On présente souvent la monnaie « élastique » comme une condition indispensable à la croissance. Pourtant, l’idée d’une masse monétaire devant s’adapter aux besoins de l’économie n’a jamais reposé sur des faits économiques.
L’argument que l’on entend le plus souvent de la part des détracteurs de la monnaie marchandise est qu’elle ne s’adapte pas aux « besoins du commerce ». L’idée est simple : si l’économie croît, la masse monétaire doit croître avec elle. Sous l’étalon-or, augmenter la quantité d’or en circulation prenait du temps et coûtait cher. Il fut admis qu’il fallait rompre avec ces contraintes et adopter un système permettant d’accroître rapidement et à moindre coût la masse monétaire lorsque cela se révélait nécessaire.
Cet argument fut au cœur de la création de la Réserve fédérale. Il figure d’ailleurs dans la toute première phrase du Federal Reserve Act : « Une loi […] visant à fournir une monnaie élastique. » L’esprit de cette idée fut repris lorsque le Congrès attribua à la Fed ses objectifs suprêmes : « [La Fed] doit maintenir à long terme une croissance des agrégats monétaires et du crédit conforme à la capacité de l’économie à augmenter la production, afin de promouvoir efficacement les objectifs de plein emploi, de stabilité des prix et de contrôle des taux d’intérêt à long terme. »
Pourquoi la Fed a-t-elle été créée pour « fournir une monnaie élastique » ?
Malheureusement, le récit entourant la création de la Fed a été largement déformé – tout comme le mythe de son « indépendance ». Il n’y a jamais eu de mouvement populaire réclamant une monnaie élastique. Ce fut une campagne de propagande orchestrée par les grandes banques et les élites économiques de l’époque progressiste, comme l’a montré Murray Rothbard dans A History of Money and Banking in the United States :
« Les doléances des grandes banques se résumaient en un seul mot : ‘inélasticité’. Elles reprochaient au système bancaire national de ne pas offrir la souplesse nécessaire à la masse monétaire — c’est-à-dire de ne pas leur permettre d’accroître la masse monétaire et le crédit autant qu’elles le souhaitaient, surtout en période de récession. En résumé, ce système limitait les possibilités d’expansion inflationniste du crédit bancaire.
À la fin du XIXᵉ siècle, la vie économique américaine était dominée par deux grands blocs financiers souvent rivaux :
– le groupe Morgan, dont le cœur de métier originel était la banque d’investissement et qui s’est ensuite aventuré dans la banque commerciale, les chemins de fer et les fusions d’entreprises industrielles ;
– le groupe Rockefeller, parti du raffinage du pétrole avant de s’allier à Kuhn, Loeb & Co. dans la banque d’investissement et à Harriman dans les chemins de fer.
Malgré leurs rivalités, ces deux blocs s’accordaient sur la nécessité d’une banque centrale. Même si les Morgan jouèrent le rôle principal dans la mise en place et la direction du système de la Réserve fédérale, les Rockefeller, Kuhn et Loeb furent tout aussi enthousiastes à promouvoir ce qu’ils considéraient comme une réforme monétaire essentielle. »
Certes, il existait un mécontentement populaire face aux faillites bancaires, et certains populistes comme William Jennings Bryan réclamaient le retour des pièces d’argent pour stimuler l’inflation. Mais les élites à l’origine de la Fed défendaient une forme d’inflation plus subtile : le crédit bancaire élastique. Les banques voulaient se protéger contre les conséquences de leurs prêts imprudents et des limites inhérentes à la réserve fractionnaire. Elles voulaient un prêteur en dernier ressort pour les renflouer, et un coordinateur de l’expansion du crédit. En somme, elles voulaient transférer les risques et les coûts de leurs mauvaises pratiques sur le public, sans qu’il s’en aperçoive.
Avons-nous besoin d’une monnaie élastique ?
Rien ne prouve qu’une économie en expansion ait besoin d’une masse monétaire croissante. La monnaie est un bien d’échange : les variations de prix suffisent à ajuster l’offre et la demande des biens et services. La quantité d’or peut augmenter, ou diminuer si des pièces sont perdues ou fondues pour d’autres usages, mais sa production obéit aux mêmes règles de profit et de perte que toute autre activité économique.
De nouveaux gisements ne sont exploités que si cela est rentable. Et produire de l’or de façon rentable signifie simplement que les gens accordent plus de valeur aux nouvelles pièces d’or qu’à tout autre bien pouvant être produit avec les mêmes ressources. Ainsi, la quantité d’or en circulation correspond toujours à ce dont le marché a réellement besoin.
C’était un atout de l’étalon-or que de rendre lente et coûteuse l’expansion monétaire. Cette contrainte permettait de contenir l’inflation, et elle empêchait les banques de multiplier le crédit au-delà de ce que leurs dépôts permettaient réellement. Elle freinait également les ardeurs d’un gouvernement tenté de dépenser plus que les recettes fiscales qu’il percevait.
Les économistes autrichiens sont souvent caricaturés en « adorateurs de l’or », comme s’ils prêtaient à ce métal des vertus mystiques. Mais Mises lui-même le disait : « Que l’or — et non autre chose — soit utilisé comme monnaie n’est qu’un fait historique. » Il ajoutait : « L’étalon-or n’est certainement pas un système parfait ou idéal. »
Dès lors, pourquoi Mises et les autres économistes autrichiens y sont-ils attachés ? Parce que, disait Mises :
« Le fait que l’étalon-or rende la production d’or dépendante de sa rentabilité limite la capacité des gouvernements à recourir à l’inflation. L’étalon-or rend le pouvoir d’achat de la monnaie indépendant des ambitions changeantes des partis et des groupes de pression. Ce n’est pas un défaut : c’est sa principale vertu. »
Apoplithorismosphobie
Beaucoup rejettent l’idée que les variations de prix reflètent les fluctuations de l’offre et de la demande de biens et services. Ils en déduisent qu’une économie en croissance serait forcément marquée par une déflation des prix, phénomène insupportable à leurs yeux. C’est ce qu’on appelle l’apoplithorismosphobie : la peur irrationnelle de la déflation.
Ses défenseurs avancent deux raisons principales :
- les dépressions coïncident souvent avec des périodes de déflation ;
- une déflation imprévue complique le remboursement des dettes.
Pour ceux qui souffrent de cette phobie, plusieurs travaux, dont l’article de Mark Thornton cité plus haut, apportent un correctif utile.
Pavel Ryska a montré que la déflation n’entrave pas la croissance, et que la Grande Dépression fut une exception par son ampleur. Dans Less than Zero, George Selgin explique pourquoi la déflation liée à la croissance économique n’a rien d’inquiétant. Jörg Guido Hülsmann aborde en détail la déflation et ses effets — y compris sur la dette — dans Deflation and Liberty.
Conclusion
Ce sont des intérêts bancaires bien particuliers qui ont voulu une monnaie élastique au moment de la création de la Réserve fédérale, afin de se protéger des conséquences de leurs propres erreurs. Or, dans la mesure où la monnaie n’est qu’un bien d’échange, rien ne justifie qu’elle s’étende au même rythme que l’économie. Et si la production augmente, il n’y a rien de mal à ce que les prix des biens et des services baissent.
Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais disponible ici.
