Un des jours les plus cruciaux depuis Bretton Woods, il y a 52 ans, est arrivé : la deuxième puissance économique du monde échange moins avec le reste du monde en dollars qu’en sa propre monnaie.
Le basculement des alliances économiques et géopolitiques à l’initiative de la Chine s’est accéléré depuis la mi-mars, de nombreux pays déclarant vouloir se passer autant que possible du dollar pour échapper ainsi à l’extraterritorialité du droit américain… et à de possibles sanctions (amendes, gel, confiscation).
Les déclarations d’intention successives en faveur d’un plus large usage du yuan chinois ont coïncidé avec un brusque affaiblissement du système bancaire américain, alors que le doute s’empare de nombreux initiés au sujet de la soutenabilité des encours de dettes détenues par les banques régionales, ce qui provoque un bank run d’une ampleur inédite.
La faillite de SVB n’était que la partie émergée de l’iceberg, la plus visible certes, puisque beaucoup d’entreprises clientes de la Silicon Valley étaient fortement consommatrices de cash.
Deux autres banques présentant un profil un peu similaire ont dû être secourues en urgence, avec l’assurance que les dépôts de leurs clients bénéficieraient d’une garantie dérogatoire intégrale… ce qui a rassuré temporairement Wall Street.
Les risques persistent
Pendant que la Fed inondait le marché interbancaire de liquidités, le gouvernement et les médias se sont empressés de remettre au goût du jour la thèse des « quelques cas isolés » (comme lors des premiers « accidents » provoqués par l’éclatement de la bulle des subprime).
Il s’est écoulé un bon mois durant lequel Wall Street a cru que le risque de contagion était définitivement circonscrit, notamment avec l’annonce d’une garantie de valorisation au prix d’émission des bons du Trésor détenus par les banques en cas de prise en pension par la Fed.
Mais cela n’a pas suffi à rassurer, car la question des créances douteuses a commencé à se poser avec acuité avec l’envol des taux de défaut dans toutes les catégories de crédit (hypothécaires, prêts auto, crédits conso, etc.).
Les risques semblent particulièrement élevés dans le secteur de l’immobilier commercial, avec des taux d’occupation en chute libre et des loyers qui ne rentrent plus, ce qui met en péril les plus gros loueurs de mètres carrés de bureaux des Etats-Unis… qui se financent à 60% auprès des banques régionales.
Les épargnants ont pris conscience du problème, parce qu’ils sont très nombreux à se savoir eux-mêmes en situation difficile ou à risquer de le devenir en cas de récession.
Le prochain domino bancaire
Cette forme de réalisme les pousse à retirer une partie de leurs fonds des banques régionales, étant admis que la Fed et la FDIC – qui ne s’en cachent pas – n’ont pas vocation à les sauver toutes. D’où des retraits qui prennent l’allure et les proportions du plus spectaculaire bank run des 30 dernières années : les banques régionales ont perdu 30% de leurs dépôts en 5 semaines.
Mais c’est une moyenne, et après le séisme SVB, voilà que survient la réplique First Republic de magnitude 7, la banque voyant son cours se désintégrer de 70% en 48 heures et de 96% depuis le 1er janvier.
La publication de ses comptes trimestriels a révélé que ses dépôts avaient fondu de 72 Mds$ au premier trimestre 2023 pour s’établir à 104,5 Mds$ au 31 mars, soit une baisse de 40%. L’hémorragie s’est par ailleurs poursuivie – sinon accélérée – début avril. Il est donc possible qu’en ce 27 avril, les dépôts aient fondu de moitié depuis le 1er janvier.
First Republic est littéralement carbonisée boursièrement et ne peut plus prêter un seul dollar à ses clients, ni désormais leur restituer l’intégralité de leur argent. Autrement dit, son existence est devenue sans objet… et un sauvetage d’urgence devient nécessaire.
Mais les commentateurs ressortent la carte du « cas isolé » et rejettent ainsi l’idée d’un risque systémique.
Admettons que la Fed prenne de nouveau les choses en main. Cela ne change rien à l’absence de projet de compromis sur l’extension du plafond de la dette fédérale en discussion au Congrès. Cette impasse entre les deux formations politiques dominantes pose la question de la valeur de la signature des Etats-Unis : une dégradation prochaine de la note souveraine du pays ne peut plus être exclue.
Les détenteurs de T-Bonds n’ont plus envie de prendre le risque et se détournent d’autant plus volontiers du billet vert.
Et c’est ainsi que se matérialise ce basculement historique presque impensable avant le début de la guerre en Ukraine : le yuan chinois dépasse – c’est chose faite – le dollar américain en tant que devise la plus utilisée dans les transactions internationales bilatérales de la Chine.
La part du yuan a atteint un niveau record de 48% (contre quasiment zéro en 2010), tandis que la part du dollar américain est tombée à 47 % (contre 83%, 12 ans plus tôt). Et ce alors même que le yuan n’est que partiellement convertible, et que sa parité est totalement administrée par la PBOC… mais c’est à croire que c’est ce qui rassure les cambistes !