La Chronique Agora

La nouvelle « modernité » n’empêchera pas la prochaine crise financière (2/2)

Nous poursuivons notre plongée dans les eaux troubles de la nouvelle « modernité », celle qui est née de la mutation des présidents de banque centrale en grands prêtres de l’inflationnisme monétaire. 

Nous avons commencé à le voir hier : la caractéristique centrale de la nouvelle « modernité » est qu’elle interdit tout retour en arrière.

Les distorsions générées par les banques centrales depuis le début de l’ère Greenspan sont telles que la fuite en avant est désormais la seule issue pour les autorités publiques.

Comme l’expliquait Natixis dans une note du 12 juin, nous vivons dans un monde où il n’y a plus de retour en arrière possible en termes de gestion macroéconomique des économies occidentales.

Voici ce qu’écrit la banque :

« L’équilibre économique présent dans les pays de l’OCDE présente plusieurs risques d’irréversibilité des politiques économiques mises en place : 

– l’irréversibilité de l’austérité salariale, puisque la sortie de l’austérité salariale conduirait à l’inflation, et peut-être à la hausse des taux d’intérêt et à une crise des dettes, après une longue période d’accumulation de dette à des taux d’intérêt très bas ; 

– l’irréversibilité des politiques monétaires très expansionnistes, pour la même raison : la crise que provoquerait une hausse des taux d’intérêt après une longue période de taux bas ; 

– l’irréversibilité des taux d’endettement public élevés, puisque leur réduction ne peut plus se faire par l’inflation (s’il y a irréversibilité de l’austérité salariale) et nécessite donc une politique budgétaire restrictive qui est rejetée dans la plupart des pays. 

On peut donc imaginer que l’OCDE va devoir vivre en permanence avec des salaires faibles, des taux d’intérêt bas et des dettes publiques élevées. » 

C’est ce que l’on appelle la « japonisation » de l’économie, phénomène qui concerne aujourd’hui tous les pays développés, comme l’écrivait Natixis le 10 avril.

La banque en donnait la définition suivante :

« – Le taux d’endettement est si élevé que la banque centrale est contrainte de maintenir des taux d’intérêt très bas à toutes les maturités ; 

– le fonctionnement du marché du travail est tel que l’inflation sous-jacente reste très faible, ce qui permet à la banque centrale de maintenir les taux d’intérêt très bas. 

Ces caractéristiques apparaissent maintenant dans tous les pays de l’OCDE. »

En somme, pour donner une image assez prosaïque du rapport entre la stabilité économique globale et les politiques monétaires et budgétaires non-conventionnelles, c’est exactement le même qu’entretient Michel Drucker vis-à-vis de la télévision : seule une crise mortelle les séparera.

Or, les intervenants font face à plusieurs problèmes. 

“Allo Houston : on n’y comprend plus rien !”

Le premier, c’est que comme les banques centrales ont supprimé tous les prix de marché, tout est déréglé ; la plupart des intervenants n’y comprennent plus grand-chose, ce qui les rend assez nerveux.

Formulé en termes plus politiquement corrects par Patrick Artus, cela donne ces explications, extraites d’un Flash Economie de Natixis publié le 21 mars :

« Les investisseurs ne maîtrisent pas les nouveaux mécanismes de fonctionnement de l’économie (formation des coûts salariaux, de l’inflation, des taux d’intérêt, des profits). Ceci explique leur nervosité puisqu’ils ne maîtrisent pas alors la formation de la valeur fondamentale des prix des actifs.  

Prenons les actions : sans maîtrise de la formation des taux d’intérêt à long terme et des profits, pas de maîtrise de la valeur fondamentale des actions. L’absence de maîtrise de mécanismes des économies vient de leur nouveauté : ils [diffèrent] très fortement de ceux du cycle précédent. […] On comprend donc la nervosité des investisseurs. »

Des marchés financiers de plus en plus fragiles

C’est le deuxième problème créé par la nouvelle « modernité ». En effet, comme l’explique Natixis dans un autre Flash Eco en date du 20 mars, le recours à des méthodes de gestion de crise « modernes » a un prix en termes de stabilité des marchés financiers.

Si 1987 a été l’année de naissance de l’inflationnisme monétaire, 2008 semble en effet être celle de son entrée dans l’âge adulte. Or ce procédé se fait de plus en plus capricieux…

Voici le détail des constats de l’équipe de Patrick Artus :

« L’indice Natixis de perception du risque montre un épisode de dislocation des marchés financiers (hausse forte de la volatilité, en même temps baisse des taux d’intérêt à long terme et baisse des indices boursiers, hausse des primes de risque) entre 1995 et 2007 (au moment de la grande crise des émergents), et quatre épisodes de dislocation des marchés financiers depuis 2008 (2008-2009, 2011, 2015-2016, fin 2018). 

