A l’origine des problèmes de l’inflation et de la dette, une décision… qu’un économiste français avait anticipé, en plus des problèmes qui en ont découlé.
« Je ne crois pas que les autorités monétaires, tout aussi courageuses et bien informées qu’elles puissent être, peuvent délibérément causer les contractions de la masse monétaire, que le simple mécanisme de l’étalon-or aurait générées automatiquement. »
~ Jacques Rueff
Dites une prière pour la piétaille. Trois hourras pour l’ouvrier. Pauvre homme. Il va bientôt arriver à cours d’argent. Bloomberg :
« Après avoir retardé la récession, et ce pendant plus de temps que beaucoup ne le pensaient possible, le consommateur américain est finalement près de craquer, d’après un sondage Market Live Pulse de Bloomberg.
Plus de la moitié des 526 répondants ont indiqué que leur consommation personnelle – qui est le plus important moteur de la croissance économique – diminuera début 2024. Cela pourrait être le premier déclin trimestriel depuis le début de la pandémie. 21% de répondants ont par ailleurs avancé que ce retournement se produirait plus tôt, durant le dernier trimestre de cette année, alors que les taux d’intérêt élevés grignotent les budgets des ménages et que l’épargne accumulée pendant le Covid s’amenuise. »
Aujourd’hui, nous allons marcher dans les pas des travailleurs, et nous intéresser à leur pénible lutte. Au fil des ans, grâce au capitalisme et à la technologie, leur fardeau s’est un peu allégé, et leur qualité de vie un peu améliorée. C’est ce que racontent les « prix-temps », qui mesurent combien de temps cela prend pour un travailleur d’obtenir le salaire suffisant pour s’acheter des aliments de base, ou se payer un toit au-dessus de sa tête.
L’homme moderne subit aussi moins de douleur physique possible. Les machines font le gros du travail physique. Des médicaments apaisent la douleur de dents fragilisées, ou de muscles courbaturés. Et quand surviennent une tempête ou une inondation, nous pensons que le gouvernement devrait intervenir, avec des couvertures pour ceux qui grelottent… et de la nourriture pour les affamés.
Le regard perdu
Et pourtant, on pourrait penser que les travailleurs américains n’apprécient pas leur bonne fortune autant qu’ils le devraient. S’ils ont l’impression d’avoir une bonne situation, ils ne savent pas qui remercier. Nixon ? Trump ? Biden ? Et s’ils ont le moral dans les chaussettes, ils ne savent pas qui blâmer – Keynes, Friedman… ou Rueff ? En général, ils ne savent pas si leur situation s’améliore ou se dégrade… et qui en serait le responsable.
Remarquablement, nous avons récemment été invités à déjeuner dans le château d’un de nos voisins poitevins. C’était un événement mondain « à l’ancienne » – les dames en robes de cérémonie, les hommes en costume-cravate. Le champagne et les hors d’œuvres étaient servis en extérieur, puis nous nous sommes rendus dans une salle à manger somptueuse, où nous avons été placés à côté d’une femme charmante nommée Marie-France.
La conversation a couvert le paysage politique et social – le faible taux de natalité en France… le besoin de remonter l’âge de la retraite… le grand nombre de chênes mourant, et la véritable cause de la Première Guerre mondiale. La politique monétaire, comme un estomac bien rempli après un bon repas, avait les capacités de troubler l’atmosphère. Et elle l’a fait, d’une manière agréable.
« Sans point d’accroche – comme l’or peut l’être – la monnaie dérive », avons-nous expliqué. « Vous pouvez rapidement vous perdre. »
Après avoir introduit la politique monétaire dans la conversation, nous nous attendions à ce que les yeux de notre voisine de table se perdent à l’horizon, que son sourire s’efface et qu’elle change de sujet, comme cela arrive souvent.
Pas cette fois.
Marie-France nous a souri avec assurance.
