La Chronique Agora

Les morts ne paient pas d’impôts

Tout au long de l’Histoire, pestes et épidémies ont frappé les humains… mais jamais l’intervention des autorités n’y a changé quoi que ce soit.

Eh bien, que d’émotions.

Après des journées – très – difficiles fin février et un début de semaine plus qu’incertain, la Fed a dégainé : une baisse surprise d’un demi-point de son taux directeur hier.

Jerome Powell, son président, l’avait bien dit : la Fed « prendrait les mesures appropriées ».

Mais est-ce qu’une baisse de 0,5 point est appropriée en cas de pandémie ? Ce n’est pas une question que Powell, Trump, Lagarde et co. se posent. Parce qu’ils ne peuvent faire qu’une seule chose… parfaitement inappropriée.

C’est bien là tout le charme des autorités… Il n’y a pas de calamité – naturelle ou générée par la main de l’homme – qu’elles ne peuvent pas aggraver.

Tout ce que nos dirigeants ont sous la main, c’est la fausse monnaie : ils peuvent en rajouter… ou en enlever. Laquelle de ces deux options prévoient-ils d’appliquer en ce moment, à votre avis ?

Le Covid-19, au passage, est indifférent aux politiques des banques centrales, aussi crétines soient-elles.

Depuis l’aube de l’espèce, les humains sont régulièrement victimes d’attaquants microscopiques. Mais durant les 200 000 premières années environs, les épidémies ne « prenaient » guère : les gens étaient trop dispersés.

Ensuite, avec l’arrivée de l’agriculture, de l’élevage, de grandes communautés sédentaires et d’un commerce élargi, les petites bestioles ont saisi leur chance…

Remèdes inutiles

L’historien romain Procope raconte que durant un épisode de peste sous Justinien, jusqu’à 10 000 personnes mouraient tous les jours. Les malades tentaient les bains d’eaux froides ou des poudres bénies par les saints. Mais rien ne fonctionnait.

L’empereur Justinien lui-même tomba malade – mais guérit. Et si les survivants se remirent rapidement, l’empire byzantin, lui, ne se releva jamais tout à fait. Les morts ne paient pas d’impôts, et ils ne travaillent pas non plus comme soldats ou administrateurs.

La Peste noire frappa l’Europe en 1347, tuant jusqu’à 30 millions de personnes. Cette fois-ci, les gens firent preuve d’un peu plus d’imagination.

Nombreux étaient ceux qui pensaient que le fléau était une punition des péchés. Pour faire pénitence, ils se joignaient à des groupes d’auto-persécution – rassemblant jusqu’à 1 000 personnes à la fois –, allant de ville en ville (et répandant la peste !). Ces flagellants portaient de lourdes croix et se fouettaient mutuellement tout au long du chemin.

Là encore, les remèdes ne furent d’aucune utilité. En plus de tuer la moitié de la population, la peste provoqua un effondrement économique.

Ouvriers, agriculteurs, artisans – ils n’étaient plus très nombreux à travailler. Quant aux quelques-uns qui restaient en bonne santé, ils devaient sentir le souffle froid de la mort dans leur nuque : ils ne voyaient pas l’utilité de travailler.

Champs, boutiques, marchés, canaux, routes, murailles, maisons, granges, villes entières – tout fut abandonné ou négligé.

Des boucs-émissaires bien pratiques

Mais si les flagellants s’accusaient eux-mêmes, d’autres trouvèrent des boucs-émissaires plus pratiques. Les juifs furent visés, notamment en Rhénanie : des communautés entières, à Mayence et à Francfort-sur-le-Main, furent annihilées.

(Ce n’est pas une coïncidence : les juifs étaient les prêteurs de l’époque. En tuant les juifs, les gens pouvaient aussi réduire leurs dettes.)

Une si grande part de la main d’œuvre ayant disparu, les paysans survivants se trouvèrent en bonne position pour négocier : les salaires furent doublés… voire triplés.

Naturellement, les autorités intervinrent. Le roi Edouard III tenta de remettre les salaires aux niveaux de 1346, sans grand succès.

Plus tard, la Grande peste de Londres, au XVIIème siècle, fut relativement moins grave, ne faisant que 100 000 victimes environ. Les riches fuirent la cité pour rejoindre la sécurité relative de leurs maisons de campagne. Cela se révéla à peu près efficace. La plupart des morts étaient des pauvres, contraints de rester dans la ville.

A Londres, les gens allumaient des bûchers pour purifier l’air et priaient les saints de les épargner. On tuait les chats et les chiens… car ils étaient réputés transporter la maladie. (Ce qui empira sans doute les choses, puisque la population de rats – les vrais vecteurs – n’était désormais plus régulée.)

Enfin, la fin de la peste fut marquée par une catastrophe supplémentaire, le grand incendie de 1666. L’épidémie avait tué les pauvres, le feu acheva les riches. Il fallut reconstruire Londres – sa population et sa richesse – quasiment de zéro.

Les archanges de la Fed

Aujourd’hui, nous vivons une époque moderne… éclairée par la science et les talk shows. En temps de crise, on se tourne vers les archanges Alan, Ben, Janet et Jerome. « Touchez-nous… guérissez-nous », prie-t-on.

Chaque foyer américain a au mur une photo des 12 disciples du FOMC. On fait le signe du dollar chaque fois qu’on passe devant.

Mais dans tous ces récits historiques d’épidémies, de pestes et d’attaques microbiennes, on ne fait pas mention des banquiers centraux – que ce soit pour guérir la maladie ou remédier aux dégâts économiques.

La raison à cela est simple : ils ne peuvent rien faire. L’argent factice peut fausser les prix – ceux des actifs ou les prix à la consommation. Mais il ne peut pas remplacer les travailleurs… les ventes… ou les profits. Même le vrai argent ne peut pas le faire.

Et si le coronavirus n’a rien à voir avec la Peste noire, il a un effet économique similaire : le capital est toujours là – les bâtiments, les stocks, les usines, l’épargne, les routes et les ressources. Mais les revenus ont disparu.

A Wuhan, les hauts fourneaux sont froids et silencieux. Les écoles du Japon et d’Italie ne retentissent plus de cris joyeux quand la cloche sonne. Les pilotes d’avion sont cloués au sol. Les propriétaires de restaurants surveillent des tables vides, attendant des convives qui ne viendront jamais. Les araignées tissent leur toile à l’entrée des navires de croisière, confiantes dans le fait qu’elles ne seront pas dérangées.

Ces ventes… ces revenus… et ces profits n’apparaissent pas sur les bilans des entreprises, sur les bulletins de salaire ou dans le PIB. Et comme la virginité, ils sont impossibles à récupérer.

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