La Chronique Agora

De nouveaux baigneurs nus

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En redescendant, la marée de liquidités expose de plus en plus de nouveaux derrières et, désormais, quelques cétacés échoués.

Reprenons le fil de notre réflexion entamée hier. Ce fut une décision audacieuse. Peut-être tordue. Mais pas totalement folle. La société de Michael Saylor, MicroStrategy, était en train de décliner… elle ne progressait plus, et n’était pas non plus rentable. Or le Bitcoin – et toute la constellation de stars des crypto-monnaies et de la blockchain – brillait de mille feux.

Solution : utiliser l’entreprise cotée, avec ses actions faciles à vendre et à acheter, pour que les gens prennent part au boom des cryptomonnaies.

Comme beaucoup d’autres choses de l’existence, les mariages improbables… les entreprises non rentables… les guerres impossibles à remporter… cela a fonctionné jusqu’à ce que cela ne fonctionne plus. Et, aujourd’hui, nous jetons un œil sur de nouveaux baigneurs nus. Ils commencent à encombrer la plage, et c’est un spectacle grotesque.

C’est ce que l’on appelle « la contagion des cryptomonnaies ». Une faillite en entraine beaucoup d’autres.

C’est comme les retraits bancaires massifs qui ont eu lieu jadis : nous nourrissons une rancœur personnelle, à leur égard. Notre grand-père avait placé la fortune familiale dans une banque de Baltimore. Au début des années 1930, les banques faisaient faillite. Prudemment, il a voulu sortir au moins une partie de son argent. Mais il faisait partie des administrateurs de la banque. De quoi cela aurait-il l’air, s’il retirait son argent ? Il y aurait des retraits massifs, et la banque pourrait faire faillite.

Il s’avère qu’il y a tout de même eu des retraits massifs. Puis notre grand-père a tout perdu. Enfant, nous avons ainsi grandi et travaillé dans une ferme qui cultivait du tabac.

Pas d’acheteurs

Les retraits bancaires massifs sont contagieux. Les gens perdent de l’argent dans une banque. D’autres ont peur que leur argent soit également en péril, et une autre vague de retraits massifs débute.

Aujourd’hui, les retraits massifs ont déjà commencé : dans le secteur des cryptomonnaies, des technologies et de la blockchain. Beaucoup de gens pensaient posséder beaucoup d’argent. A présent, ils découvrent qu’ils en ont moins qu’ils ne le pensaient… Et peut-être plus du tout. Leurs cryptomonnaies ne trouvent aucun acheteur. Leurs entreprises zombies disparaissent. Leurs milliards issus des technologies sont ici un jour mais plus là le lendemain.

Ils cessent de dépenser. Ils cessent d’investir. Ils recommencent à regarder du bon côté du menu, au restaurant. Et peut-être qu’ils cherchent un nouvel emploi.

Mais revenons sur la présentation réalisée par Chris Meyer, la semaine dernière, en Irlande.

Chris n’achète pas des actions. Il achète des entreprises. Ses investisseurs vont se baigner en costume trois pièces.

MicroStrategy est une entreprise à laquelle Chris ne toucherait jamais. Au quatrième trimestre 2012, la société a déclaré un chiffre d’affaires réel de 164 M$. Au dernier trimestre 2021, elle a déclaré un chiffre d’affaires de 134 M$ assorti d’une perte de 10 $ par action.

Mais le cours de l’action raconte une toute autre histoire. En 2012, vous pouviez acheter le titre pour 100 $. Dès l’automne 2021, il dépassait les 700 $. Cela correspond au moment où Saylor a acheté du Bitcoin… Quand son cours dépassait les 50 000 $.

Cette « microstratégie » a fonctionné… un temps.

A présent, le Bitcoin se situe en dessous de 21 000 $, soit bien loin du prix d’achat moyen de Saylor, qui est de 30 000 $ selon les estimations.

[Erratum : précédemment, nous avons fait une erreur sur le prix du Bitcoin. Ici, en Irlande, il est souvent coté en euros… que nous avons confondus avec des dollars. En règle générale, on dit aux lecteurs qu’ils peuvent entièrement se fier aux faits et aux chiffres contenus dans ces colonnes… sauf ceux que nous avons mal entendus, mal lus, mal compris, imaginés, rêvés ou fabriqués.]

