La Chronique Agora

Les paniques boursières, accentuées par les ventes forcées

Nous abordons le deuxième épisode de notre série « comprendre les crises majeures » – avec, aujourd’hui, le concept de contagion (c’est le moment ou jamais…).

 Nous avons vu dans le premier article que cette crise économique majeure s’inscrit dans un contexte d’économie de guerre (rationnements, restrictions de mobilités, crises conjointes de l’offre et de la demande).

Il ne s’agit pas seulement d’une crise financière comme en 2000-2001 (surendettement télécoms), en 2007-2008 (subprime et Lehman) ou en 2011-2012 (dettes souveraines périphériques de la Zone euro). 

Phénomène de contagion

En réalité, l’histoire des crises des marchés financiers et de leur amplification depuis une vingtaine d’années ne peut absolument pas être comprise si l’on s’en tient aux purs fondamentaux.

Il faut intégrer les phénomènes de contagion entre actifs financiers et de ventes forcées pour des raisons commerciales, prudentielles, réglementaires ou comptables. On comprend dès lors mieux pourquoi une crise dans un secteur donné ou un pays donné, ou encore concernant une institution financière, se transforme en crise financière mondiale.

On a découvert depuis 2007 que l’activité bancaire était systémique en ce sens qu’elle pouvait avoir des conséquences dramatiques sur la stabilité du système économique d’un pays ou d’un groupe de pays.

Ces risques systémiques ont été renforcés par des phénomènes de contagion (désolé pour ce terme qui est souvent utilisé en économie et en finance et qui finalement devrait être réservé à la situation actuelle) et de mimétisme qui transforment une crise locale en crise globale.

Les explications sont les suivantes :

– sophistication et complexité de certains instruments financiers avec toujours plus d’innovations financières et d’effets de levier pas toujours maîtrisées par les régulateurs ;

– mondialisation, et interactions entre les acteurs avec des risques permanents de crise systémique potentielle ;

– normes comptables et prudentielles pro-cycliques, c’est-à-dire qu’elles peuvent accentuer les périodes de dépression ou, à l’opposé, le gonflement des bulles. Ceci crée des risques permanents de crise de solvabilité pour tous les acteurs (entreprises, ménages, Etats…) lorsque les bulles éclatent et que les prix d’actifs financiers surévalués se retournent violemment. Ou pire, lorsqu’un cygne noir survient comme aujourd’hui avec le choc du coronavirus. Ceci étant, nous allons forcément assister dans les mois qui viennent à un assouplissement considérable des normes comptables et prudentielles compte tenu de la forte dégradation anticipée de la solvabilité des banques. 

La surréaction des marchés boursiers à la baisse s’explique par le fait que nombre d’intervenants (banques, investisseurs institutionnels, hedge funds…) sont obligés de vendre parce qu’ils sont confrontés à des besoins de liquidités pour des raisons diverses et variées ;

– respect de ratios réglementaires ;

– seuils atteints sur stop loss ;

– anticipations de demandes de cash de la part de clients ;

– raisons comptables car, dans le cadre du pilotage de leur compte de résultats semestriel et surtout annuel, on voit très souvent des investisseurs ou banques vendre des actifs sains sur lesquels ils peuvent encore réaliser des plus-values qui viendront financer les moins-values latentes ou réalisées sur d’autres actifs. 

Prenons quelques exemples simples et concrets

1/ En pleine période de stress comme lors de ces séances de mars 2020, un investisseur sera forcé de vendre des actifs sains et liquides, accélérant la déconnexion entre le prix de tel actif et sa valeur fondamentale.

Cet investisseur a en portefeuille un actif A devenu pourri et illiquide, or il a besoin de liquidités pour des raisons diverses et variées (respect de ratios réglementaires, stop loss, anticipations de demandes de cash de la part de clients…). Il va donc de manière systématique être forcé de vendre son actif B plutôt sain fondamentalement, voire son actif C encore plus sain.

2/ On peut aussi citer dans des périodes de grand stress type faillite de Lehman à l’automne 2008 la situation de fonds spéculatifs à fort effet de levier qui, confrontés à une forte sous-performance de leurs stratégies, doivent rembourser par anticipation les financements octroyés par les primes brokers et répondre à des appels de marge.

Cela revient à vendre à n’importe quel prix leurs actifs et arbitrages… sans parler de la faillite de certains fonds qui obligent les établissements bancaires à vendre les milliards de dollars ou d’euros de titres qu’ils ont reçu en garantie de la part de ces fonds. C’est ce qui s’est passé il y a 12 ans – et on peut imaginer que c’est ce qui se passe aujourd’hui, comme par exemple les ventes forcées et les capitulations des séances de marché des 12 et 16 mars derniers.

