La Chronique Agora

Faut-il vraiment croire que rien Neva plus en Russie ?

▪ Après avoir mis le cap à l’ouest pour nos vacances familiales en 2013 (direction San Francisco puis une demi-douzaine d’états situés à l’est des Rocheuses), nous avons décidé d’effectuer un rééquilibrage géographique pendant que les Publications Agora prenaient leurs quartiers d’été. Cap à l’est cette fois-ci — et plus précisément Saint-Pétersbourg, la Neva et sa région.

Nous avions choisi cette destination avant qu’un vol malaisien ne s’écrase sur le sol ukrainien… et surtout avant que les relations occidentalo-russes ne s’enveniment, débouchant sur une longue litanie de sanctions unilatérales « ciblées » auxquelles Vladimir Poutine a fini par riposter par le biais d’un embargo général sur les importations de produits agricoles européens.

L’annonce en avait été faite la veille de notre arrivée à Saint-Pétersbourg. Pour ne rien arranger, le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, avait déclaré quelques heures auparavant qu’il s’attendait à voir la Russie intervenir militairement à l’est de l’Ukraine. Les médias occidentaux et les journaux télévisés de Fox TV ainsi que d’autres chaînes appartenant au groupe Murdoch y préparaient d’ailleurs l’opinion anglo-saxonne depuis le début du mois d’août.

Ce n’est donc pas sans une certaine appréhension que nous avons débarqué sur le sol russe et pris la direction des douanes avec une irrépressible amorce de noeud à l’estomac.

Nous avions gardé un souvenir assez mitigé de notre passage par le bureau d’immigration de San Francisco l’an passé

▪ Surprises en Russie
Nous avions gardé un souvenir assez mitigé de notre passage par le bureau d’immigration de San Francisco l’an passé (attente interminable, personnel rébarbatif, questionnaires inquisitoriaux — limite ubuesques –, photographie du fond de l’oeil, empreintes digitales… vous connaissez la musique).

Mais avec un tel entraînement, nous étions prêts à affronter le pire de ce que pouvait vouloir imposer aux touristes occidentaux (tous suspects d’espionnage et de terrorisme comme aux Etats-Unis ?) un ex-patron du KGB dirigeant un pays que nos médias nous décrivent comme sur le point d’entrer en guerre avec l’OTAN.

La petite famille — nous étions trois — débouche dans le hall occupé par les postes de douane, et là, première surprise, pratiquement pas de queue. La dernière fois que nous avions aussi peu attendu lors de notre arrivée sur un sol étranger, c’était à Tokyo… puis à Hong-Kong (étés 2010 et 2012).

Deuxième surprise : à peine la passagère qui nous précédait venait-elle de présenter son passeport qu’elle se le voyait restitué et empruntait le couloir vers la sortie (était-elle un « agent » bien connu des services de l’immigration russe et disposant d’un laissez-passer ?).

Partagé désormais entre l’appréhension et l’étonnement, je m’avançai à mon tour vers la guérite… et là, troisième surprise : pas de caméra pour capturer l’image de ma prunelle, pas de tablette tactile pour archiver mes empreintes digitales… et aucune question sur le motif probable de mon entrée sur le territoire russe (espionnage, trafic de drogue, meurtre du président, importation désormais illicite de fruits et légumes).

Le fonctionnaire vérifia mon visa de tourisme et me rendit 14 secondes plus tard mon passeport tamponné et doté d’un petit feuillet à restituer lors de la sortie du pays. Fin des formalités… direction la sortie ?

Cela ne pouvait tout de même être aussi simple… et puis il restait mon épouse et mon fils !
Trente secondes plus tard, après une brève vérification de leur identité sur un micro-ordinateur, ils étaient à mes côtés.

