La Chronique Agora

La normalisation du bilan de la BCE n’aura pas lieu

Frankfurt am Main, Germany - August 20, 2023: Low angle view of the sign and logo of the European Central Bank at the southern entrance of the Skytower building, headquarters of the ECB since 2015.

La BCE avait promis de réduire son bilan une fois la pandémie passée. Deux ans plus tard, l’institution se retrouve au pied du mur : continuer le resserrement monétaire mettrait en péril la solvabilité des banques européennes. Autrement dit, le quantitative tightening (QT) vit ses derniers instants… et l’inflation pourrait bien revenir plus vite que prévu. Les épargnants, une fois encore, risquent de passer à la caisse.

Le « quoi qu’il en coûte » sanitaire n’a pas été une spécificité française. Même si notre pays s’est illustré pour avoir ouvertement sacrifié son économie durant la pandémie, l’Europe tout entière a accepté de faire tourner la planche à billets pour reporter dans le futur le vrai coût économique des mesures d’urgence.

En imprimant de l’argent tous azimuts, la Banque centrale européenne (BCE) a maintenu le pouvoir d’achat des agents économiques entre 2020 et 2022. Salariés, fonctionnaires et entreprises ont vu leur niveau de vie maintenu, malgré une baisse historique de la production de biens et services (jusqu’à -30 % durant les confinements). Et, comme rien n’est gratuit en matière économique, la contrepartie de cette générosité a été un avilissement de la valeur de la monnaie sous forme d’augmentation drastique de la masse monétaire.

Le bilan de notre banque centrale a ainsi doublé durant la pandémie, avec la promesse qu’il serait normalisé une fois la situation sanitaire sous contrôle. Depuis deux ans, la banque centrale tient sa promesse : après avoir atteint un plus-haut à plus de 8 800 Mds€, le bilan a été dégonflé jusqu’à s’établir à moins de 6 200 Mds€ cet automne.

Mais la trajectoire actuelle de réduction, de 35 Mds€ par mois, ne pourra être maintenue bien longtemps. Dès l’année prochaine, la BCE va atteindre un seuil où toute réduction supplémentaire de son bilan mettra en péril la solvabilité des banques commerciales. Selon toute probabilité, l’institution va donc devoir revenir sur ses promesses de quantitative tightening (QT) l’été prochain, voire faire repartir la taille de son bilan à la hausse.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les épargnants doivent s’attendre à un retour de l’inflation en Europe l’an prochain – avec tout ce que cela implique en termes de stratégie patrimoniale.

La taille du bilan : le curseur qui décide qui payera la « facture COVID »

Avec plus d’euros en circulation dans un contexte de stagnation de la taille de l’économie réelle, le Vieux Continent a fort logiquement connu un épisode d’inflation majeur dès la sortie de pandémie.

Lors de la vague d’inflation entre 2022 et 2023, ce sont les épargnants qui ont réglé une partie du coût des mesures sanitaires par le biais d’une érosion de la valeur de leur épargne constituée avant la pandémie. La BCE a ensuite tenté d’équilibrer la situation en menant une politique restrictive constituée d’une hausse des taux d’intérêts et d’une réduction de son bilan. Ce changement de paradigme a transféré la baisse de pouvoir d’achat des épargnants vers les agents économiques percevant des revenus (stagnation des salaires et des bénéfices des entreprises).

La question de savoir à qui il est juste de présenter la facture des mesures sanitaires sortant du cadre de ces colonnes, la présente chronique se focalisera sur le comment. 

En pratique, pour juguler l’inflation, la banque centrale a dans un premier temps cessé d’acheter des obligations. Son bilan a cessé de gonfler et, le temps faisant son œuvre, les obligations achetées dans le cadre des mesures de soutien sont progressivement arrivées à échéance.

Les agents économiques ayant émis ces obligations, les banques commerciales, ont remboursé la BCE au rythme moyen de 35 Mds€ par mois. La BCE se contentant de neutraliser cet argent sans le réinvestir, son bilan s’est dégonflé au rythme de ce prélèvement sur l’économie réelle (les remboursements des banques étant faits sur leurs propres deniers). L’inflation, globalement sous contrôle, est revenue autour des 2 % dans la zone euro.

Après deux ans durant lesquels les épargnants avaient été mis à contribution (2022-2023), c’est le tissu économique productif qui a vu son pouvoir d’achat diminuer en 2024 et 2025, tandis que la valeur relative de l’épargne s’est retrouvée améliorée.

Sacrifier les banques pour sauver l’euro : l’impossible équation

Le problème est que le remboursement des obligations se fait au détriment des réserves que les banques déposent auprès de la BCE. Si nos établissements sont aujourd’hui considérés comme bien plus sûrs qu’en 2008, c’est qu’ils disposent de pas moins de 2 500 Mds€ de liquidités supplémentaires par rapport aux exigences légales.

Cette somme leur permet d’envisager sans crainte une récession, des troubles politiques, et même un krach boursier. Les instances européennes se félicitent d’ailleurs fréquemment – et à raison – de la solidité de notre système bancaire par rapport aux autres grandes zones économiques.

Mais, selon les estimations de Bloomberg, le niveau de solidité jugé acceptable nécessite entre 900 Mds€ et 1 900 Mds€ de liquidités supplémentaires en dépôt auprès de la BCE. Avec l’accélération à venir des remboursements, la borne supérieure de cette fourchette sera atteinte dès l’été prochain. Et même si nos instances monétaires affirment se contenter de 1 200 Mds€ de liquidités excédentaires, le problème ne sera décalé que de quelques mois.

Pour maintenir la solvabilité du système bancaire à un niveau considéré comme satisfaisant, la BCE n’aura donc d’autre choix que de maintenir son bilan autour des 5 600 Mds€ – un niveau plus de 25 % supérieur à celui pré-pandémique, et qui ne suffira d’ailleurs pas à répondre au besoin en financement des banques à horizon 2027.

Déjà, la BCE a annoncé qu’elle cessera la réduction de son bilan si les banques venaient de nouveau frapper à son guichet de refinancement. Aujourd’hui délaissé du fait de l’abondance de liquidités excédentaires, son retour sur le devant de la scène indiquerait que les établissements sont en manque de capitaux.

Surveiller cet indicateur, dont l’évolution est publique, est crucial pour les investisseurs. La fin du quantitative tightening marquera le retour de l’argent facile, de l’inflation, et plus globalement du transfert de richesse des épargnants vers les agents économiques les plus proches de la BCE.

Ce moment venu, il faudra délaisser sans tarder les placements à taux fixe en euro pour investir dans les actifs immunisés contre l’inflation.

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