La Chronique Agora

La mort d’un empire

Etats-Unis, complexe militaro-industriel

Comment l’avertissement d’Eisenhower n’a pas effacé le grand complexe d’insécurité des Etats-Unis.

Les poissons doivent nager. Les oiseaux doivent voler. Puis, les empires dégénérés doivent s’effondrer.

A La Chronique Agora, nous nous intéressons à l’argent. Et nous constatons que la tendance principale semble s’être inversée. Ce qui évoluait à la hausse évolue désormais à la baisse. La gauche est devenue la droite. La Fed a fait preuve de largesse pendant les trente dernières années. Elle a durci le ton et a entrepris de resserrer sa politique monétaire. Et ceux qui avaient gagné de l’argent lors de la bulle spéculative qu’ont connue les marchés entre 2009 et 2020 perdent désormais de l’argent, aspirés avec pertes et fracas par la correction boursière.

Voici ce que nous apprend Bloomberg :

« Le marché de l’immobilier de haut prestige s’effondre à New York et en Floride. »

Mais cette correction boursière n’est qu’une tendance parmi plusieurs du marasme dont nous avons parlé hier :

  1. L’exploitation sans vergogne de la classe moyenne par l’élite, qui explique pourquoi la correction financière n’ira pas jusqu’à son terme.
  2. Le déclin de l’empire américain, qui a commencé aux alentours de 1999.
  3. L’abandon des règles, des principes et des idées qui ont rendu les Etats-Unis aussi prospères.
  4. Une peur fanatique du réchauffement climatique et la conviction que le climat terrestre peut et doit être contrôlé.
  5. Le pouvoir politique incontesté de ce qu’Eisenhower appelait le « complexe militaro-industriel ».

Commençons par le bas et remontons progressivement.

Complexe d’insécurité

L’armée est censée fournir de la sécurité, de manière à ce que le peuple puisse vivre sa vie sans se soucier d’une éventuelle invasion étrangère. Subordonné au contrôle de la société civile, aux Etats-Unis, le général affublé d’un costume aux cordons dorés est censé jouer le rôle de chien de garde, fermement tenu en laisse.

Mais au fil du temps, le complexe militaro-industriel, qui opère comme un véritable groupe de réflexion sur la surveillance, est devenu ce que Dwight Eisenhower redoutait tant : inarrêtable, incontestable et inacceptable.

Le budget de cette année a porté les dépenses militaires américaines à un niveau supérieur aux dépenses militaires combinées de la Chine, du Royaume-Uni, de l’Inde, de la France, de l’Allemagne, de l’Arabie saoudite et de la Corée du Sud. Avec cet argent, la branche armée du Deep State, l’entreprise la plus riche du monde, s’est achetée le contrôle de la presse, des universités, de l’administration et même du Congrès.

Elle paie une armée de lobbyistes et une flopée d’universitaires pour expliquer et persuader, pour tordre des bras et influencer l’opinion publique, toujours en faveur d’une augmentation des dépenses militaires.

L’industrie de la guerre porte l’attention du public sur les conflits qui s’enchaînent. Vietnam, Nicaragua, Koweït, Bosnie, Irak, Afghanistan, Syrie et désormais l’Ukraine… En attendant une passe d’armes avec la Chine.

Mais quel était l’objectif de ces guerres ?

L’industrie de l’offensive américaine

Le communisme a échoué car les économies à contrôle centralisé sont faibles par nature. Au Vietnam, le Pentagone a sacrifié 58 000 soldats américains pour rien. Au Nicaragua, Daniel Ortega, l’un des premiers sandinistes, est toujours au pouvoir. En Irak, les terroristes n’ont jamais été aussi nombreux, maintenant que Saddam Hussein n’est plus là pour les surveiller. En Afghanistan, les Talibans (un groupe qualifié de « terroriste » par les gouvernements occidentaux) dirige le pays.

