La Chronique Agora

On n'arrête pas le progrès

** Les principales places boursières mondiales subissent un déclin majeur. Les plus durement atteintes pour l’instant sont celles d’Extrême-Orient. Parmi les marchés asiatiques, seul le Vietnam semble être en rémission. Les marchés européens ont perdu entre 20% et 25%, mais Shanghai a perdu 40%… tandis que le Vietnam a reculé de plus de 50%.

* "L’action américaine pour les organismes de prêt calme des marchés tendus", titrait le International Herald Tribune. "Le sauvetage de Fannie Mae et Freddie Mac se répercute partout dans le monde".

* Le Financial Times portait un autre regard sur la situation : "les banques US souffrent alors que le renflouage n’apaise pas la nervosité", commence l’article en couverture. En dépit du sauvetage de Fannie et Freddie, les banques américaines comme Washington Mutual et National City reculent à la suite de l’effondrement d’IndyMac.

* Et où est ce dollar fort dont Bernanke et Paulson nous rebattent les oreilles ? Il était censé grimper… après que les officiels américains ont annoncé un changement de politique. Les autorités allaient lutter contre l’inflation, vous vous souvenez ? Henry Paulson a déclaré qu’un dollar fort était dans l’intérêt des Etats-Unis… et qu’il n’y aurait plus d’entourloupettes avec le billet vert. Promis juré. Croix de bois, croix de fer.

* Et pourtant, le dollar continue de chuter. Il vaut moins de 1,59 par euro — tandis que l’or grimpe.

** Nous allons essayer de rester concentré ce matin. Mais comment y parvenir ? Partout où nous portons notre regard, il y a tant de délicieuses distractions… tant d’exquise ironie… tant de pieds dans tant de plats… Comment pouvons-nous ne pas en rire ?

* Aujourd’hui, nous rions d’Henry Paulson. Dès que notre homme est un peu sous pression, il cède aux forces du gouvernement "foule-ocratique" moderne. Faire partie du secteur de la "libre entreprise" était parfait pour les deux plus grands prêteurs hypothécaires des Etats-Unis — tant qu’ils avaient le vent en poupe. Fannie et Freddie n’étaient que des parties importantes du secteur financier. Ils aidaient à "allouer du crédit" aux gens qui en avaient besoin. Jouer les rabatteurs de crédit était payant depuis les années 80. Depuis 2002, ça payait carrément bien — jusqu’à il y a un an environ. Alors qui pourrait en vouloir à Daniel Mudd de s’être octroyé un salaire de 13,4 millions de dollars en 2007 en tant que PDG de Fannie Mae ? Qui serait assez ronchon pour se plaindre des 18,3 millions de dollars obtenus par Dick Syron, de Freddie Mac ? On les récompensait simplement pour leurs bonnes performances, non ?

* Eh bien, pas exactement. Le salaire de Syron a grimpé de 25% l’an dernier — alors que la société passait d’un profit de 2,3 milliards de dollars en 2006 à une perte de trois milliards en 2007. Et M. Mudd a été augmenté de 7% tandis que l’entreprise annonçait une perte de 2,1 milliards de dollars et que les actionnaires voyaient leurs titres amputés de 33%.

* D’accord… peut-être que les actionnaires les ont un peu sur-payés. Mais c’est comme ça que fonctionnent les salaires sur le marché libre : on repart avec ce sur quoi on peut mettre la main. Tant mieux pour eux ! Et puis ils aidaient toute la machine du capitalisme à rendre les Américains plus riches ; c’est pour ça qu’ils ont attribués tous ces juteux contrats de consulting à d’anciens membres du Congrès US. C’est pour ça qu’ils ont dépensé des millions en lobbying… poussant les politiciens à protéger le marché du prêt hypothécaire à tout prix.

* Mais que se passe-t-il ? Le vent a tourné, et la tempête souffle désormais au visage des jumeaux du prêt. Nous découvrons désormais qu’il s’agissait de sociétés "soutenues par le gouvernement" depuis le début. Elles faisaient partie du système social américain, et non du marché libre. Il s’agissait de service public — faire en sorte que les plébéiens aient un toit au-dessus de leurs têtes. Et maintenant que les deux organisations ont des problèmes, évidemment, le crédit et la confiance des Etats-Unis d’Amérique doivent être là pour les soutenir.

* "Paulson met tout le poids du Trésor US au secours de Fannie et Freddie", annonce Bloomberg.

* Partout où nous regardons, nous voyons de nouvelles preuves que les républicains post-Reagan ont abandonné la libre entreprise. Ils ont décidé que les problèmes de l’économie sont trop importants pour être laissés aux entreprises et à Wall Street. Le Congrès doit intervenir, disent les mouches du coche, afin de garantir au pays un système financier fonctionnant harmonieusement.

* Tout le monde semble être du même avis… les adeptes du marché libre ont eu leur chance. Maintenant, l’heure  est une surveillance par des adultes. Mais cette surveillance, dans un tel contexte — mettre des politiciens aux manettes de l’économie — ressemble fort à du divertissement pour adultes : une fantaisie salace.

* Tout se passe donc comme nous le prévoyions… et comme nous l’avions prédit dans ces colonnes. Que faire maintenant, sinon boucler notre ceinture de sécurité… et se préparer à profiter du spectacle ? Comme si les prétentions et les vanités de l’industrie financière n’étaient pas assez comiques… nous allons désormais assister à une farce hilarante. Ceux-là même qui ont mis en place une entreprise soutenue par le gouvernement pour augmenter le marché du prêt… et ont gonflé la bulle immobilière la plus grosse que le monde ait jamais connue… viennent à la rescousse alors que la bulle éclate.

* Comment vont-ils secourir l’industrie du prêt américaine, exactement ? Henry Paulson affirme qu’ils prêteront plus d’argent à Fannie et Freddie. Et il veut que les autorités achètent elles aussi la valeur. Cela devrait suffire. Fannie et Freddie, dans leurs beaux jours, avaient la main sur 80% de tous les nouveaux prêts hypothécaires des Etats-Unis. A présent, ils ont un livre de comptes dont le passif dépasse les 5 000 milliards de dollars — une somme équivalant à la moitié de tous les prêts hypothécaires en cours du pays… et un tiers du PIB US total.

* En d’autres termes, Fannie et Freddie sont probablement les deux sociétés les plus importantes de l’économie de consommation. A présent, près de trois décennies après la révolution Reagan, elles vont être nationalisées. On n’arrête pas le progrès.

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