La Chronique Agora

Quand Nvidia éclipse le risque de guerre nucléaire

July 22, 2024, Paraguay. In this photo illustration, the Nvidia Corporation logo is displayed on a smartphone screen

Nvidia, maître incontesté de l’IA générative, a cette étrange faculté de transformer des événements historiques ou géopolitiques en un simple bruit de fond.

Nvidia n’a pas que le pouvoir d’augmenter la puissance des supercalculateurs sur lesquels repose l’IA « générative » ; elle a aussi le pouvoir de reléguer les réunions de la Fed au rang d’un banal rituel – où elle se contente de confirmer ce que les marchés veulent entendre – et les guerres dans le monde à un simple bruit de fond, comme si un voisin un peu sourd visionnait Apocalypse Now sur son home cinéma avec les « basses » à fond les ballons.

Parfois, les murs tremblent un peu… mais ce n’est qu’un film après tout, et à la fin, le Pentagone finit par faire éliminer le colonel Kurtz, l’une de ses créatures les plus douées dans l’art de la guerre, mais devenu une sorte de démiurge échappant à tout contrôle.

La morale du film est que les « déviants » ont toute leur place dans les projets belliqueux des Etats-Unis, tant qu’ils obéissent au doigt et à l’oeil et ne tentent pas de s’émanciper de l’Oncle Sam.

Certains vont se dire que cette digression nous éloigne un peu de la thématique « Nvidia »… mais c’était prévisible, puisque la publication de ses trimestriels ce 20 novembre se solde par un non-événement, donc cela ne va pas bouleverser Wall Street d’ici le week-end.

D’autres se diront que je tente une sorte de parallèle entre le colonel Kurtz et Wolodimir Zelensky, qui décide de « balancer tout ce qu’il a sous la main » sur les Russes (des missiles ATACMS, des Storm Shadow, et demain peut-être des « Scalps »), parce qu’il s’est cru autorisé à le faire par article de presse interposé (le New York Times faisant état d’un feu vert de Joe Biden pour des « frappes en profondeur »).

Mais la réalité – et donc le vrai souci –, c’est que personne n’est capable de prouver que ces paroles ont été prononcées par le commandant en chef, c’est-à-dire le président américain.

Pas une seule vidéo, pas un « son », pas un document paraphé de sa main, pas un seul témoin « officiel ». Concrètement et légalement, le « feu vert » de Biden n’existe pas (en revanche, l’autorisation de Washington de poser des mines anti-personnelles interdites par toutes les conventions, comme Genève, Ottawa, Oslo, est bien documentée).

Celui qui décide de faire des cratères dans le sol russe avec des missiles fournis par l’OTAN le fait de sa propre initiative, et à ses risques et périls.

En tout cas, personne ne semble s’être donné la peine de créer un « deepfake » où Biden – en vol pour le G20 au Brésil – serait filmé en train d’appeler Zelensky depuis Air-Force One en lui disant : « Vas-y, fais comme si tu voulais vraiment déclencher une troisième guerre mondiale, Poutine est un dictateur en peau de lapin, il sait qu’on est derrière toi ! Dès les premiers tirs, il va aller se planquer au fond d’un bunker au milieu de l’Oural, signer la reddition des troupes russes, te rendre la Crimée et le Donbass, avec un gros chèque de « réparations » en prime… et restaurer la propriété de BlackRock sur les dizaines de milliers d’hectares de terres céréalières que tu leur as vendues. » (Ceci est bien sûr un dialogue imaginaire parodique, destiné à vous faire sourire : tout lien avec des événements du passé ou du présent relèverait d’une pure coïncidence.)

Mais attention tout de même, l’IA est aujourd’hui si performante qu’il faudrait une armée d’experts pour déterminer qu’un tel document vidéo est un gros fake… et quiconque le prétendrait serait traité de « complotiste » (jusqu’à ce que la vérité éclate, ce qu’elle finit toujours par faire, même si c’est trop tard pour changer le cours de l’Histoire).

L’évocation de l’IA constitue la transition toute trouvée pour en revenir à Nvidia, et nous permet de confirmer que la publication de ses trimestriels vers 22h15 ce mercredi a éclipsé tous les autres sujets d’actualité, et notamment le 1 001 e jour de guerre en Ukraine… et un peu sur le sol russe, puisque c’était « jour de test » des missiles « Storm Shadow » sur la région de Koursk.

Wall Street a semblé ignorer les derniers développement décrits ci-dessus et s’est mis en stand-by dans l’attente des résultats de Nvidia. New York avait rouvert stable et a fini tout aussi stable, avec un S&P 500 qui grappillait au final +0,004% (à 5 917,1 points, contre 5 917,00 la veille).

Vous admirerez, au passage, la précision quasi astrophysique des « algos » (capables de viser « trois zéros » derrière la virgule) qui ont figé les scores en attendant que les bénéfices de Nvidia ne délivre Wall Street d’un suspense insoutenable.

Et le dénouement fait un flop !

Nvidia, qui avait gagné +4% la veille, reculait de -0,8% à 22h, puis de 1,8% supplémentaires dans les transactions « hors séance ». Les investisseurs ont payé ce mardi comme s’ils étaient certains que les profit ressortiraient au-dessus des attentes (c’est ce qui s’est produit à 7 reprises depuis début 2023).

Et ils ont vu juste : les profits ont effectivement battu le consensus avec 0,81 $ contre 0,76 $/titre et le chiffre d’affaires ressort à 37,5 Mds$ contre 37,08 Mds$, avec une marge stratosphérique de 74,6% (un peu en retrait par rapport au 2e trimestre où elle s’établissait à 75,4%).

Pour résumer, les profits explosent de 80% cette année (combien de firmes peuvent en dire autant sur la planète Wall Street… ça se compte sur les doigts d’une seule main), mais le cours – et la capitalisation (3 540 Mds$) – affichent +195% depuis le 1er janvier.

Serait-il exagéré de prétendre que les profits ont été « bien payés » ?

Alors bien sûr, lors de la conférence de presse qui a suivi, la direction a eu beau jeu de rouler des mécaniques en affirmant que la demande de systèmes Blackwell, le plus puissant instrument de calcul au service de l’IA, va excéder les capacités de production de la firme, au moins jusqu’en 2026.

Et pas un mot sur les problèmes de « surchauffes » observés lors de la mise en service chez les premiers utilisateurs (ce qui était justement censé ne pas se passer).

Et la question que personne n’ose poser est la suivante : quels bénéfices les utilisateurs pensent-ils réaliser avec Blackwell et sous quel délai (vu leur coût d’acquisition et d’exploitation astronomiques) ?

Et l’autre question qui reste en suspens, mais n’émeut pas les marchés, est la suivante : de quelle façon Poutine va-t-il riposter au tir de missiles qui ont reçu une autorisation fantôme ?

Un indice : le département d’Etat américain fait évacuer son ambassade à Kiev de toute urgence…

Enfin, dernière question : que vaudrait Nvidia en cas de « WW3 » ?

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