La Chronique Agora

« L’or n’a pas de valeur réelle » : mythe ou réalité ?

or physique

Un marchand d’or vous a peut-être déjà affirmé que l’or a une valeur intrinsèque, tandis que des investisseurs ou économistes vous soutenaient le contraire. Alors, qu’en est-il vraiment ?

D’aucuns estiment que le métal jaune a une valeur réelle, ou intrinsèque. D’autres, non.

Pour tenter de mieux comprendre ce débat, commençons par nous entendre sur le terme « valeur ». Prenons comme point de départ la définition du Larousse :

« Valeur : ce que vaut un objet susceptible d’être échangé, vendu, et, en particulier, son prix en argent : Terrain qui a doublé sa valeur. Synonymes : cote – cours – prix. »

Déjà, nous avons un souci, car le prix et la valeur ne peuvent pas être synonymes, en l’occurrence. En effet, pour l’or, son prix s’exprime en devises, généralement en dollars, tandis que sa valeur s’exprime en ce qu’elle vous permet d’acheter.

En période d’inflation, alors que la monnaie papier perd de sa valeur (c’est-à-dire de son pouvoir d’achat), cette différence de taille prend tout son sens.

Ensuite, une valeur « intrinsèque », c’est quoi exactement ?

En cherchant un peu, je trouve que la valeur intrinsèque d’un actif est sa valeur effective. Mais encore ?

Cela devient vite flou, car cela dépend de l’actif dont nous tentons d’apprécier la valeur, que ce soit une action, une option, une entreprise, de l’or…

A la source de la valeur : que contient l’actif ?

Par exemple, nous pouvons lire dans le magazine Capital que la valeur intrinsèque d’une action s’obtient en divisant l’actif net de l’entreprise par le nombre de ses actions.

La valeur intrinsèque d’une option est le bénéfice qui pourrait être réalisé en exerçant l’option immédiatement, sur la base de la valeur de marché actuelle de l’instrument sous-jacent.

La valeur intrinsèque d’une pièce de monnaie est la valeur du métal qu’elle contient. Pour une pièce d’une valeur faciale de 1 €, par exemple, c’est environ 5 centimes (elle se compose de cuivre, zinc et nickel, pour un total de 7,5 grammes).

En revanche, une pièce d’or American Gold Eagle pèse 31,10 grammes, affiche une valeur faciale de 50 $ et a une valeur intrinsèque de plus de 1 800 $ au moment d’écrire ces lignes.

La valeur intrinsèque s’inscrit dans la théorie de la valeur objective, qui nous apprend que la valeur d’un bien ou d’un service est intrinsèque quand elle peut être estimée à l’aide de mesures objectives. Par exemple, le travail qu’il a fallu mettre en œuvre pour produire ce bien.

Nous pensons alors naturellement à Karl Marx (1818-1883), mais le libéral Adam Smith (1723-1790) avait déjà formulé cette théorie avant lui. Pour eux, la valeur d’échange d’un produit n’est pas fonction de son utilité.

Comme l’illustre le paradoxe de l’eau et du diamant développé par Adam Smith dans sa Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776) :

« Il n’y a rien de plus utile que l’eau, mais elle ne peut presque rien acheter […]. Un diamant, au contraire, n’a presque aucune valeur quant à l’usage, mais on trouvera fréquemment à l’échanger contre une très grande quantité d’autres marchandises. »

C’est alors davantage la rareté qui détermine cette valeur, et la quantité de marchandises échangées.

David Ricardo abonde dans ce sens dans Des principes de l’économie politique et de l’impôt (1817) :

« Ce n’est donc pas l’utilité qui est la mesure de la valeur échangeable, quoiqu’elle lui soit absolument essentielle. […] Les choses, une fois qu’elles sont reconnues utiles par elles-mêmes, tirent leur valeur échangeable de deux sources, de leur rareté, et de la quantité de travail nécessaire pour les acquérir. »

Pour l’or, la rareté et le travail nécessaire à son extraction et à sa transformation suffisent-ils à lui conférer une valeur objective, et donc intrinsèque ?