La fragilité des marchés financiers s’est donc fortement accrue, d’autant plus que lors des deux derniers épisodes de dislocation des marchés financiers, aucune cause sérieuse de cette dislocation n’apparaissait. Il va falloir vivre avec des oscillations fréquentes et violentes des prix des actifs financiers dues à des causes secondaires. »

En d’autres termes, « un petit choc peut aujourd’hui provoquer une crise, une dislocation des marchés financiers avec forte hausse de la perception du risque ».

Or la banque précisait le 19 mai que la nouvelle « modernité » créée par les gouvernements et les banques centrales est précaire.

Elle concluait ainsi :

« La remontée des taux d’intérêt serait donc une chose terrible. L’OCDE s’étant installée dans un équilibre à taux d’intérêt bas, la remontée des taux d’intérêt serait un choc terrible qui conduirait :

– à l’excès d’endettement, aux défauts des emprunteurs (très bas aujourd’hui) ;

– à la chute des prix des actifs ;

– à la ruine des investisseurs, avec les moins-values sur les portefeuilles obligataires, le recul des cours boursiers, la hausse des spreads de crédit ;

– à la faillite des entreprises zombie. »

Au final, modernité ou pas, il semble qu’on en revienne toujours aux mêmes bons vieux principes, avec quelques aggravations cependant. 

Les crises financières sont toujours déclenchées par les mêmes causes et sont de plus en plus fréquentes

Au vu de l’océan de liquidités sur lequel flottent les intervenants, on peut légitimement se demander si le fait que les banques centrales gardent la main tout près du robinet est une condition suffisante pour éviter un choc financier.

Début février, Natixis tentait de répondre à cette question.

L’équipe de Patrick Artus commençait par rappeler une évidence : 

« Les crises financières viennent toujours des mêmes causes : un excès d’endettement associé à une hausse forte des prix de certains actifs (financiers ou immobiliers), et venant souvent d’un optimisme trop important au sujet de l’avenir (de la croissance, de la valeur fondamentale des actifs achetés…). Ceci s’était observé à la fin des années 1990 avec les actions, de 2002 à 2008 avec l’immobilier. »

Voici ce que concluait la banque : 

« Ce qui précède montre que peuvent être dangereux et provoquer une crise financière : 

– l’endettement public des pays de l’OCDE, mais à condition que les politiques monétaires deviennent plus restrictives et que les taux d’intérêt remontent. Le maintien d’une politique monétaire très expansionniste dans l’OCDE y maintient aussi la solvabilité budgétaire ;

– l’immobilier commercial des pays de l’OCDE ;

– l’immobilier en Chine ;

– l’endettement total qui devient un endettement extérieur des pays émergents à déficit extérieur (donc à épargne faible), car ces pays connaissent une crise de change qui se transforme en crise économique dès qu’ils sont confrontés à des sorties de capitaux.

Il reste l’hypothèse d’une crise auto-réalisatrice : recul des marchés financiers dû à l’anticipation erronée d’une crise, et crise due au recul des marchés financiers. »

En somme, pour Natixis, la capacité d’action des banques centrales à anesthésier les marchés se limite à la dette publique des pays de l’OCDE, et l’on n’a pas encore atteint de niveau de valorisation inquiétant sur les marchés actions, loin s’en faut.

En effet, le 2 juillet, la banque se demandait :

« Comment va se corriger l’écart de valorisation entre les actions américaines et les actions européennes ? »

Voici comment elle voyait les choses : 

« Par la baisse des actions américaines ? Leur valorisation globale ne paraît pas excessive, la croissance potentielle des Etats-Unis doit être révisée à la hausse, les coûts salariaux augmentent peu, ce qui rend une correction forte peu probable. 

Par la hausse des actions européennes ? C’est plus probable, avec le trop grand pessimisme des investisseurs sur l’économie de la Zone euro, soutenue par un important stimulus de demande. »

Cependant, comme nous l’avons déjà relevé, Patrick Artus fait historiquement partie de ceux qui sont optimistes au sujet des actions.

Reste donc à voir ce qui pourrait se mettre sur la route des banques centrales en cas d’« événement de marché », que ce soit au niveau des actions ou des obligations : nous y reviendrons prochainement.

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