Agents secrets, morts mystérieuses et la suite de l’histoire…
Cette semaine, nous sommes interrogés sur les origines du réseau Agora ou du moins, sur l’industrie dont nous faisons partie depuis près de 50 ans. Sa genèse a débuté à la fin des années 1930.
Patrick Maitland était le 17e comte de Lauderdale, en vertu duquel il était également le chef du clan Maitland. Il a étudié à Oxford au début des années 1930… puis est devenu journaliste, travaillant pour un obscur bulletin d’information diplomatique, The Fleet Street Letter. C’est ainsi qu’il rejoignit la compagnie sacrée des génies occasionnels du domaine de la lettre d’information.
Nous avons acheté The Fleet Street Letter en 1993. Lord Rees-Mogg, notre partenaire commercial de longue date, en est devenu le président.
Mais revenons-en aux années 1930…
Le coeur du sujet
A l’époque, Maitland considérait que le rôle d’une lettre d’information était, comme aujourd’hui, d’aller au coeur des faits, de rejeter la propagande officielle et de dire la vérité, contrairement aux torchons grand public. Et il l’a fait en allant lui-même sur le terrain, tout en sachant qu’il pourrait s’attirer des problèmes.
Au milieu des années 1930, l’Allemagne, l’Italie et le Japon étaient en train de s’armer. Leurs dirigeants portaient des uniformes, organisaient des rassemblements de masse, excitaient les foules et se présentaient comme les maîtres de la guerre. Mais lorsque Neville Chamberlain revient de Munich et annonce qu’il y aura « la paix pour notre temps », Mailtand a des doutes. Il décide d’en avoir le coeur net. Il se rend en Italie. Il observe, il écoute. A son retour à Londres, il annonce que la « paix » est une illusion ; Mussolini veut la guerre. La Grande-Bretagne devait s’y préparer.
Bien sûr, il avait raison. La presse grand public dépend de la publicité. Et les annonceurs veulent l’imprimatur d’une publication grand public. Après tout, si vous voyez une publicité dans le New York Times, c’est qu’elle est légitime ! Les publications grand public cherchent à satisfaire à la fois les annonceurs et les lecteurs en s’en tenant à des sujets qui ne les questionne pas, ni ne les irrite. Les lecteurs obtiennent ce qu’ils veulent, ce qu’ils attendent… et ce que le journal veut qu’ils aient. Le New York Times aujourd’hui, par exemple, fait passer les agissements de l’élite et du gouvernement pour de l’information. « L’administration Biden a fait ceci… Le secrétaire d’Etat Blinken a dit cela… » Etc.
Les chroniqueurs et les pom-pom girls expliquent pourquoi le point de vue de l’élite est correct et pourquoi les opposants sont idiots, méchants ou stupides. Les lecteurs, qui n’ont pas d’autre source de faits ou d’opinions, se rangent derrière leurs leaders d’opinion.
Les lettres d’information, quant à elles, sont écrites pour quelques personnes, et non pour le plus grand nombre. Elles ne cherchent pas à plaire aux annonceurs, car elles n’en ont pas. Au contraire, elles présentent des points de vue contradictoires, alternatifs… souvent des points de vue qui mettent les lecteurs mal à l’aise. Ils creusent un peu plus profond, retournent les pierres pour voir les choses visqueuses qui se trouvent en dessous et essaient d’aider leurs lecteurs à comprendre ce qui se passe vraiment.
Le pouvoir et la gloire
Maitland a réalisé un autre gros coup… un « scoop » comme on dit dans le journalisme… après la seconde guerre mondiale. Les Etats-Unis ont fait la démonstration de leur bombe atomique dévastatrice, gardée sous haute surveillance. Aucune autre nation ne la possédait. Mais en 1950, Maitland a été l’un des premiers à annoncer que l’Union soviétique disposait d’un modèle opérationnel. C’était une grande nouvelle. Comment Maitland l’aviait-t-il découvert ? Nous ne le savons pas, mais voici un indice : il a engagé un journaliste très spécial, originaire de Cambridge, Kim Philby.