La valeur subjective de l’école autrichienne

Considérer que l’or a une « valeur réelle », c’est souscrire à l’idée qu’une matière première ou une monnaie possède une valeur au-delà de celle que les êtres humains lui confèrent à un moment donné.

En face de la valeur objective, nous trouvons logiquement le concept de valeur subjective, que nous devons à l’école autrichienne, représentée – entre autres – par Ludwig von Mises (1881-1973) et Carl Menger (1840-1921).

Pour eux, la valeur réelle n’existe pas. Elle est subjective et dépend de l’utilité et de la rareté. La valeur est dans l’œil de l’observateur.

Mais pourquoi l’or a-t-il de la valeur ?

La valeur de l’or (et de l’argent) découle de sa grande capacité à être échangé, car il constitue une excellente forme de monnaie, même si nous l’avons oublié et ne l’utilisons plus pour cela.

Aristote a défini la monnaie d’après trois critères à satisfaire : unité de compte, réserve de valeur et intermédiaire d’échanges. Le métal jaune présente toutes les qualités d’une monnaie saine :

De plus, l’or peut se trouver dans la nature dans un état qui permet directement son utilisation (pépites, paillettes, poudre…).

La valeur historique de l’or

Le métal jaune a de la valeur pour des êtres humains depuis au moins quelques milliers d’années, mais il était déjà connu des hommes bien avant. Ainsi, de petites quantités d’or à l’état naturel ont notamment été trouvées dans des grottes en Espagne qui avaient été habitées pendant la fin de la période paléolithique, vers 40 000 av. J.-C.

Des objets en or ont fait leur première apparition au tout début de la période pré-dynastique, en Égypte, à la fin du cinquième millénaire av. J.-C. La fonte a ensuite été développée au cours du quatrième millénaire, tandis que des objets en or apparaissent dans l’archéologie de la Basse Mésopotamie à la même époque.

La plus ancienne trace d’un rapport de valeur entre l’or et l’argent remonte à 3 100 av. J.-C. environ, dans le code de Ménès, le fondateur de la première dynastie égyptienne. Il y est indiqué qu’une part d’or a la valeur de deux parts et demie d’argent. Il s’agit de notre plus ancienne trace d’un rapport de valeur entre l’or et l’argent.

Ainsi, la raison pour laquelle l’or a de la valeur depuis des milliers d’années réside en partie dans la psychologie et la nature de l’expérience humaine.

Cependant, il importe peu que l’or ait une valeur réelle, intrinsèque, objective, subjective, d’échange, d’usage ou autre. L’important est de savoir que l’or possède de la valeur et dans quelle mesure il est susceptible d’en gagner ou d’en perdre en fonction des cycles.

En fin de compte, c’est grâce à son pedigree que je choisis de posséder de l’or. Car si, un jour, l’or ne vaut plus rien, c’est que tout le reste aura perdu de sa valeur avant lui.

Quand la monnaie elle-même est malade, ne vaut-il pas mieux se protéger en s’en remettant à la plus ancienne d’entre elles ?

Un investissement pour transmettre de la valeur

A court ou moyen terme, le prix de l’or peut fluctuer. Peu importe. Les cycles des métaux précieux et des matières premières en général sont des cycles longs, voire très longs.

C’est une base de portefeuille, un outil de diversification idéal pour transmettre de la valeur dans le temps et à peu près partout sur Terre.

Alors, en effet, l’or ne se mange pas. Mais il pourrait bien vous permettre d’obtenir un bon steak en échange…

Pour conclure, même si l’or n’a pas de valeur « réelle », il n’en a pas besoin.

Peu importe les querelles de clocher des différentes écoles d’économie. Cela peut être intéressant de disserter sur la théorie, mais, en l’occurrence, une bonne stratégie se fonde sur des éléments pragmatiques.

Donc je choisis de posséder de l’or, car toutes les monnaies actuelles sont malades et le métal jaune est le meilleur moyen de sortir de ces monnaies tout en étant capable de stocker une grande quantité de valeur dans un volume réduit, reconnu partout dans le monde, depuis des milliers d’années, et de transmettre cette valeur aux générations futures.


[NDLR : Retrouvez plus d’analyses et de recommandations de Vincent Denis sur son site, www.goldconsulting.be]

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