L’industrie de la défense des États-Unis a arrêté de prétendre défendre les États-Unis depuis longtemps. Depuis la Seconde Guerre mondiale, toutes ses entreprises ont été des « guerres par choix », des opérations offensives dans le cadre desquelles elle s’ingérait dans les affaires de pays étrangers souverains.

Et oui, le langage évolue en fonction de l’objectif qu’il sert. Le nouveau président de la Commission des services armés de la Chambre des représentants, le républicain Mike Rogers, ne parle plus de soldats citoyens fiers de défendre la république. Désormais, ce sont des « combattants de guerre » qui peuvent « dissuader et, si nécessaire, vaincre n’importe quel adversaire dans le monde ».

On n’a jamais expliqué au nom de quoi les contribuables accepteraient de financer des « combattants de guerre ». D’ailleurs, contre quoi se battent-ils ? Les Etats-Unis ont-ils des adversaires à Ouagadougou ? Qu’en est-il à Mogadiscio ou Reykjavik ? Uniquement s’ils le veulent. Et la seule raison plausible de vouloir des adversaires est de justifier le transfert de la richesse du public vers l’industrie de la guerre.

Dans les faits, l’arnaque a été facile à mettre en place. Il suffit de mettre de l’argent sur la table (un don de campagne, un don à un groupe de réflexion, un contrat, une sinécure) et les décideurs se laissent convaincre facilement.

Concernant le public, inutile de se donner la peine de le convaincre ; il ne prend pas la peine d’analyser les détails. Au lieu de cela, dès que le match commence, il revêt le maillot de l’équipe locale.

Des imbéciles sans limites

C’est la théorie qui pose problème, du moins pour ceux qui prennent la peine d’y réfléchir. Après tout, les Etats-Unis sont protégés par deux grands océans. Il est pratiquement impossible pour un adversaire, quel qu’il soit, de s’approcher de Long Beach, en Californie, ou d’Ocean City, dans le Maryland. Et même les missiles longue distance les plus rapides mettent un certain temps avant d’atteindre leur destination, intervalle durant lequel ils sont vulnérables. Dans le contexte d’un budget de 860 Mds$, les missiles défensifs coûtent une broutille.

Ce sont les missiles à courte portée qui représentent une menace immédiate. C’est la raison pour laquelle le président Kennedy avait insisté pour que les Soviétiques retirent leurs missiles de Cuba. Et c’est la raison pour laquelle Vladimir Poutine souhaite maintenir l’Otan à l’écart de l’Ukraine.

Malheureusement, en ignorant la volonté du Kremlin de jouir de la même sécurité qu’ils considèrent indispensable pour eux-mêmes, les Etats-Unis commettent une erreur typique des empires sur le déclin : l’incapacité à respecter la loi de réciprocité. Les Etats-Unis sont devenus trop arrogants.

Mais il y a des limites à tout. Les grandes armées accèdent à la gloire. Puis, sous le poids de leur butin, de la bureaucratie et de l’argent, elles s’effondrent. Le marché cible du Pentagone se trouve dans la Chambre des représentants, pas en territoire ennemi. Au sein du Capitole, le Pentagone peut lancer une grenade à l’aveugle et tuer tous ses partisans. C’est plus difficile contre de vrais ennemis.

En attendant, plus le complexe militaro-industriel dépense en temps et en ressources, moins il y a d’argent pour alimenter la croissance économique.

La productivité aux Etats-Unis n’a jamais été aussi faible depuis quarante ans. Le taux de croissance a reculé depuis les années 1950 et est désormais négatif. L’épargne est l’ingrédient secret et essentiel de l’économie réelle. Mais le taux d’épargne s’est replié à son plus bas niveau des 17 dernières années. Et au lieu d’utiliser l’argent avec sagesse et parcimonie, des milliards de dollars sont dépensés pour financer des fumisteries à Kiev, en Ukraine, et à McLean, en Virginie.

Craignant la mort de leur empire, les Etats-Unis ont fait le choix du suicide.

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