La Chronique Agora

Une nouvelle couche de fragilité

A s’efforcer de rassurer les marchés à tout prix, on « use » le bilan des banques centrales – et on crée les conditions d’une crise encore plus grave et encore plus profonde.

Jerome Powell, le président de la Fed, s’est exprimé mercredi dernier. Comme on pouvait s’y attendre, il a parlé pour compléter l’action monétaire de soutien – c’est-à-dire qu’il s’est exprimé pour dire qu’il continuerait sa politique, qu’il la continuerait longtemps, que les taux resteraient bas et que la Fed continuerait de gonfler la taille de son bilan.

Il faut que les porteurs d’actifs financiers sachent qu’il n’y a plus de raison de se précipiter pour vendre car ils trouveront toujours contrepartie.

Bref, il y aura des taux bas, des achats de titres et de la création de monnaie de base pour ceux qui en veulent. Le run, la fuite sur les marchés, a été stoppée, interrompue ; les « esprits animaux » ont été calmés, les spéculateurs ont acquis la certitude qu’ils seraient sauvés, qu’il y en aurait pour tout le monde – c’est l’essentiel en termes de stabilité systémique.

Peu importe la nouvelle couche de fragilité qui a été rajoutée. On n’en est pas ou plus là.

Ce qu’il faut bien intégrer

Comprenez bien ce qui s’est passé : les porteurs de dettes, les détenteurs de créances, ont eu peur que les débiteurs ne puissent honorer leurs agios et leurs remboursements. Ils se sont donc précipités pour vendre leurs créances et ont fait s’effondrer les cours.

Or qu’est-ce que ce mouvement de vente ? Vendre, c’est demander du cash, de la monnaie de base, de la monnaie de banque centrale – c’est vouloir exiger la monnaie que l’on vous a promis. Donc c’est exactement ce que l’on appelle un run.

Ceci me permet de vous faire comprendre que les actifs financiers en général, dès lors qu’ils sont cotés sur un marché, constituent un droit immédiat à recevoir de l’argent de base de la banque centrale : c’est un droit sur le bilan de la banque centrale elle-même !

C’est, sans qu’on le dise, une épée de Damoclès, une création potentielle de monnaie-banque centrale, ce potentiel se manifestant brutalement lors des chocs mais progressivement en temps normal.

En mettant le crédit et les dettes sur les marchés au lieu de les laisser en banque, on a pu en émettre plus certes, mais on les a rendus instables, fragiles, soumis aux « esprits animaux », aux chocs – et ainsi, on s’est condamné à devoir faire face à chaque besoin par la création de monnaie de banque centrale.

Dégradation du bilan

Ceci signifie et implique qu’au fur et à mesure que le temps passe, on « use » le bilan de la banque centrale.

On use ce bilan chaque fois qu’on s’en sert. On le dégrade.

Présenté autrement, les autorités monétaires ont un stock d’armes en réserve qui sont la taille de leur bilan et les taux – mais à mesure que la masse de dettes et d’actifs financiers s’accumulent, elles les utilisent pour stabiliser cette masse pyramidale.

Les autorités baissent les taux, les mettent à zéro en réel, puis en négatif absolu, et remplissent ainsi leur bilan de pourriture. C’est ce que fait en ce moment Powell lorsqu’il augmente ses achats en montant dans l’échelle du risque… et qu’il fera encore plus quand il en sera à l’achat d’ETF d’actions.

Les limites à la production de crédit que l’on rencontrait au niveau des bilans des banques commerciales avant les années 80 existent toujours, bien sûr, mais elles sont repoussées, reportées au niveau du bilan de la banque centrale…

… Autrement dit au niveau du couple banque centrale-Trésor public, ce que l’on voit bien ces jours-ci aux Etats-Unis : banque centrale et Trésor public sont en fait une seule et même entité qui met en jeu le crédit de la nation – c’est-à-dire les contribuables.

A suivre…

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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