Pendant des années, ce système a été présenté comme un élément essentiel de l’information des consommateurs, au point qu’une adoption à l’échelle de l’UE était envisagée. De nouvelles informations justifient plutôt son abandon.
Le système du Nutri-Score est en principe clair. Il viser à renseigner les consommateurs sur la valeur nutritionnelle d’un produit sur une échelle de A à E – A étant la note la plus positive – et, en couleur, du vert au rouge. La France est adepte de ce système depuis 2016, mais dans un système de volontariat pour les entreprises. En 2019, une loi rendait cependant la mention du Nutri-Score obligatoire sur les publicités pour des aliments à partir du 1er janvier 2021.
Par ailleurs, l’adoption obligatoire en France et dans l’ensemble de l’Union européenne dès 2022 était envisagée.
L’Allemagne aussi s’est montrée alliée dans la bataille en faveur du Nutri-Score. Une enquête menée auprès des consommateurs par le ministère fédéral de l’Alimentation et de l’Agriculture, présentée en juillet 2019, a montré que les consommateurs préféraient le Nutri-Score. Du moins, c’est ce que l’on peut lire sur le site web du ministère.
Un sondage Forsa similaire, commandé cette fois par l’ONG Foodwatch, a été publié en août 2019. Là encore, la plupart des consommateurs étaient favorables au Nutri-Score. Il est toutefois intéressant de noter que l’enquête Forsa n’a pas clairement déclaré que ce label deviendrait bientôt obligatoire.
Cette précision n’était pas faite dans le sondage du gouvernement fédéral, où il n’était même pas possible de rejeter le Nutri-Score. Il s’agissait uniquement de savoir comment les consommateurs perçoivent et interprètent le score. Conclusion du ministère, dès le titre de son communiqué : « Les consommateurs veulent le Nutri-Score. »
Un système facile à contourner
Ces consommateurs savent-ils que le Nutri-Score ne dit pas si un aliment est sain ou non ? Difficile à imaginer, car l’information a simplement été cachée dans entre les lignes. En effet, si l’on calcule le nombre de calories ainsi que les nutriments favorables et défavorables, on n’obtient pas pour autant un mélange sain pour l’alimentation quotidienne.
En outre, les producteurs peuvent s’adapter aux calculs du Nutri-Score de manière à induire de nombreux consommateurs en erreur. Ainsi, le « pain complet » peut être enrichi industriellement en fibres pour obtenir un meilleur score, sans pour autant être plus sain. De même, la réduction des graisses et leur remplacement par des glucides – en particulier des glucides raffinés – ou la substitution du sucre par des édulcorants de synthèse ne peuvent être considérés comme un progrès dans la lutte contre l’obésité et les maladies qui y sont liées. Noémie Carbonneau, psychologue nutritionniste canadienne, déclare à ce sujet qu’ « il est très dangereux d’avoir une vision en deux parties de la nourriture et de dire : ‘C’est bon ou ce n’est pas bon’ ».
Avec le Nutri-Score, la politisation de la science ne s’arrête cependant pas aux aliments. Cette année, des fromage français qui avaient initialement reçu un « E » ont ainsi mystérieusement été surclassés sur le plan nutritionnel par le ministère compétent. Tandis que d’autres fromages, comme le fromage frais, n’ont soudainement plus du tout été reconnus comme des fromages.
Les Italiens créent une alternative
Pendant ce temps, les régulateurs italiens ont créé « Nutrinform », un concurrent du Nutri-Score qui cherche à rendre compte des produits régionaux protégés, en indiquant le contexte dans lequel ils sont consommés.
Certains produits traditionnels riches en sucre, en sel et en graisse ne dépasseront en effet jamais la note C dans le Nutri-Score, quel que soit le contexte de leur utilisation. Par exemple, l’huile d’olive serait mal notée, même si sa consommation par repas est très faible. Le système italien tente de tenir compte de cette situation, mais il est également plus intéressé par la protection du régime méditerranéen que par l’information des consommateurs.
La seule étude évaluée par des pairs sur le sujet du Nutri-Score (publiée en 2016 dans l’International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity) explique que les consommateurs ne mangeraient pas plus sainement grâce au modèle Nutri-Score et que, dans la plupart des catégories de produits (sucreries, pâtes, viande, etc.), le choix ne varie guère.
Mais les problèmes du Nutri-Score vont bien au-delà de ce malentendu. Le système ne prend en compte qu’un nombre très limité de nutriments (sel, sucre, graisses saturées, fibres et teneur en fruits ou légumes), en ignorant les autres. Même Olivier Andrault, de l’Union française des consommateurs (UFC), qui voit pourtant le Nutri-Score d’un bon œil, expliquait fin 2019 que « le Nutri-Score n’est pas complet, car il ne tient pas compte de la présence d’additifs ou d’acides gras trans et n’indique pas clairement la fréquence à laquelle les produits peuvent être consommés sur la base de leur évaluation ».
Heureusement, d’après les autorités italiennes, la France serait sur le point d’abandonner le Nutri-Score au plan européen. « Nous allons approfondir ce sujet dans les prochains jours, mais il semble assez clair que même la France recule devant cette idée malsaine de donner une couleur aux aliments et de les étiqueter bons ou mauvais sans véritable méthode scientifique », a déclaré le ministre italien des Politiques agricoles, alimentaires et forestières, Stefano Patuanelli, le 26 novembre dernier.
Que devient la pyramide alimentaire ?
De manière générale, il faut se méfier lorsque l’Etat veut définir le modèle alimentaire des citoyens. Qui ne se souvient pas de la pyramide alimentaire avortée, cette forme triangulaire colorée que l’on trouve dans les pages de manuels scolaires depuis le début des années 1990 (des images d’une brique de lait, d’une cuisse de poulet et de tiges de brocoli) ?
Conscients de leur devoir, les élèves étudiaient ces « éléments constitutifs d’une alimentation saine » et juraient de consommer chaque jour leurs trois portions de produits laitiers ainsi que beaucoup de pain, de riz et de pâtes, afin de jeter les bases d’une alimentation saine.
Aujourd’hui, nous savons cependant que non seulement la pyramide alimentaire est basée sur des hypothèses erronées, mais, en plus, le respect de ses prescriptions peut en fait être néfaste et conduire à une alimentation malsaine.
Le problème de toute étiquette gouvernementale concurrente sera désormais qu’elle sert les intérêts de ceux qui l’ont établie. Mais la réalité est que la science nutritionnelle est une science, pas une politique.
La meilleure façon pour les consommateurs de suivre un régime alimentaire sain est donc de faire de l’exercice et de consulter leur médecin ou leur nutritionniste pour savoir ce qui leur convient le mieux. L’individualisation de notre approche de l’alimentation est plus efficace que le vieux mécanisme d’uniformisation de l’Etat.