« Acheter MicroStrategy », pourrait dire Chris Meyer, « ce n’est pas investir. C’est faire un pari sur le cours du Bitcoin. »

Des queues de baleines

Bien entendu, MicroStrategy n’est pas le seul casino en ville… et Saylor n’est pas la seule « baleine » à les fréquenter. Il y a également Alex Mashinsky, de Celsius Networks.

Son idée était assez simple, elle aussi.

Les cryptomonnaies grimpaient. Les parieurs voulaient spéculer sur elles et avec elles. Pourquoi ne pas leur simplifier les choses ?

Matt Levine décrit ainsi le modèle économique :

« … l’idée à la base de Celsius est la suivante : vous pouvez déposer vos cryptomonnaies chez Celsius – en les prêtant à Celsius, en gros – qui vous verse un taux d’intérêt assez élevé, ou encore plus élevé si vous acceptez les paiements dans son propre jeton CEL. Ou bien vous pouvez emprunter des cryptomonnaies auprès de Celsius et lui verser des intérêts. »

Comment Celsius pouvait-elle offrir un taux d’intérêt si élevé, allant jusqu’à 17% ?  Ou, autrement dit, si la société pouvait gagner autant d’argent sur des cryptomonnaies empruntées, pourquoi s’embêter avec des déposants et des créanciers ? Pourquoi ne pas emprunter simplement de l’argent sur le marché des junk bonds – à 3% d’intérêts – et empocher la différence ?

Ce que versait Celsius à ses déposants – quoi que ce soit – ce n’étaient pas des « intérêts ». Des intérêts supposent des enquêtes de solvabilité et des services de recouvrement. Cela évoque une solidité, une fiabilité… de l’argent en dépôt qui peut être retiré… des emprunteurs disposant d’un business plan, d’un collatéral et de ratios prêt/revenus corrects.

Les tribunaux détermineront ce que Mashinsky avait en tête… et si le fait d’appeler cela des « intérêts » était honnête vis-à-vis des déposants…

Mais, dans le cadre de cet article, nous nous contenterons de remarquer que ces messieurs avaient besoin d’un maillot de bain.

Ainsi va le monde

Lorsque les cryptomonnaies se sont dépréciées, les spéculateurs ont commencé à avoir peur que Celsius ne soit pas capable de restituer leur argent aux déposants.

Mais Mashinsky les a rassurés, dans un premier temps. « Connaissez-vous une seule personne qui ait du mal à faire des retraits sur Celsius ? » a-t-il demandé.

Ensuite, la société a expliqué qu’il était « malheureux » que quelques personnes propagent de « fausses informations ».

« Chez Celsius, nous sommes en ligne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Nous travaillons jour et nuit pour continuer à servir notre communauté. Celsius possède l’une des meilleures équipes de gestion du risque du monde. Notre équipe chargée de la sécurité et de l’infrastructure est inégalable. Nous avons traversé d’autres période de baisse des cryptomonnaies (c’est la quatrième, pour nous !). Celsius est préparé ».

Chaque fois qu’une entreprise dit qu’elle « sert la communauté », faites attention. Il nous faut des entreprises qui gagnent de l’argent, et non qui tentent d’améliorer le monde.

Celsius a poursuivi ainsi :

« Nous avons un bilan ultra solide et dépassons les exigences réglementaires en matière de fonds propres et de liquidités, comme vous pouvez le constater sur nos déclarations financières trimestrielles. »

Puis une autre déclaration a été faite, quelques jours plus tard. Bloomberg nous explique :

« Celsius Network Ltd, l’un des plus grands prêteurs du secteur des cryptomonnaies et l’un des acteurs clés du monde de la finance décentralisée, a déclaré dans la soirée de lundi qu’il suspendait les retraits, échanges et virements à la suite de semaines de spéculation sur sa capacité à respecter les rendements surdimensionnés qu’il a proposés sur certains de ses produits, notamment des taux allant jusqu’à 17%.

Cette décision a stoppé net une plateforme qui possède des établissements enregistrés dans le monde entier et gère des milliards de dollars de monnaies numériques, accélérant ainsi un sell-off déjà en cours sur l’ensemble du marché en raison d’inquiétudes suscitées, avant la réunion de la Réserve fédérale [du 14-15 juin], par les perspectives d’un resserrement de politique monétaire. »

Et voilà. Ainsi va le monde. Cela a fonctionné, jusqu’à ce que cela ne fonctionne plus.

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