La Chronique Agora

La monétisation de la dette publique et la fin de toutes les réformes

richesse

▪ La BCE a commencé son programme d’assouplissement quantitatif — consistant à acheter 60 milliards d’euros d’obligations chaque mois jusqu’en septembre 2016 avec la possibilité de le prolonger, et/ou de l’augmenter, si nécessaire.

Chaque semaine 15 milliards d’euros, chaque jour trois milliards d’euros d’obligations seront acquis. Le premier jour, la BCE et les banques centrales ont acheté pour 3,2 milliards d’obligations ; c’est 9,8 milliards qui ont été ainsi achetés dans les trois premiers jours de l’opération.

Les banques centrales mondiales ont augmenté leurs bilans de 12 000 milliards de dollars

La forte demande est arrivée sur des marchés vides et a conduit les rendements à des niveaux historiquement bas, et cela sur toutes les durées. Par exemple, sur leurs échéances longues, les Bunds n’offrent plus actuellement qu’un rendement négatif. L’absence d’investissements alternatifs fait aussi sentir son influence sur les marchés boursiers et les taux de change. Au total, les banques centrales mondiales ont augmenté leurs bilans de 12 000 milliards de dollars au cours des dernières années. 16% de toutes les obligations du monde n’offrent plus aucun rendement. Le taux d’intérêt comme régulateur du marché a cessé d’exister.

Et cela ne changera pas de si tôt ! Au Japon, la BoJ va acheter, cette année, 100% des nouvelles émissions de l’Etat. Jusqu’en 2019, l’Allemagne ne prévoit aucun nouveau déficit pour son budget, ce qui veut dire que les banques centrales devront acheter 144% des nouvelles émissions publiques — et donc racheter des anciennes obligations sur le marché. Toutefois, aucune baisse de la dette allemande n’est envisagée. Aux Etats-Unis, la Fed a bien arrêté son programme de QE, mais les paiements d’intérêts et les remboursements arrivés à échéance servent encore à acheter les obligations du Trésor.

Le 20 mars 2015, le plafond légal de la dette aux Etats-Unis, de 18 149 milliards de dollars (pour un PIB de 17,7 milliards de dollars), a été dépassé mais une nouvelle augmentation est déjà quasiment certaine. Les dettes extrêmement hautes sont financées par les banques centrales. Une telle situation n’a pas d’équivalent historique… mais on peut imaginer que les effets négatifs seront dévastateurs.

L’utilité marginale de la baisse des taux est depuis longtemps atteinte

▪ Des erreurs qui coûteront très cher
Les principales erreurs que l’on peut souligner sont : la baisse des taux d’intérêt, en réduisant le coût du financement des nouveaux investissements, favorise la production de biens, ce qui diminue le chômage et augmente la consommation des ménages. En théorie, les effets multiplicateurs avec effet de levier stimulent l’économie mais, dans la pratique, plus grande est la baisse des taux d’intérêt plus l’effet stimulant diminue. Si une entreprise n’investit pas à un niveau de taux de 2%, elle ne le fera pas non plus à 1% car, en fait, ce qu’elle craint c’est de ne pas écouler sa production. Une réduction à 0,5% est, pour l’entreprise, une confirmation de l’aggravation de la situation économique. Toutes les alarmes se mettent à sonner quand les taux atteignent 0% ou entrent en zone négative, car c’est le signe que la banque centrale craint vraiment une grave récession économique, ce qui stoppe tout nouvel investissement, handicapant encore plus l’économie. L’utilité marginale de la baisse des taux est depuis longtemps atteinte : toute nouvelle baisse ne sera que contre-productive.

Personne ne prête attention au fait que les revenus des épargnants, des fonds de pension ou des assureurs-vie sont, au final, atteint par la ZIRP ou même la NIRP (intérêts 0%) et que, par là, c’est la consommation qui est freinée. Par ailleurs, l’épargne placée sur les marchés monétaire et obligataire qui théoriquement sert à financer machines et équipements subit, en termes réels, une moins-value du fait que les taux ne compensent même pas l’inflation et les impôts. Les investisseurs sont ainsi poussés vers des marchés toujours plus risqués, jusqu’aux marchés émergents. L’utilité marginale de la baisse des taux n’est plus qu’un lointain souvenir !

Toute la courbe des taux est déformée. L’argent ne va plus de manière optimale vers l’investissement productif et prometteur, ce qui est susceptible de déclencher de nouvelles crises. Quand il devient si facile de financer les nouvelles dettes, le trésorier public choisira cette possibilité sans trop se soucier de la charge d’intérêts future, car il est beaucoup plus difficile et impopulaire d’augmenter les impôts ou de réduire les dépenses. Dans quelques années les dépenses budgétaires les plus importantes aux Etats-Unis seront les paiements d’intérêts, qui entraîneront une charge d’intérêt annuel de 800 milliards de dollars. Malgré cela, la CBO prévoit déjà de nouveau déficits budgétaires encore plus hauts sur les prochaines années. La volonté de réformer pour sortir de la crise s’évanouit.

Une stimulation monétaire aux niveaux actuels n’est en fait plus nécessaire

Le développement économique dans le monde est encore très fragile mais les inquiétudes sur la déflation se sont sensiblement réduites. La baisse de 50% du prix du pétrole agit maintenant comme un énorme programme de relance. Les indicateurs avancés économiques pour toutes les grandes régions ne pointent plus vers la déflation mais prévoient une croissance à petite vitesse… celle de la tortue. Une stimulation monétaire aux niveaux actuels n’est en fait plus nécessaire.

La controverse récente entre le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque des règlements internationaux (BRI) montre la complexité de la situation. En début d’année, le FMI a instamment demandé à la BCE de mettre en oeuvre une politique monétaire beaucoup plus agressive alors que la BRI demande de continuer les efforts pour sortir de la politique monétaire expansive sans se laisser troubler par les légères turbulences qui s’en suivent.

▪ Conclusion
Les banques centrales ont probablement déjà poussé trop loin leur politique de taux zéro. A ce niveau de taux, les effets contre-productifs sont déjà visibles. Il n’y a plus de véritable volonté de réformer pour faire baisser la dette publique et réduire les déficits budgétaires. Au cas d’une remontée des taux, les intérêts débiteurs sur une dette mondiale atteignant, actuellement, 200 000 milliards de dollars ne pourront pas être financés. Les investisseurs vont vers des investissements toujours plus risqués ce qui fut la cause, en 2008, de la plus grande crise de ces 80 dernières années.

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