La Chronique Agora

De quels outils disposent encore la Fed ou la BCE ?

▪ La rumeur court à travers les salles de marché depuis ce week-end : le QE de la BCE pourrait être étendu.

Benoit Coeuré a confirmé lundi matin sur CNBC la teneur des propos de Mario Draghi au sommet de Lima dimanche. Il tempère toutefois cette promesse implicite d’un luxe de précautions oratoires.

La BCE voudrait être sûre de se retrouver confrontée à une résurgence des pressions négatives sur la croissance et l’inflation ; il faut laisser au demi-trillion d’euros (500 milliards) déjà injecté le temps de produire ses effets.

La volatilité a fait son retour sur les marchés mais c’était anticipé par Mario Draghi dès le printemps dernier. La tendance devient plus chaotique sur les actions et le high yield mais les dettes souveraines demeurent des actifs "sûrs" et un calme absolu règne sur la parité euro/dollar cette année. Il apparaît prématuré de modifier la vitesse de rotation de la plancher à billets.

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Si jamais les signaux économiques tardaient à confirmer des perspectives économiques médiocres, les marchés pourraient s’impatienter. La Fed a pu se saisir du prétexte chinois pour passer son tour en septembre, il va lui falloir trouver autre chose pour fin octobre.

Avec un peu de chance, les trimestriels publiés ces prochains jours pourraient être décevants.
C’est la semaine des résultats des banques "too big too fail" et les profits pourraient avoir souffert des récentes turbulences boursières et obligataires.

Mais les analystes se sont empressés d’abaisser leurs prévisions depuis le 24 août dernier… et ils sont bien fichus d’avoir visé tellement bas (c’est devenu systématique depuis 2009, cela devient caricatural depuis 2013) que Wall Street risque de se retrouver en porte-à-faux avec des trimestriels "meilleurs que prévus".

Quel argument pourrait bien trouver la Fed pour repousser une normalisation au-delà de fin 2015 ?

Imaginez que ce taux de "bonnes surprises" flirte avec — ou dépasse — les 75% comme au deuxième trimestre dernier. Quel argument pourrait bien trouver la Fed pour repousser une normalisation au-delà de fin 2015 ?

Elle pourrait bien entendu dire la vérité : que le véritable taux de chômage est à 20% aux Etats-Unis… que la précarité ( la flexibilité du marché du travail en langage politiquement correct) prolifère… que les classes moyennes basses décrochent massivement vers la catégorie "sous-prolétariat"… que les pressions déflationnistes deviennent très anxiogènes dans l’ensemble des économies développées.

Mais elle ferait ainsi l’aveu de l’échec complet de tous les QE qui ont succédé au seul qui reste techniquement justifiable : éviter l’effondrement du système bancaire.

▪ La fin du spectacle ?
Ben Bernanke — qui vient de publier son premier bouquin (Le courage d’agir) depuis le passage du témoin à Janet Yellen — se demande presque à haute voix s’il n’aurait pas fallu laisser les banques responsables du désastre faire faillite, sous la protection de l’Etat comme en Angleterre, et mettre davantage de banquiers véreux en prison.

Il se défausse de la responsabilité de leur avoir sauvé la mise avec l’argent des contribuables du fait de "choix politiques" dont il s’est contenté de prendre acte, en s’abstenant bien de les approuver.

En revanche, il ne s’est pas privé de se vanter d’avoir sauvé le monde, d’avoir inauguré une nouvelle ère en matière de politique monétaire non conventionnelle dont il se félicite d’être l’architecte, instruit des erreurs commises par ses prédécesseurs dans les années 30. Il a pu expérimenter ses théories sur les bienfaits de la profusion des liquidités "dans les conditions du direct".

C’est donc à Janet Yellen que revient le rôle ingrat de réduire le rythme des rotatives, de retirer le bol de punch. Et cela tout en essayant de convaincre que la Fed reste accommodante, qu’elle sait comment il convient de mener sa barque… et quand il faudra hisser le spinnaker (monter les taux).

De nombreux commentaires de professionnels de la finance qui ont profité sans vergogne des QE rejoignent désormais les nôtres : la planche à billets est un échec, toutes les classes d’actifs financiers affichent des niveaux de valorisation vertigineux.