Deux minutes plus tard nous atteignions le terminal des bus et montions dans le premier en partance pour le centre-ville. Pas un uniforme à l’horizon, pas de barbelés ni de chiens policiers comme autour du terminal de Sangatte (avez-vous déjà tenté d’emprunter le tunnel sous la Manche en tant qu’automobiliste ? Ambiance de goulag garantie !).

▪ Esquisses de Saint-Pétersbourg
Je vous ferai grâce du volet touristique de notre séjour à Saint-Pétersbourg pour vous livrer quelques impressions glanées au fil de nos excursions.

Pas si anti-américains que ça, les Russes du nord ?

Ce qui m’a d’abord étonné, c’est de constater qu’une majorité d’habitants de Saint-Pétersbourg circulent dans des véhicules de marque Ford, Chevrolet, Chrysler. Sont également bien présentes les marques Renault, Nissan et Toyota… sans toutefois égaler leurs concurrentes des Etats-Unis. Pas si anti-américains que ça, les Russes du nord ?

Dans la catégorie haut de gamme, Audi, BMW et Mercedes dominent (comme en Chine ou sur la côte ouest américaine), ainsi que Porsche (en version 4×4… sept mois d’hiver obligent). Nous n’avons pas trouvé les Russes de Saint-Pétersbourg très souriants ; mais franchement, ils font globalement moins « la tête » qu’à Paris, et il y beaucoup moins de SDF dans les rues.

Bon d’accord, c’est une mauvaise comparaison : notre capitale est une référence planétaire en matière de manque d’amabilité de ses habitants et commerçants !

En ce qui concerne la chaussée et les équipements collectifs (tramways, signalisation), c’est comparable à des villes en renouveau comme Shanghai, Pékin, Berlin… et plutôt en meilleur état que Londres ou San Francisco et ses environs.

Pour ce qui est de la restauration des bâtiments ouverts au public ou du faste des palais… c’est tout simplement bluffant !

Y a-t-il un envers au décor ?
Evidemment, je ne me laisse pas si facilement berner ! Saint-Pétersbourg, c’est la vitrine dorée de la Russie. Tout est fait pour que les étrangers s’y sentent comme en Occident (enfin, pas comme en Grèce, en Espagne ou au Portugal qui ont augmenté les tarifs hôteliers de 15% à 20% cette année !) et aient envie de dépenser de l’argent. (Les Saint-Pétersbourgeois, quant à eux, achètent beaucoup d’or et de diamants).

Les Russes ont été par ailleurs encouragés à emprunter pour afficher un niveau de vie sans rapport avec leurs revenus (voiture, appartement, résidences secondaires)… Sauf que leur niveau d’endettement est encore deux fois inférieur à celui de l’Américain moyen.

Cela n’empêche pas certains Russes de dénoncer le piège du crédit, les prix de l’immobilier qui flambent, l’électroménager qui coûte trop cher… et l’hiver qui dure trop longtemps. Les Saint Pétersbourgeois (je ne parle pas des autres Russes, je ne les ai pas rencontrés) plébiscitent Vladimir Poutine — normal : c’est l’enfant du pays –, en particulier sa politique nataliste destinée à enrayer le déclin démographique de la Russie.

Tous les frais de grossesse et d’accouchement sont pris en charge, ainsi que six à neuf mois de salaire. Viennent s’ajouter à cela un emploi maintenu en cas de congé maternité plus un pécule de l’équivalent de 6 000 euros, permettant d’acheter dans le même quartier un appartement comprenant une chambre de plus — sauf dans le centre de Moscou, où 6 000 euros ne paient qu’un demi-mètre carré supplémentaire… Mais dans la plupart des villes provinciales, cela constitue un coup de pouce décisif — et Vladimir Poutine ne compte pas sur les riches moscovites pour se transformer en familles nombreuses !

A Saint-Pétersbourg, le président jouirait d’une cote de popularité de… 87%

A Saint-Pétersbourg, le président jouirait d’une cote de popularité de… 87%, qui augmente à mesure que Washington, Londres et Bruxelles accentuent les sanctions contre la Russie.

