Comment nos sociétés en sont-elles arrivées au malaise actuel ? L’explication tient en deux évidences – dont vous n’entendrez que rarement parler.
Notre cadre analytique [exploré plus en profondeur ici] repose sur deux évidences, non reconnues par l’establishment et les élites : l’évidence de la tendance à l’érosion de la profitabilité du capital total, et l’évidence de la tentative d’y pallier par la production de dettes.
Ce qui donne le schéma suivant :
– érosion de la profitabilité du capital, c’est-à-dire du ratio des profits divisés par la masse totale de capital investi dans le système global ;
– production de dettes et de crédit pour compenser l’insuffisance des cash-flows gagnés aussi bien par les firmes que par les gouvernements et par les ménages consommateurs.
Les conséquences annexes sont :
– l’obligation de baisser les taux d’intérêt sans arrêt ;
– l’obligation de créer des liquidités en permanence pour masquer l’insolvabilité ;
– la nécessité de surexploiter les salariés et de leur extorquer de quoi rembourser les dettes du système ;
– l’asphyxie des finances publiques car la croissance est trop faible, les recettes fiscales trop maigres et le stock de dettes trop lourd ;
– la croissance vertigineuse des patrimoines des déjà riches car ils accumulent les créances, le capital fictif produit par la financiarisation et l’inflationnisme monétaire ;
– la dislocation de nos corps sociaux, de nos consensus et de nos arrangements politiques ;
– l’évolution vers des sociétés de contrôle, de répression, car il faut faire faire aux gens autre chose que ce qu’ils ont envie de faire spontanément en vertu de leurs propres déterminations.
Boulet et boule de neige
Tout cela donne l’apparence d’un système qui tourne, certes, mais qui le fait au prix d’un accroissement cumulatif de la masse de dettes, du stock de dettes. Cette accumulation fait chuter de façon continue le ratio de profitabilité et constitue ainsi une sorte de boulet/boule de neige au pied de nos économies.
La dette les asphyxie car elle exige ses intérêts, son remboursement ou bien sa prorogation.
En même temps, nos principes de vie, notre morale, notre culture, nos pratiques démocratiques se détériorent, rongées en fait par la taupe souterraine de l’insuffisance du profit pour rentabiliser un système capitaliste devenu pervers.
Peu à peu, le passé, le mort, le zombie, asphyxient le vif, le vivant, les producteurs. Nous perdons nos capacités d’adaptation, perdus dans un univers névrotique, un imaginaire dont la seule ambition est de se reproduire au profit d’une minorité.
Depuis la crise de 2007, il n’y a jamais eu de véritable reprise, rien que des illusions – des illusions créées par le voile monétaire.
La hausse des Bourses est un leurre.
Elle pointe l’enfoncement dans la crise, non la sortie : il faut sans cesse baisser les taux, créer des liquidités afin de sauver les apparences, et c’est la baisse des taux et la production de liquidités qui, en se précipitant sur les marchés financiers, donnent l’impression de reprise.
Faux et apparences
Quand les taux baissent sans arrêt, la valeur monétaire du capital ancien augmente puisque qu’il rapporte plus que le nouveau.
Les profits des entreprises sont faits à la main, boostés par l’ingénierie financière et les faux chiffres d’affaires réalisés grâce à la croissance des dettes.
Cela donne l’apparence de marges bénéficiaires copieuses mais, en réalité, ces chiffres ne sont pas confirmés par les données de la comptabilité nationale ou les investissements.
Si les profits et la profitabilité remontaient, alors les dépenses d’équipement recommenceraient à progresser.
Depuis le second semestre 2018, l’économie mondiale va encore moins bien : la reflation de 2015 et 2016 épuise ses effets. Quand les Bourses en ont pris conscience en novembre et décembre 2018, elles se sont effondrées et ont obligé les autorités monétaires à refaire un round d’inflationnisme, c’est-à-dire à promettre que jamais les conditions financières ne se resserreraient.
Il n’y a jamais eu de vraie reprise, vous pouvez le voir dans les chiffres du PIB, même avant leur révision.
La croissance synchronisée à l’échelle mondiale a toujours été moins impressionnante que ce qu’elle était supposée être. C’est aussi vrai à l’étranger qu’aux Etats-Unis.
La reprise de 2017 a été un mythe. Tout comme le soi-disant redressement de l’inflation. Tout comme le plein emploi, ce qui explique que la courbe de Phillips n’a jamais fonctionné.
Ceci vous permet de comprendre pourquoi le marché obligataire n’a jamais été dupe. Il n’a jamais eu peur de l’inflation et il a, toujours, dans son pessimisme, été précurseur.
La croissance synchronisée à l’échelle mondiale n’a jamais eu sa chance.