Les banques centrales ne disposent — de leur propre aveu — d’aucun outil approprié pour empêcher la formation des bulles

Les banques centrales ne disposent — de leur propre aveu — d’aucun outil approprié pour empêcher la formation des bulles, excepté bien sûr la hausse des taux… ce qui n’est absolument plus envisageable tant le coût de dette est devenu insoutenable pour les Etats.
La confiance dans les banques centrales chancelle ? Leur infaillibilité ne fait plus guère illusion ?

Cela viendra, c’est inéluctable… mais le public un peu averti s’attend à voir encore pas mal de lapins sortir du chapeau. Il serait étonnant que le rideau rouge tombe brutalement sur le show de ces illusionnistes (Fed, BoJ, BCE) qui ont longtemps fait danser les marchés au bout de leurs ficelles.

Si la fameuse confiance s’était évaporée comme certains le redoutaient après la reculade de la Fed mi-septembre, les marchés auraient pu amorcer ces derniers jours une correction autrement plus brutale que celle imputée à la Chine, avec le dossier syrien.

▪ Un sujet autrement plus explosif
Les marchés qui n’aiment pas l’incertitude se retrouvent confrontés à un scénario de type "trois guerres en une"… où les risques de dérapage sont tellement nombreux que l’absence d’embrasement généralisé du Proche-Orient tient déjà du miracle.

La Syrie est devenue le principal terrain d’affrontement par procuration de Téhéran (qui cherche à asseoir la suprématie du chiisme au Proche-Orient) et de Riyad (qui veut y faire triompher le sunnisme).

C’est également le terrain d’affrontement à distance entre Washington (principal soutien de l’Arabie Saoudite) et Moscou (allié historique de l’Iran, soutien d’Assad qui leur procure leur seule base militaire dans la région, et protecteur des chrétiens orthodoxes de Syrie).

C’est enfin le terrain d’affrontement entre le Hezbollah (chiite) et Daesh/EIL (sunnite), puis entre Daesh et Al-Qaida (pour la suprématie de l’influence de l’islam radical)… sans oublier Assad qui s’appuie sur le Hezbollah et la population alaouite pour combattre les factions rebelles sunnites (dont certaines ont été instrumentalisées par Damas pour se combattre entre elles).

Depuis lundi, Washington exige de Moscou l’arrêt des frappes en Syrie

Et depuis lundi, Washington exige de Moscou l’arrêt des frappes en Syrie.

Seraient-elles trop efficaces et trop meurtrières parmi les radicaux "modérés" (par opposition aux "radicaux" jugés trop… radicaux) soutenus par l’Occident depuis le début de la déstabilisation du régime d’Assad ?

Souvenons-nous de ce bon mot d’Henry Kissinger concernant les modérés du monde islamique (il visait à l’époque l’Iran) : "un modéré, c’est un musulman qui pense que les membres d’un peloton d’exécution doivent être démocratiquement élus".

Pour achever de complexifier le tableau, les frontières tracées par les Etats-Unis entre milices infréquentables (mais auxquelles il est possible de s’allier temporairement et en se bouchant le nez) et milices absolument infréquentables (vu le nombre d’atrocités commises, mais ça on ne le découvre qu’A posteriori) s’avèrent mouvantes.

Tout revirement d’alliance sera vécu comme une trahison de la part de l’Amérique, et sanctionné par de multiples projets d’actions terroristes sur le sol américains ou celui de ses principaux alliés européens.

Vous pressentez déjà quelle sera ma conclusion : le marché de la "sécurité" (aéroports, reconnaissance faciale, surveillance des lieux publics) a de beaux jours devant lui… Quant à celui de l’armement sous toutes ses formes, il pourrait connaitre un nouvel âge d’or dont les récentes ventes de Rafales, de vedettes Mistral, de drones tueurs, de systèmes d’écoute et de brouillage (guerre électronique) pourraient ne constituer que les prémices.

Bon, en même temps, il faut posséder une éthique personnelle suffisamment flexible pour passer sans état d’âme des biotechs, des équipementiers autos ou des lunetiers aux marchands de canons.

Mais soyez assuré que de Wall Street à la City, ce genre d’arbitrage n’empêchera pas beaucoup de gérants de dormir.

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