Les contradictions de l’euro s’aggravent continuellement ; cette situation ne pourra pas durer éternellement…
La fulgurante hausse des taux d’intérêt sur les dettes souveraines des pays de la zone euro a semé un début de panique à la BCE, qui a réuni en catastrophe son Conseil des gouverneurs le 15 juin 2022.
Après cette réunion, la BCE a promis « une certaine flexibilité » et chargé ses équipes [sic] « d’accélérer » la conception d’un nouvel « instrument anti-fragmentation » (?) pour lutter contre un écart trop important des taux entre pays du nord et pays du sud de la zone euro. Tout ceci ne veut rien dire de précis et témoigne de la panique des gouverneurs de la BCE, qui en sont réduits, 20 ans après la création de l’euro, à « demander à leurs collaborateurs » d’imaginer en urgence la solution d’un problème insoluble !
Derrière ces mots énigmatiques et ronflants, on ne voit guère se profiler que la reprise des achats d’obligations souveraines des pays du sud, au premier rang desquels Italie et France. C’est-à-dire exactement ce que plusieurs Etats du nord, dont l’Allemagne, la Finlande, l’Autriche et les Pays-Bas, ne veulent plus à aucun prix.
Malgré l’absence de résultat concret, Bruno Le Maire s’est félicité de cette réunion : « On voit bien que ce qui garantit le maintien de la croissance – qui est notre priorité –, le maintien de la création d’emplois, la capacité à financer la transition écologique, c’est la visibilité. » Et il a conclu que « la visibilité est le choix qui a été fait par la Banque centrale européenne, c’est le choix qui a été fait par Christine Lagarde, et cela me semble le seul choix sage ».
Le Maire est bien le seul à voir de la « visibilité » là où personne ne voit rien, sinon des nuages noirs qui s’amoncellent.
Rapt financier
Le « whatever it takes » de Mario Draghi lancé à Londres en juillet 2012, rapidement accompagné d’un programme de rachat massif d’actifs obligataires, avait suffi à calmer les marchés et à réduire les écarts de rendements des émetteurs souverains de la zone euro. Dix ans plus tard, rien n’est réglé et les marchés croient toujours aussi peu à la survie de l’euro et à sa capacité à faire face à des chocs macro-économiques.
L’annonce d’un instrument « anti-fragmentation » de la zone euro par la BCE est, en soi, un aveu d’échec : 23 ans et demi après son lancement le 1er janvier 1999, l’euro est toujours incapable de se tenir debout par lui-même et a constamment besoin de mesures d’urgence pour ne pas se fragmenter.
Pour l’instant, les nouvelles annonces de la BCE n’ont pas eu d’effet notable sur la divergence des taux d’intérêts souverains à l’intérieur de la zone euro. C’est qu’il y a des différences de taille entre 2012 et maintenant :
- d’une part, l’inflation et une situation de taux réels déjà très négatifs, qui empêchent d’envisager sérieusement de nouvelles baisses des taux ou une BCE à nouveau extrêmement accommodante ;
- d’autre part, la cristallisation d’oppositions irréductibles entre pays du nord et pays du sud de la zone euro sur la gestion monétaire.
Ce que les économistes de la BCE ont pudiquement désigné sous le vocable d’« assouplissement quantitatif » est appelé « répression financière » par les détenteurs de capitaux, notamment au « nord », qui ont vu fondre les rendements de leurs placements sûrs, destinés à assurer leur retraite par exemple. Ce sentiment de rapt financier est aujourd’hui renforcé par l’inflation qui, dans certains pays de la zone euro dépasse 10%.
La BCE est donc coincée entre son « mandat explicite » qui lui commande d’amener l’inflation à 2% – donc à procéder à une hausse des taux – et son « mandat implicite » qui est de sauver l’euro, ce qui lui commande, au contraire, de maintenir des taux bas pour permettre aux émetteurs souverains du sud de la zone euro – dont les stocks de dette ont explosé au passage à l’occasion du Covid-19 – de se financer à un coût acceptable.
Quoi qu’il en coûte… pour maintenir l’euro
Peu d’hommes politiques ont aussi bien résumé l’opposition entre le nord et le sud de la zone euro que l’ancien ministre néerlandais des Affaires sociales et de l’Emploi, Bert de Vries, jadis ardent partisan de la « construction européenne ». Dans un entretien au journal néerlandais Trouw, il avait répondu ceci à la question « pourquoi regrettez-vous la création de l’euro ? » :
« Le projet est au point mort, il ne peut pas continuer ainsi. Il existait déjà d’énormes tensions entre les Etats membres du nord et du sud et ces tensions ont été exacerbées par la crise du coronavirus. Les pays du sud sont si incroyablement plombés par leurs dettes publiques qu’ils ne peuvent plus la gérer par eux-mêmes ; ils veulent l’aide des pays du Nord, mais ils ne l’obtiennent pas, ou ne l’obtiennent pas suffisamment, et le traité de Maastricht l’interdit également.
La Banque centrale européenne apporte alors son aide, mais la Cour constitutionnelle allemande vient de trancher [NDLR : en mai 2020] que cela ne doit pas aller au-delà de son mandat.
Tout est rendu secondaire pour maintenir cette union monétaire à tout prix. Nous n’obtenons plus d’intérêts sur nos économies, nos retraites sont réduites, les entreprises sont encouragées à s’endetter, et tout cela pour maintenir les taux d’intérêt suffisamment bas pour que la dette nationale de l’Italie reste gérable. Tôt ou tard, cela va très mal finir. Ce n’est pas durable. »
C’était en mai 2020. Depuis, les contradictions de l’euro se sont largement aggravées. Cette situation ne pourra pas durer éternellement.