La qualité de crédit de l’Etat français rejoint désormais celle de pays autrefois jugés moins vertueux. Derrière cette évolution, se cache un affaiblissement structurel de la solvabilité française que les marchés commencent à intégrer.
L’action des agences de notation n’est pas toujours d’un grand secours : elles se montrent le plus souvent réactives plutôt qu’anticipatrices face à la dégradation de la solvabilité d’un émetteur, qu’il s’agisse d’un acteur du marché obligataire en général ou d’un émetteur souverain en particulier.
Le plus bel exemple reste celui de la crise grecque du début des années 2010.
Rappelons que la Grèce était encore notée A fin 2009. Les agences n’ont guère été utiles aux investisseurs : leurs dégradations ont souvent suivi la détérioration des spreads de crédit ou les plans de sauvetage faisant appel à la fois aux créanciers privés et aux créanciers « publics ».
Ainsi, la Grèce est abaissée d’un seul cran, à A-, en avril 2010, juste avant le premier plan de sauvetage FESF-UE-FMI de mai 2010. La descente aux enfers s’amorce dès juin 2010, avec une dégradation brutale de quatre crans, à BB+. Il faudra attendre fin juillet 2011 – après le second plan de sauvetage, qui implique cette fois les investisseurs privés – pour que le défaut grec soit quasiment officialisé, la note tombant à CC. Ce second plan ne permettant toujours pas de restaurer des perspectives de solvabilité, il sera revu en octobre 2011, puis de nouveau en février 2012. Ce n’est qu’à l’occasion de cette nouvelle restructuration que les agences attribueront à la Grèce la note SD (selective default).
Bref, il ne faut pas trop compter sur les agences de notation. Certains objecteront que la saga grecque date de quinze ans, mais la méthodologie de notation et le caractère « suiveur » de ces institutions n’ont pas fondamentalement changé depuis.
Il ne s’agit pas pour autant de « casser le thermomètre » ni d’ignorer le message des agences. S’agissant de la France, l’historique des dégradations n’a pas connu la brutalité de celles observées en Grèce, mais il s’agit d’un processus lent et progressif de dégradation entamé depuis treize ans – chaque nouvel abaissement devenant naturellement plus préoccupant aux yeux des investisseurs non résidents.
La dégradation de la qualité de crédit de l’Etat français ne date donc pas d’hier. En voici les principales étapes…
- 2012: en pleine crise des dettes souveraines de la zone euro, la France perd son AAA (la meilleure notation possible). Standard & Poor’s abaisse la note de AAA à AA+ en janvier ; Moody’s suit en novembre, passant de AAA à Aa1 (équivalent de AA+ chez S&P).
- Novembre 2013: nouvelle dégradation par S&P, de AA+ à AA.
- Décembre 2014: Fitch dégrade à son tour la France, de AAA à AA+.
- Septembre 2015: Moody’s abaisse encore la note française d’un cran, de Aa1 à Aa2 (équivalent AA de S&P).
- Avril 2023: Fitch dégrade la France à AA-.
- Mai 2024: S&P abaisse la note de AA à AA-.
- Décembre 2024 : Moody’s suit à son tour, passant de Aa2 à Aa3 (équivalent AA- de S&P).
On peut relever une certaine complaisance – ou du moins une tolérance – des agences vis-à-vis de la signature française entre 2015 et 2022, période durant laquelle les notations sont restées inchangées. Cela tient sans doute au fait que les souverains de la zone euro étaient alors « protégés » par le quantitative easing de la BCE, lequel maintenait artificiellement la solvabilité de certaines dettes publiques nationales, dont celle de la France.
À noter que ce programme d’achats d’actifs a été amplifié en mars 2020 avec le PEPP (Pandemic Emergency Purchasing Program) de la BCE, accompagnant le « quoi qu’il en coûte » des politiques budgétaires de la période COVID.
Pour se repérer dans les échelles de notation et leur signification en matière de solvabilité, nous vous renvoyons au tableau ci-dessous.
La France a subi une nouvelle dégradation le 12 septembre dernier, lorsque l’agence Fitch a abaissé sa note de AA+ à A-. Un tel niveau commence à s’apparenter à une qualité de crédit officiellement médiocre pour un Etat souverain.
Plus préoccupant encore, on observe désormais une désynchronisation entre la France et les pays du Sud de la zone euro. Nous sommes loin de la crise systémique des PIGS (acronyme peu flatteur utilisé au début des années 2010 pour désigner le Portugal, Italy, Greece et Spain), et le contexte actuel traduit plutôt une crise potentielle spécifiquement française.
En effet, alors que la dette française était dégradée, Fitch relevait simultanément la note du Portugal de A- à A, tandis que S&P améliorait celle de l’Espagne, de A à A+. Le week-end du 20 septembre, ce fut au tour de l’Italie d’être relevée par S&P de BBB à BBB+. Enfin, le week-end du 27 septembre, la tendance s’est confirmée avec un nouvel upgrade de l’Espagne, à A3 chez Moody’s et à A chez Fitch.