Les investisseurs qui subissent des pertes sur certains actifs vendent des titres liquides afin de lever les fonds nécessaires au paiement des appels de marge liés à leurs pertes. C’est ainsi que des marchés a priori non corrélés deviennent fortement corrélés – et des investisseurs ou fonds finissent par vendre contre leur gré des actions LVMH, des obligations d’Etat françaises (qui ne bénéficient plus de leur caractère de flight to quality, « fuite vers la qualité ») ou encore de l’or (qui ne bénéficie lui non plus de son statut de valeur refuge).

Le flight to quality est remplacé par le flight to liquidity, « fuite vers la liquidité ».

L’importance du carry trade

3/ Les mouvements les plus violents et les plus hystériques de ventes paniques et forcées sont en fait liés aux débouclements des stratégies de carry trade. Avant d’approfondir cela, expliquons simplement ce qu’est le carry trade, car c’est fondamental pour comprendre les crises financières.

Tous ceux qui ont été en prise directe avec les marchés connaissent la notion de carry trade, opération très simple à comprendre mais probablement plus dangereuse que beaucoup d’opérations sur les produits dérivés jugées à tort ou à raison complexes. En effet, le carry trade consiste à emprunter une devise à très faibles taux d’intérêt, puis la vendre contre une devise à haut rendement pour acheter des actifs financiers souvent risqués libellés dans cette devise.

En l’absence d’aversion au risque, le carry trade était privilégié par les hedge funds : emprunts de francs suisses, yens japonais et d’euros à des taux très bas, puis vente de ces devises contre des dollars US et autres devises à rendement plus élevé, afin de capter un portage positif immédiat ou d’investir ces liquidités sur des actifs risqués libellés dans ces devises à rendement plus élevé.

Néanmoins, lorsque l’aversion au risque remonte en période de stress sur les marchés financiers, l’analyse des fondamentaux pour expliquer certaines tendances directionnelles ne sert à rien. Sur le marché des changes, le franc suisse (CHF), le yen (JPY) depuis 20 ans et l’euro depuis cinq ans ont tendance à s’apprécier brutalement.

Cela n’est sûrement pas dû à une supériorité des économies suisse, japonaise et Zone euro sur celle des autres pays, ni à l’absence de crise sur les zones géographiques concernées – mais plutôt à la mémoire des investisseurs, qui associent aversion au risque et débouclement des carry trade initiés au détriment des devises à taux très bas voire négatifs.

Ce retour d’aversion au risque conduit les hedge funds en fortes pertes pratiquant le carry trade à déboucler leurs positions en rachetant massivement à découvert le JPY, le CHF et l’euro. Dès lors, tout regain d’aversion au risque est très souvent synonyme d’appréciation du JPY, du CHF et, depuis cinq ans, de l’euro.

Au-delà de ces trois exemples, force est de constater que depuis la dernière grande crise financière de 2008, les marchés financiers ne fonctionnent plus correctement. En d’autres termes, la précieuse liquidité est de plus en plus faible. A vouloir sur-réglementer l’activité bancaire en essayant d’éviter les crises systémiques, on a créé un certain nombre de nouveaux problèmes – notamment celui de la baisse de la liquidité sur des actifs jugés jusqu’à présent parfaitement liquides.

Trois illustrations de cette baisse de liquidité

1/ Les obligations réglementaires sur le ratio de liquidité LCR obligent les banques à constituer une réserve de liquidité composée de titres d’Etat. Ceci freine la circulation de titres sur le marché secondaire (et donc leur liquidité).

Dans ce contexte, les opérations de prêt de titres ou de repo (mise en pension de titres) perdent de leur importance puisque les établissements doivent conserver leurs titres dans leur réserve de liquidité. S’ils les prêtent ou les mettent en repo (afin d’obtenir du financement), ces titres ne sont plus disponibles et ne sont plus éligibles à la réserve de liquidité, ce qui dégrade le ratio de liquidité des banques.

La baisse de ces opérations de repo et prêt de titres pénalise l’activité de market making, ce qui réduit la liquidité des marchés.

2/ On peut aussi mentionner le comportement potentiellement déstabilisant de la BCE en tant qu’intervenant principal sur les marchés obligataires de la Zone euro depuis la mise en place des programmes de rachat d’actifs en 2015 (QE).

Ceci a conduit à un tarissement de la liquidité et à un assèchement de certaines souches captées dans le bilan de la BCE (toutes les obligations achetées par la BCE ne circulent plus, par définition).

3/ Les rendements durablement très bas de nombre d’actifs ont conduit à un report sur des actifs à « haut » rendement mais illiquides. Le risque majeur est donc une réduction de la liquidité pour les investisseurs, avec la mise en place de dispositifs pénalisants en cas de rachat de parts en rendant leur épargne complètement illiquide.

Nous verrons dans notre troisième et dernier article que ces risques ne relèvent pas de la finance-fiction.

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