo qui terminait sur un gain inespéré de 2,4%.

Des rumeurs prêtaient à la Bank of Japan l’intention de profiter d’une réunion extraordinaire pour dévoiler de nouvelles mesures de soutien à l’économie nippone : de nouvelles injections massives de liquidités, qui pourraient avoisiner 120 milliards de dollars.

Impacté par l’annonce d’un troisième relèvement consécutif (à 3,75%) de son taux directeur en six semaines par la Banque centrale d’Australie, le dollar a commencé à rechuter dès 5h00 du matin sous les 1,50/euro. Un dernier accès de faiblesse en toute fin d’après-midi l’a fait basculer sous les 1,5100/euro, jusque vers 1,5120 ; cela a permis de tirer encore un peu plus les cours des actions de la Zone euro durant les dernières minutes de la séance.

Compte tenu du caractère improbable des scores en clôture mardi soir (+2,7% sur l’Euro-Stoxx 50, cela tient du prodige !), il nous semble évident que rien n’est en fait arrivé par hasard ce mardi. La hausse des indices, vers des objectifs précis, semble avoir été orchestrée de main de maître : l’ultime coup de reins de dernière minute qui a permis au CAC 40 de repasser in extremis au-dessus du seuil technique des 3 770 points (c’est-à-dire la moyenne mobile à 50 jours) et d’atteindre au final 3 775 points l’illustre parfaitement.

▪ Partant d’un solide rebond des places asiatiques à la mi-séance, une journée positive se profilait sur les places occidentales… mais certainement pas un rally de 2,5% et plus !

La hausse a été d’autant plus spectaculaire à Paris que les volumes — toujours aussi creux avec seulement 2,9 milliards d’euros échangés contre 3,2 milliards la veille — n’étayent pas le scénario d’une chasse aux bonnes affaires.

La réalité, c’est que lorsque le marché monte — et à plus forte raison lorsqu’il s’agit de la première séance du mois — les vendeurs se précipitent comme un seul homme vers le banc de touche. Symétriquement, lorsque les cours amorcent une consolidation comme la veille, ce sont les acheteurs qui se mettent collectivement hors jeu.

Ceci explique une succession de séances où les opérateurs se comportent comme des girouettes, de telle sorte que les actions terminent à 95% dans le rouge puis à 98% dans le vert le lendemain même. Et nous avons affaire à des professionnels — non à des boursicoteurs « à la petite semaine », réputés irrationnels et prompts à changer d’avis.

Mais certains de nos contacts dans les salles de marché nous expliquent que la versatilité apparente de la Bourse ne constitue même pas le reflet d’une psychologie. En effet, une majorité d’intervenants a depuis longtemps renoncé à penser quoi que ce soit de l’actualité du jour… ou à prévoir quelque mouvement de cours que ce soit au-delà des prochaines 24 heures.

En fait, nous ferions plus qu’assister quotidiennement à des matchs d’ordinateurs entre une poignée d’institutionnels surpuissants qui gèrent les liquidités qu' »Helicopter Ben » met chaque matin à leur disposition. A charge pour eux de faire monter les cours dès que l’argent devient plus abondant… et c’est ce à quoi contribue si efficacement le carry trade : la Fed n’a alors même plus besoin de se mouiller en monétisant la dette !

▪ Il ne fait plus de doute pour aucun observateur que Wall Street n’a pas d’autre alternative que de grimper — quelles que soient les circonstances — vers la stratosphère comme un ballon gonflé à l’hélium. Les tentatives de certains « beaux esprits » de nous faire croire qu’il n’y a rien là que de très naturel, les économies repartant du bon pied après la récession de l’an dernier, en deviennent risibles. Les marchés ne progressent plus — à l’exception notable de ce mardi — que lorsque les statistiques conjoncturelles sont mauvaises.

En France, le rebond des ventes d’automobiles (+48,2%) a été plus fort que prévu. Ce chiffre est toutefois à corriger d’une base de comparaison annuelle extrêmement défavorable en novembre 2008 : -50%… le pire mois pour l’automobile en 50 ans. Cela ne saurait justifier un gain de pratiquement 100 points sur le CAC 40 en quelques heures ; il faut peut-être y voir les premiers symptômes des opérations d’habillages de bilan de fin d’année.

Plus globalement, la volonté de faire baisser le dollar pour alimenter le carry trade est tellement manifeste à Wall Street (et nous l’avons déjà démontré chez nombre de membres influents de la Fed) que seule une péripétie tout à fait inattendue de type « défaut de paiement à Dubaï » parvient à la faire rebondir un peu… et guère plus de 48 heures.

Juste le temps d’expliquer qu’il ne s’est rien passé, qu’il n’y aura aucune conséquence : le lavage de cerveaux habituel ! Rappelez-vous la faillite de New Century Financial fin février 2007 : un stupide accident isolé qui n’était révélateur d’aucune folie spéculative globale ni d’aucune diffusion massive de créances pourries dans le système financier…

▪ A Wall Street, les principaux indices n’ont mis que quelques minutes pour revenir au contact de leurs plus hauts annuel ce mardi. C’est comme si les investisseurs avaient entraperçu un inquiétant mirage — mais ce n’est qu’un mirage — dans les Emirats jeudi et vendredi dernier.

Le Dow Jones s’est donc empressé de corriger sa trajectoire. Il a inscrit un nouveau record annuel à 10 500 points avant l’heure du déjeuner, le S&P retraçant les 1 112 points.

Perdant le statut de valeur refuge qu’il avait soudain retrouvé jeudi dernier, le billet vert a replongé sous les 1,51/euro. Il n’a même pas été soutenu par la neuvième hausse consécutive (de +3,7%) des promesses d’achat de logements neufs survenue en octobre aux Etats-Unis.

Il n’a pas davantage profité d’une nouvelle phase de croissance du secteur manufacturier en novembre (l’indice ressort à 53,6 en novembre, contre 55,7 en octobre).

Le « business as usual » reprend ses droits. Aucun nuage à l’horizon ; quel intérêt y aurait-il à focaliser son attention sur les Bourses des Emirats et les ajustements opérés dans l’urgence par les fonds souverains ? La Bourse de Dubaï plongeait de 5,6% supplémentaires mardi, soit -12,5% en 48 heures, entraînant dans son sillage la Bourse du Qatar, qui a dévissé de 8,3%. Le Doha Securities Market Index a chuté de plus de 650 points, perdant l’intégralité des gains enregistrés en 2009 et terminant sous la barre psychologique des 7 000 points.

Mais « on » ne vous le répètera jamais assez, cela n’a aucune importance : même si cela en avait, Wall Street est suffisamment déconnecté du réel — et sous contrôle permanent de la Fed — pour qu’aucun mouvement de correction durable ne se matérialise.
Au fait… en quoi consiste la définition d’un marché dans une économie libérale ?

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile