La situation est tendue, pour le PDG de MicroStrategy, sur fond d’effondrement des cryptomonnaies. Mais tout cela a un air de déjà-vu…
« C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus. »
~ Warren Buffett
Même dans un monde qui grouille de messies, Michael Saylor mérite une mention spéciale.
La plupart des joueurs de flûte « n’enlèvent les enfants » qu’une fois [NDR : référence au Joueur de flûte de Hamelin, le conte des frères Grimm]. Mais lui, il l’a fait à deux reprises.
Mais notre code d’honneur nous interdit de « tirer sur quelqu’un » qui vient de perdre 90% de sa fortune. Nous attendrons que les 10% restants soient partis en fumée.
Et peut-être avons-nous tort. Hier, Saylor a assuré au monde entier que « les enfants » se portaient bien.
Selon Bloomberg :
« Le PDG de MicroStrategy, Michael Saylor, a dit aux investisseurs de ne pas s’inquiéter d’un appel de marge potentiel sur un prêt adossé à des Bitcoin, indiquant que la société disposait d’un important collatéral pour le garantir, si nécessaire.
‘Tant que le prêt Silvergate demeure garanti selon un LTV de moins de 50%, il n’y a pas d’appel de marge’, a écrit Saylor dans e-mail adressé à Bloomberg, en faisant référence au ratio prêt/valeur. ‘Nous gérons en conséquence.’ »
Des pertes sidérantes
La première fois que nous sommes tombés sur cet homme (jamais en chair et en os, cela dit), c’était il y a vingt ans. Nous venions juste de commencer cette chronique quotidienne. Nous étions assez novices, s’agissant de se moquer des gens par écrit. Il nous fallait une cible facile.
Michael J. Saylor était là.
Et le revoilà, étant cette fois l’une des plus grandes victimes de l’univers des cryptomonnaies.
Sa société est/était la troisième principale détentrice de BTC dans le monde, mais avec un prix de revient moyen d’un peu plus de 30 000 $ par jeton. Désormais, avec un Bitcoin à 20 000 $ environ, ses pertes sont stupéfiantes.
Au cours de cet intervalle de vingt ans, toutefois, nos sympathies à l’égard des chiens errants, des alcooliques et des fous se sont fortement accrues.
Après tout… « Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis… »
Alors nous évoquons son nom sans malice ni pitié. Il a fait de son mieux. Il a diverti des millions de gens, fait espérer la fortune à des milliers d’autres, et donné à quelques autres l’occasion de se réjouir du malheur d’autrui.
« Nous purgeons la planète de l’ignorance », disait-il, quand ses cheveux étaient encore sombres et son avenir radieux. Il était « en croisade pour l’intelligence », disait-il. Il voulait que l’information soit « libre… qu’elle coule comme de l’eau de source ».
C’était à la glorieuse époque de la bulle des dot-com… C’est-à-dire aux alentours de 1999. Nous n’étions pas plus intelligents qu’aujourd’hui. « Mais dans la course entre ignorance et stupidité d’un côté », écrivions-nous, « et information et intelligence de l’autre, nous savons de quelle façon parier ».
Au cours des mois et années qui ont suivi, il s’est avéré que notre pari était le bon. Le Nasdaq, où nichaient les dot-com censées éradiquer l’ignorance, a chuté. Les investisseurs ont perdu des millions. Et il a fallu des années avant que les cours ne se redressent.
L’or, en revanche, cette « relique barbare » de l’Age de l’ignorance, a prospéré. Son cours a doublé. Et doublé à nouveau…
Le club des milliardaires perdants
Et Saylor ? Que lui est-il arrivé ?
Nous puisons dans ce que nous avions écrit en 2003 :
Purger la planète de l’ignorance ? Seul un bouffon ou un charlatan dirait une telle idiotie. Saylor était clairement l’un ou l’autre, peut-être les deux. Nous ressentions également de la méfiance à l’égard d’un homme qui n’avait pas de temps à perdre avec les femmes. Perdre du temps et de l’argent avec des femmes est pratiquement une obligation morale, pour un hétéro. Mais Saylor considérait les femmes « comme une perte de temps » et les évitait. En fait, Saylor ne buvait pas, non plus, du moins pas à l’époque.
« Je pense que mon logiciel va devenir si omniprésent, si essentiel, que, s’il cesse de fonctionner, il y aura des émeutes », confiait-il au New Yorker. Un certain degré de folie constitue souvent un avantage, dans le monde des affaires et du divertissement. Mais il s’avère que Saylor avait des travers moins visibles, également… il avait dissimulé d’énormes erreurs dans les déclarations financières de sa société.
Le 15 mars [2000], une semaine avant le rendez-vous de Saylor à l’abattoir, nous nous sommes moqué de ses prétentions à l’Ere de l’information. Le jour suivant, également, nous nous sommes moqué de son idée « de cours en ligne dignes des universités de l’Ivy League ». Les formations dispensées par les universités de l’Ivy League étaient déjà assez mauvaises, avions-nous souligné, même en y assistant en personne.
La société de Saylor, MicroStrategy, a développé un logiciel qui aidait les entreprises à savoir qui achetait leurs produits.
La société a été introduite en Bourse le 11 juin 1998. Presque deux ans plus tard, le titre cotait 333 $. Saylor a gagné 1,3 Md$ supplémentaire, ce jour-là, après avoir engrangé 4,5 Mds$ la semaine précédente, sa fortune personnelle s’élevant ainsi à 13,6 Mds$. MicroStrategy, avec un chiffre d’affaires de 200 M$ seulement, et un bénéfice de 12,6 M$ déclaré en 1999, valait donc plus que DuPont.
Saylor est devenu l’homme le plus riche de la région de Washington DC… Plus riche que le fondateur d’Oracle, Larry Ellison. A 333 $, le cours de l’action MicroStrategy était aussi dingue que son PDG.
[Mais], alors que nous nous moquions de MicroStrategy, du cours de son action et de son vertigineux PDG, le reste de la presse financière faisait leur éloge. On avait du mal à trouver un article qui n’ait pas quelque chose de flatteur à dire. La langue anglaise contient des milliers de mots négatifs mais, avant le 20 mars 2000, les journalistes aux doigts barbouillés d’encre, les analystes et les présentateurs de télévision semblaient incapables d’en trouver un seul qui s’applique à Michael Saylor.
Puis, le 20 mars, sous la pression de la SEC, Michael Saylor a admis qu’il avait trafiqué les comptes des deux exercices précédents. Au lieu d’un bénéfice de 12,6 M$ en 1999, la société devait désormais assumer une perte se situant entre 34 et 40 M$. Le chiffre d’affaires, également, a été revu à la baisse.
Ce jour-là, Michael Saylor est entré dans l’histoire. Personne n’avait jamais perdu autant d’argent en si peu de temps. En six heures, sa fortune nette a chuté de 6,1 Mds$.
A partir de ce jour, la vie de Saylor a été différente. Au lieu d’être acclamé par les investisseurs et les médias financiers, il a été durement malmené. Les investisseurs ont perdu 11 Mds$. Certains d’entre eux étaient très en colère. D’autres suicidaires. « Je n’aurais jamais pensé perdre autant », a déclaré un investisseur sur le forum Yahoo/MicroStrategy. Il poursuivait en indiquant qu’il allait se suicider.
Avant ce 20 mars, Michael Saylor ne pouvait rien faire de mal, après, il ne pouvait rien faire de bien. Et surtout, le magazine Forbes l’a fait entrer dans le « Club des milliardaires perdants », avec des pertes totalisant 13 Mds$.
Mais un échec difficile fait plus de bien à un homme qu’une réussite facile. De toute évidence, Saylor est aujourd’hui un homme meilleur qu’il ne l’était il y a quelques années. « Il s’est mis à boire », raconte le Washington Post. « Au moins deux responsables de MicroStrategy ont reçu des appels de personnes s’inquiétant d’avoir vu Saylor en état d’ivresse dans un lieu public. »
Liberté et souveraineté ?
C’était il y a presque 20 ans.
Et maintenant, voilà le Tome II du roman de Michael Saylor, où notre héros imparfait opère un comeback. En fait, il a une deuxième chance de se ridiculiser… de perdre d’autres milliards… et de baratiner à propos du cyber espace.
Son action ne vaut désormais que la moitié de ce qu’elle valait il y a 22 ans. Mais il insiste sur le fait qu’elle représente une opportunité d’achat, « comme Amazon », croit-il, qui s’est effondré cinq fois avant de véritablement décoller.
En ce qui concerne le Bitcoin, il ne renonce pas : il le conserve sans capituler face à la baisse (le fameux « HODLing ») et déclare « qu’il vaut des millions de fois plus que l’or ».
Et si les choses se gâtent pour les HODLers [NDLR : ceux qui restent en position, peu importe l’importance de la baisse], ici sur la planète Terre, il y a toujours le « cyber espace », ajoute-t-il, où l’on peut trouver une véritable « liberté et souveraineté ».
A première vue, cette idée est absurde. Elle suggère qu’un homme emprisonné à Guantanamo et régulièrement torturé par ses gardiens pourrait « emménager dans le cyber espace » et y trouver « une vie décente ».
Est-ce tout ce dont vous avez besoin ? D’un ordinateur portable et d’un accès wifi ? De plus d’informations gratuites ? Plus de bitcoins ?
Nous soupçonnons que, pour des millions de personnes, le « cyber espace » est un leurre plein de vide… comme cette imitation d’insecte bariolée, lancée dans un lac de montagne, il ne mène pas à la liberté et à la souveraineté mais au fond du panier d’un pêcheur.
Pauvre M. Saylor. Ses branchies sifflent. Il est nu. Il a froid. Dieu le bénisse.