J’avoue que je n’accorde guère de crédit à des sondages qui claironnent des scores staliniens… mais il est clair qu’au-delà de la personnalité de Vladimir Poutine — qui est certainement loin de faire l’unanimité que la presse locale tente de refléter –, la Russie se soude face aux manoeuvres de Washington pour arracher l’Ukraine à l’influence de Moscou depuis l’automne 2013… et brouiller les dirigeants européens avec le patron du Kremlin.

Les Jeux olympiques de Sotchi sont considérés comme une véritable fierté nationale. Certains en critiquent le coût exorbitant, l’enrichissement de certains sous-traitants privilégiés… mais l’évènement n’a pas été financé au détriment des contribuables russes et n’a accru l’endettement du pays que de façon marginale (la dette publique ne représenterait officiellement que 11% contre 100% en France et aux Etats Unis).

Même en imaginant que la comptabilité nationale russe soit « hédoniste », voire proche du modèle chinois et que l’endettement réel soit de 20% (je n’y crois pas), la Russie est loin d’être l’otage de ses créanciers comme elle le fut de 1990 à 1997.

▪ La Russie est-elle plutôt comme le Koweït… ou la Libye ?
Le modèle économique demeure toutefois complètement déséquilibré. Il reste proche de celui de monarchies pétrolières émergentes des années 70 qui affichaient d’énormes lacunes en matière de biens de production (à usage civil) et de services.

Mais voyez ce que sont devenus les Emirats Arabes Unis, la Malaisie, le Koweït, le Qatar.
Il y a hélas autant de contre-exemples comme la Libye, le Venezuela, l’Iran… sans parler de l’Irak en décomposition

Ce n’est même pas le fait d’être une démocratie qui change la donne. A part la Malaisie, que je connais plutôt bien pour y avoir séjourné à plusieurs reprises, les autres pays mentionnés sont essentiellement autocratiques… et la notion d’opposition politique y est presque blasphématoire.

Ce qui semble faire véritablement la différence, c’est d’être un allié ou un protégé des Etats-Unis

Ce qui semble faire véritablement la différence, c’est d’être un allié ou un protégé des Etats-Unis. A l’évidence, la Russie n’est pas près de faire partie de cette catégorie, surtout avec un Vladimir Poutine qui prône l’abandon du dollar comme monnaie de réserve internationale.
Tous ceux qui s’y sont essayés ont fini soit en guerre (Irak, Libye, Syrie), soit sous embargo (Iran, Corée du Nord, Venezuela).

Mais il s’agit là de pays isolés sur l’échiquier international, de création récente (sauf le Venezuela) et dont les frontières résultent des caprices d’ex-puissances coloniales au cours du 20ème siècle, sans unité politique, culturelle et encore moins religieuse. Et, je le réitère, sans ancrage historique et sans alliés majeurs sur la scène internationale.

Tout le contraire donc d’une Russie qui renoue avec ses ambitions de grande puissance continentale, qui resserre ses liens avec Pékin et qui bénéficie d’une continuité (vision politique et géostratégique à long terme) dont aucune démocratie occidentale ne bénéficie plus depuis la chute du mur de Berlin. Je concède cependant que le mouvement néo-conservateur américain semble continuer d’inspirer la diplomatie américaine depuis le début du 21ème siècle.

Et franchement, je n’ai pas ressenti à Saint-Pétersbourg ce climat d’abattement moral qui sévit dans certains pays de l’ouest de l’Europe où le président affiche une cote de popularité de 17% (dans des sondages apparemment non truqués)… et dont certains ministres critiquent ouvertement la ligne politique lors des « universités d’été » de son propre parti.

J’imagine l’ébahissement de Vladimir Poutine et de Xi-Jinping devant tant d’effervescence démocratique alors que le paquebot « France » — dépourvu de gouvernail — semble foncer droit vers les récifs !

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