C’est là que l’histoire devient intéressante. Philby était un espion soviétique, l’un des « Cinq de Cambridge » qui ont infiltré les services secrets britanniques et travaillé comme taupes pour la police secrète soviétique. Il écrivait également pour The Fleet Street Letter.
Philby a ensuite travaillé à l’ambassade britannique à Washington. C’est là qu’il fait la connaissance d’un jeune et talentueux agent de la CIA, James Jesus Angleton. Les deux hommes semblaient bien s’entendre. Nous n’avons aucune idée des secrets qu’ils partageaient.
Mais Angleton était une personne compliquée qui divisait. Et après un certain temps, il a fini par diviser la CIA en deux factions : les pro-Angletons et les anti-Angletons. Angleton lui-même est devenu étrange, et moins fiable. Il avait été placé à la tête de l’unité de contre-espionnage de la CIA, où l’on cherchait à débusquer les agents doubles. Il en voyait partout. Il a affirmé que le Premier ministre anglais, Harold Wilson, était un espion soviétique. Même chose pour le Premier ministre du Canada, Lester Pearson.
La rumeur veut que, dans sa quête effrénée d’identifier des ennemis potentiels, il ait fini par devenir un « voyou ». On disait qu’il travaillait avec la mafia et avec des exilés cubains.
A cette époque, la CIA était remarquablement incompétente. Elle a ourdi plus de 600 complots différents pour tuer Fidel Castro. Tous ont échoué. L’opération de la Baie des Cochons a été un désastre.
John Kennedy, président à l’époque, n’a été informé de l’invasion de la Baie des Cochons que lorsqu’elle était déjà en cours. Furieux, il a juré publiquement de « réduire (la CIA) en mille morceaux ».
Quelques mois plus tard, il a été assassiné. RFK Jr. pense que la CIA est impliquée dans le meurtre de son oncle. Et c’est Angleton qui est pointé du doigt.
Notre homme dans le Maryland
En 1975, le sénateur Frank Church en est venu à penser qu’il était temps de mettre la CIA sous contrôle. Son « Comité Church » a organisé des auditions et a découvert que de nombreuses rumeurs étaient fondées. L’un des témoins les plus importants était, bien entendu, le directeur de la CIA de l’époque, William Colby. Colby a bénéficié d’un privilège spécial. En tant que directeur d’une opération secrète en cours, ses témoignages étaient limités. Mais ce qu’il a rapporté… et ce qu’il a entendu… a suffi à lui donner envie de faire le ménage. Il a donc viré Angleton.
À ce moment-là, Kim Philby avait fait défection à Moscou. Et désormais, Angleton prenait lui aussi sa retraite – du moins, c’est ce qui avait été annoncé. Il a en fait été réintégré à la CIA dans le cadre d’un accord officieux, et a vraisemblablement repris ses activités antérieures.
Quelques années plus tard, Bill Colby a lui aussi pris sa retraite. Mais il n’a pas non plus arrêté de travailler. Il nous a rejoints en tant que consultant. Comme toujours, nous essayions de « relier les points » entre eux. Et nous avons pensé que Colby avait peut-être des contacts qui nous manquaient. Mais soit il était trop prudent pour nous dire grand-chose… ou il ne savait pas grand-chose.
Nos rendez-vous avec Colby se passaient généralement chez lui, à Georgetown. Mais il avait aussi une maison dans le Maryland, au bord de la baie de Chesapeake. C’est là, un jour, qu’il s’est préparé son petit déjeuner habituel. Puis, pour une raison inexplicable, il semble avoir décidé de partir se balader en canoë, laissant son petit-déjeuner intact. Une tempête soufflait, mais cela ne l’a pas arrêté.
Son corps a été retrouvé deux jours plus tard… échoué sur la plage.