« Oui… nous avions un économiste dans notre famille, il y a des années, qui avait pour habitude de dire que l’abandon du lien entre la monnaie et les lingots d’or fut la pire erreur jamais commise par la France. »
« Vraiment ? Qui était-ce ? »
« Jacques Rueff. »
Le monde est petit.
Un avertissement bien senti
Rueff était l’un des grands économistes classiques de l’après-guerre. Il avait travaillé à la Banque de France en 1939, mais fut contraint de démissionner en 1941 du fait de ses origines juives. Après la guerre, en 1958, durant la guerre d’Algérie, l’économie du pays était dans un état catastrophique, avec une inflation s’envolant et des déficits publics considérables.
Le « plan Rueff » a mis les choses en ordre, en rétablissant la libre convertibilité du franc en dollars, divisant le déficit budgétaire par deux, et réduisant les droits de douanes et autres obstacles au commerce international. Une période d’expansion économique, qui porta la France jusqu’aux années 1970, suivit.
Mais Rueff savait que l’heure avait sonné. Il avait observé, durant les années 1960, les Etats-Unis répéter – à une bien plus grande échelle – les erreurs de la France en Indochine. Il avait vu les flux sortants de dollars… et anticipé la fin du système de Bretton Woods, quand les Etats-Unis ne pourraient plus honorer leurs obligations :
« Si nous continuons à opérer ce même système, nous devrons arriver un jour à la fin des moyens de paiement externes par les Etats-Unis. Cela signifiera que, qu’ils le veulent ou non, malgré les accords du FMI et du GATT, ils devront établir un embargo sur l’or, établir des quotas d’importations et imposer des restrictions. »
Ce fut Rueff qui poussa le Trésor français à se précipiter à Washington pour échanger ses dollars contre de l’or, tant qu’il le pouvait. En février 1970, dans une tribune publiée dans Le Monde et intitulée « Le péché monétaire de l’Occident », Rueff avertissait que les Etats-Unis allaient couper le lien unissant l’or et le dollar.
Puis, le 15 août 1971, l’administration du président Nixon est revenue sur 200 ans de promesses solennelles et a « fermé la fenêtre de l’or » au département du Trésor. Depuis lors, l’ancre du navire monétaire est remontée. Ni la France, ni aucun autre pays, ne pouvait compter sur l’or, au taux réglementaire, pour disposer de leur surplus de dollars. Les gouvernements du monde entier n’avaient donc plus beaucoup d’options ; ils étaient presque obligés d’acheter des bons du Trésor américain… c’est-à-dire de prêter de l’argent au gouvernement américain et aider à la construction de la fière montagne de dette des Etats-Unis.
A la dérive
Mais bien sûr, l’histoire ne se termine pas là… il y a d’autres points à relier entre eux… regardez ce que le système post-1971 a fait aux travailleurs américains.
Les salaires ont augmenté à peu près au même rythme, de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au milieu des années 1970, à un taux d’environ 3% par an. Mais ensuite, si le nouveau dollar était très rentable pour certains, il ne l’était pas pour le travailleur moyen. Après les années 1970, les salaires réels ont commencé à stagner.
Pendant la même période, après les années 1970, des actifs financiers ont vu leur prix exploser sous l’afflux de cette nouvelle monnaie. Leurs propriétaires se sont enrichis de plus en plus – pas parce qu’ils travaillaient dur ou augmentaient la production, mais simplement parce qu’ils possédaient des actions, des obligations ou de l’immobilier. Alors que les salaires n’allaient nulle part, la richesse des 1% les plus riches a été multipliée par quatre, entre 1989 et 2022.
Cette nouvelle monnaie adossée à aucun actif, et partant à la dérive, n’a pas seulement favorisé les riches, mais elle a aussi sapé l’économie. Même aujourd’hui, plus de 50 ans plus tard, peu de gens comprennent son fonctionnement. Parce qu’il s’agit d’’un nouveau système – un capitalisme sans capital réel. Il a été remplacé par un système de capitalisme à crédit… où les faux capitalistes investissent du faux capital qu’ils ont emprunté à de faux taux d’intérêts pour engranger de faux profits.