La Chronique Agora

D’où vient la hausse des prix de l’énergie ?

prix pétrole

Les Etats-Unis portent une part de responsabilité considérable, pour ne pas dire écrasante, dans l’envolée des coûts de l’énergie depuis l’automne 2020.

Une triple responsabilité même : tout d’abord, les besoins énergétiques domestiques du pays ont été sous-estimés, compte tenu de la rapidité de la reprise. La nouvelle équipe au pouvoir a en effet laissé les stocks de pétrole (qui étaient à saturation durant l’été 2020) s’amenuiser à un rythme accéléré, alors qu’une succession de cyclones estivaux touchant le golfe du Mexique n’a pas manqué de perturber la production et les activités de raffinage dans les Etats voisins à plusieurs reprises cet été.

Ensuite, deux alliés des Etats-Unis, l’Ukraine et la Pologne, ont maintenu la pression sur Bruxelles et sur l’Allemagne afin de retarder la mise en service du gazoduc Nord Stream-2, désormais opérationnel et en « pré-service ». Il suit le même trajet sous la Baltique que son jumeau Nord Stream-1 (inauguré en 2012), entre la région de Saint-Pétersbourg et Lundmin (nord de l’Allemagne).

Varsovie et Kiev sont les deux grands perdants résultant de la mise en service ce tube de 1 230 km et d’une capacité de transport de 55 milliards de m3 de gaz. Il permet en effet de contourner ces deux pays et les prive de centaines de millions de dollars de « droit de transit » par les gazoducs existants.

L’un de leurs recours était d’ordre juridique : Nord Stream-2 a été en grande partie financé (c’est un projet à 10 Mds$) et reste exploité côté russe par le groupe Gazprom, alors que de nouvelles lois européennes lui interdisent d’en conserver l’exclusivité et d’exclure de fournir tel ou tel pays. Gazprom a également introduit des recours, mais a bien conclu un partenariat de distribution avec OMV, Wintershall-Dea, Uniper, Shell et le français Engie.

Moscou se renforce dans la Baltique

L’autre obstacle est d’ordre géostratégique : Moscou se propose d’équiper la flotte russe de la Baltique avec davantage de sous-marins, d’avions et de systèmes de surveillance océanique afin « d’assurer la sécurité du gazoduc ». Une façon habile de renforcer sa doctrine de surveillance des activités maritimes de surface et sous-marines des flottes occidentales : cela renforcerait une militarisation de la Baltique, ce que la Pologne et les pays Baltes dénoncent avec force (le Danemark émet également d’importantes réserves).

En ce qui concerne l’Ukraine, elle s’estime trahie par Joe Biden, qui a levé les sanctions mises en place par Donald Trump, ce qui a permis à Poutine de finaliser la construction du gazoduc.

Washington tente de calmer son allié est-européen en veillant à ce que l’Allemagne négocie la garantie de la poursuite d’une partie significative de ses approvisionnements (40 milliards de m3 de gaz) sur le long terme via l’Ukraine.

Ces tractations prennent du temps et retardent la mise en service du gazoduc, ce qui arrange par ailleurs les affaires des producteurs de gaz liquéfié américains, lesquels aimeraient également convaincre les européens d’acheter une partie de leur production, afin de réduire leur dépendance envers la Russie de Poutine.

Donc, en ce milieu d’automne, faute de gaz en quantité suffisante, certains pays d’Europe doivent se tourner vers les centrales au fioul, ce qui renforce la demande de pétrole… et la hausse des prix.

La production américaine de pétrole a chuté

Si le pétrole se fait lui aussi plus rare, c’est parce que les Etats-Unis, premier producteur au monde en 2019, ont vu leur production chuter à partir de fin 2020 pour cause de décisions politiques. Le pays a ainsi rétrogradé à la 3ème place, derrière l’Arabie saoudite et la Russie.

Joe Biden avait inscrit dans ses promesses de campagne le blocage de la délivrance de nouveaux permis d’exploitation de gaz de schiste (mais seulement sur les terrains appartenant à l’Etat) en expliquant que « le changement climatique est une menace existentielle pour l’humanité et nous avons l’obligation morale de nous en occuper ».

Les écologistes viennent d’obtenir plus : l’assurance que la perte de production par le fracking (la méthode de production du pétrole de schiste) ne sera pas compensée par de l’exploitation pétrolière plus conventionnelle.

Greenpeace a remporté en août dernier une importante victoire juridique contre le projet Willow de prospection de nouveaux gisements en Alaska par ConocoPhillips (qui avait obtenu le feu vert de Donald Trump). Le juge en charge du dossier a donné raison aux écologistes qui se battaient contre ce projet susceptible de « renforcer l’indépendance énergétique des Etats-Unis », selon l’ancien président, qui prédisait une production de 100 000 barils par jour générant 10 Mds$ de recettes publiques.

Il semblerait que l’administration Biden renonce à former un recours à l’issue de la période de réflexion qui expirait mi-octobre et accepte la décision de la cour fédérale de stopper le projet Willow, au grand dam des autorités de l’Alaska, qui avaient le soutien d’une majorité d’électeurs de l’Etat. Ils avaient en revanche contre eux quelques communautés autochtones épaulées par Greenpeace. Le tout sous le regard bienveillant des conseillers « écolos » de la Maison Blanche, heureux de fournir des gages de préservation de la planète à Joe Biden juste avant son déplacement à Glasgow pour la COP-26.

Vu la priorisation des investissements dans les « énergies durables », combien d’autres procédures vont-elles être intentées contre les projets de développement des groupes pétroliers US ?

L’influence des écologistes réjouit les pays producteurs de pétrole

Pour une fois que le « prix marché » rendait l’extraction du « shale oil » vraiment rentable depuis octobre 2014, ça tombe mal.

Et la chute des réserves stratégiques américaines de « brut » tombe tout aussi mal : avec 1,7 million de barils en moins au 21 octobre, les réserves d’essence ont carrément fondu de 5,4 millions de barils. Il n’y a donc plus d’autre choix que d’en commander davantage auprès des pays du Golfe, qui se réjouissent de l’influence grandissante des écologistes – jouant sur la corde sensible du réchauffement climatique – au sein des démocraties occidentales.

Le souci du moment, c’est de se payer un plein de 50l à 100 € afin de se rendre à son boulot pour espérer gagner juste assez pour se chauffer cet hiver… Ce qui devient hors de prix pour des millions de ménages, y compris dans un pays « riche » comme la France. Et à aucun moment les membres du gouvernement n’envisagent qu’au lieu d’accélérer notre croissance jusque vers 7% – comme cela a été claironné le 28 octobre – cela pourrait la freiner en-deçà des 6% espérés initialement.

Les consommateurs américains ressentent cependant avec encore plus d’acuité la hausse actuelle de l’énergie, car elle est mécaniquement beaucoup plus dépendante du prix du baril que celle qui sévit en Europe. En effet, la hausse se trouve ici « diluée » dans les taxes, qui sont deux fois plus élevées dans la plupart des pays de l’UE (sauf Luxembourg et Espagne) qu’aux Etats-Unis.

Sous l’effet de ciseaux des pénuries de composants électroniques, de la hausse des carburants et de l’arrêt des aides fédérales fin août (en octobre, les revenus des ménages ont par exemple chuté de 1%), la croissance américaine a fortement ralenti au troisième trimestre, chutant de 6,7% à 2%. Le mois de septembre trahit ainsi une inflexion négative de la consommation (qui représente un peu plus 70% du PIB américain) qui risque de s’aggraver cet automne.

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