La Chronique Agora

Paracétamol : la panique bulgare

Quand la peur d’un buzz l’emporte sur le bon sens, c’est toujours le consommateur qui paie.

Le ministère bulgare de la Santé a décidé de restreindre davantage la vente de médicaments via les distributeurs automatiques, mettant fin à la distribution de plusieurs produits pour des raisons de sécurité. Cette décision fait suite à l’affaire du « défi du paracétamol » : certains étudiants se seraient lancés dans une compétition consistant à avaler le plus de comprimés possible, un phénomène présenté comme « viral » sur TikTok (bien qu’aucune preuve tangible ne l’atteste).

Selon les autorités bulgares, « la principale raison des changements réglementaires concernant la vente de médicaments dans les distributeurs automatiques est l’utilisation abusive récente de médicaments facilement accessibles par certains adolescents ». Ces produits, pourtant disponibles sans ordonnance, peuvent en cas de surconsommation causer de graves dommages.

« L’abus de paracétamol a un effet toxique sérieux sur l’organisme, et ce type de compétitions entre jeunes doit être condamné avec la plus grande fermeté », ont-elles ajouté. Le pays a en effet enregistré une hausse des cas graves d’intoxication. TikTok, de son côté, affirme avoir mené des vérifications et n’avoir trouvé aucune trace d’une telle tendance.

Que celle-ci soit réelle ou non, la Bulgarie applique désormais de nouvelles règles : la gamme de médicaments vendus en distributeurs automatiques sera réduite, et certains produits ne pourront être proposés qu’en conditionnements très limités. Pour rappel, ces distributeurs ne sont autorisés que dans l’enceinte des pharmacies agréées, et uniquement en dehors de leurs horaires d’ouverture.

Deux enjeux principaux se dégagent ici : d’un côté la politique pharmaceutique, de l’autre une réflexion plus large sur notre rapport à la régulation.

Un modèle pharmaceutique à bout de souffle

Pour un lecteur français, la première réaction à cet article sera sans doute : « Du paracétamol dans des distributeurs automatiques ? »

En effet, dans des pays comme la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ou le Portugal, la loi protège les pharmacies en leur réservant arbitrairement la vente de médicaments, même ceux accessibles sans ordonnance. Ailleurs, des règles plus modernes s’appliquent : dans les pays nordiques, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, les médicaments sans prescription peuvent être achetés en grande surface ou en distributeur automatique, parfois même sous la marque du magasin.

Difficile de comprendre comment le modèle français et allemand continue de se justifier.

Aux Etats-Unis, la distribution de médicaments, y compris sur ordonnance, est intégrée depuis longtemps aux grandes chaînes de supermarchés. En Europe, les consommateurs doivent se plier aux horaires restreints des pharmacies, payer plus cher, et ce pour un service qui n’est pas meilleur. Sérieusement, à quoi servent-elles ?

Je me souviens avoir acheté au Luxembourg du paracétamol pour ma grand-mère, en grandes quantités et fortes doses, sans ordonnance et sans qu’aucune question ne me soit posée. Cela montre bien que les gouvernements n’ont aucun moyen réel de prévenir une tendance passagère et – en l’occurrence – probablement imaginaire.

Le vrai problème : notre réflexe de tout réglementer

Au-delà de la question pharmaceutique, c’est surtout le message envoyé qui inquiète : chaque fois qu’une prétendue mode TikTok apparaît, la réponse automatique est d’appeler l’Etat à réguler.

Même si une telle tendance existait vraiment, il appartiendrait aux parents et aux écoles d’éduquer les enfants, pas au gouvernement de multiplier les interdictions qui compliquent la vie des adultes responsables ayant besoin d’accéder facilement à ces médicaments. Les adolescents, eux, trouveront toujours des façons de braver les interdits. Qu’il s’agisse d’explorer une usine désaffectée ou de grimper à l’arbre le plus haut, chacun sait que la loi est le cadet de leurs soucis lorsqu’il s’agit de se prouver quelque chose.

Ce réflexe pavlovien de se tourner vers les bureaucrates illustre un dysfonctionnement de notre société. Nous avons cessé de montrer l’exemple, préférant multiplier les règlements, comme si nous n’avions affaire qu’à des citoyens dociles. Mais dans ce jeu-là, ceux qui respectent les règles sont toujours les perdants. Et le message implicite est inquiétant.

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