Le calendrier à venir s’annonce tendu pour la notation de la France :
- Moody’s rendra son verdict le vendredi 24 octobre 2025 (notation actuelle Aa3, avec un risque de dégradation d’un cran à A1, ce qui alignerait la France sur la notation de Fitch) ;
- S&P publiera le sien le vendredi 28 novembre 2025 (notation actuelle AA- avec, là aussi, un risque de dégradation à A+, soit un alignement avec Fitch).
À quoi sert la notation des agences de rating et que signifie-t-elle ?
Pour apprécier l’évolution de la qualité de crédit de la France, encore faut-il bien comprendre ce que représente la notation des agences, son utilité, et surtout les conséquences que peuvent avoir ses variations sur les marchés obligataires.
La note d’un émetteur reflète sa solvabilité, c’est-à-dire la probabilité de défaut à un an. En se référant aux statistiques historiques de Standard & Poor’s (Cumulative average default rates by rating modifier, 2014–2023), on observe les taux de défaut moyens suivants :
- 0,2 % pour les signatures notées entre AAA et AA- ;
- 3,6 % pour la tranche A+ à A- ;
- 5,1 % pour la tranche BBB+ à BBB- ;
- 17,9 % pour la tranche B+ à B-.
Ces probabilités dites « historiques » se lisent ainsi : une signature notée entre AA- et AAA, avec une probabilité de défaut de 0,2 %, correspond à deux cas de défaut tous les 1 000 ans sur un horizon d’un an – soit un seuil de confiance de 99,8 %.
Mais au-delà de l’aspect statistique, il convient de comprendre pourquoi les émetteurs ont besoin d’être notés. La note constitue une forme de label, servant de référence pour définir les limites de risque que s’imposent les investisseurs institutionnels. Ces derniers organisent souvent leurs allocations selon des tranches de notation :
- AAA à AA- ;
- A+ à A- ;
- BBB+ à BBB- ;
- et très marginalement en dessous de BBB-.
La catégorie d’investissement privilégiée (dite investment grade) s’étend ainsi de AAA à BBB–. Plus la note baisse, plus les marges de manoeuvre des investisseurs se réduisent.
Lorsque la France a été dégradée de AAA à AA, cela n’a pas provoqué de réallocations massives au détriment de ses obligations d’Etat. En revanche, une dégradation de AA à A (et la crainte d’un nouvel abaissement) pourrait entraîner une sous-pondération de la signature française dans les portefeuilles des investisseurs, qu’ils soient étrangers ou domestiques.
Les bilans bancaires, désormais structurés différemment, ne nécessitent plus un renforcement automatique des expositions à la dette publique française. Sans pour autant se délester de leurs titres souverains, les banques pourraient diversifier davantage leurs réserves de liquidité.
La corrélation entre risque bancaire et risque souverain, qui avait lourdement pesé sur les marchés financiers et sur les notations au début des années 2010, a perdu de son intensité mais demeure présente. La question qui se pose désormais est la suivante : faudra-t-il dégrader les banques d’un pays en raison de la dégradation de la signature de son Etat ?
Autrefois, la causalité était inverse : on s’interrogeait sur le risque de voir la note d’un Etat abaissée à cause de la fragilité de ses banques. Ce n’est plus vraiment d’actualité, compte tenu des ratios de solvabilité désormais satisfaisants du secteur bancaire.
Le rôle protecteur de la réglementation bancaire européenne
A ce jour, la réglementation issue du Comité de Bâle (notamment le fameux package Bâle III des années 2010) continue de protéger la dette publique française, en accordant aux titres d’Etat de la zone euro un traitement prudentiel favorable dans les ratios de solvabilité et de liquidité des banques.
- Ratio de solvabilité : tous les titres d’Etat de la zone euro sont pondérés à 0 % dans la consommation de risque pour une banque établie dans la zone euro — qu’ils soient notés AAA, AA, A ou même BBB. Les dégradations successives de la France n’ont donc aucun effet (toutes choses égales par ailleurs) sur le ratio de solvabilité réglementaire des banques françaises. Pour mémoire, ce ratio correspond au rapport entre les fonds propres et les actifs pondérés en fonction du risque.
- Ratio de liquidité (LCR – Liquidity Coverage Ratio) : les titres d’Etat pondérés à 0 % dans le ratio de solvabilité sont comptabilisés à 100 % dans la réserve de liquidité (numérateur du LCR).
Ainsi, dans le cadre réglementaire actuel, il n’existe aucune incitation pour les banques à se séparer de leurs titres d’Etat, quelles que soient leurs anticipations de taux ou d’évolution de la note souveraine.
Nous verrons dans notre prochain article pourquoi la solvabilité de la France a connu une telle dérive, et les différents scénarios à anticiper dans un tel contexte.
