La Chronique Agora

Mondial des débiteurs : la Chine siffle un penalty contre l'euro

▪ Pour être tout à fait franc, nous étions assez satisfait mercredi matin d’avoir identifié le palier des 3 300 points sur le CAC 40 et 2 450 points sur l’E-Stoxx 50 comme une zone de potentiel retournement à la hausse… Cependant, le rebond relativement modeste des indices concernés nous a laissé sur notre faim au moment du coup de cloche final.

Difficile de se montrer résolument enthousiaste mercredi soir : les places européennes ont clôturé en ordre dispersé avec des gains de 2,3% à Paris ou Amsterdam ou 2,1% à Milan… tandis que Francfort se contentait de 1,55%… et Madrid de seulement 0,4%.

Le CAC 40 n’a d’ailleurs pas terminé au mieux. Il échouait à reprendre l’intégralité du terrain perdu la veille — pourtant, les gains avaient atteint les 3,5% vers 16h30, alors que Wall Street, confirmant ses bonnes dispositions initiales, affichait jusqu’à +1,5%… avant de reperdre la moitié de ses gains au bout de deux heures de cotations.

▪ Il n’y a pas eu à chercher bien loin l’explication d’un tel déclin : l’euro s’est une nouvelle fois distingué par sa vulnérabilité en rechutant de 1,237 $ vers les 1,22 $.

A première vue, c’est le dollar qui s’est raffermi grâce au chiffre des commandes de biens durables aux Etats-Unis au mois d’avril (+2,9% et +3,4% hors défense… mais -1% hors transports et aéronautique). Il a également eu l’aide du bond de 14,8% des ventes de logements neufs (le chiffre le plus élevé enregistré depuis mai 2008)… mais chacun sait que le nombre de transactions a été dopé par l’expiration d’une prime fiscale de 8 000 $ au 30 avril 2010.

Il est tout aussi plausible d’affirmer que la monnaie unique a rechuté "spontanément" du fait des inquiétudes exprimées par l’OCDE qui redoute — tout comme les marchés — l’impact négatif des plans d’austérité dévoilés ces derniers jours.

Cela n’empêche pas l’OCDE de relever ses prévisions de croissance dans les pays développés en 2010 et 2011. Elle s’établirait à 3,2% aux Etats-Unis et 2,8% au niveau mondial… et l’Europe afficherait 1,2% cette année puis 1,8% l’an prochain.

Avouons que cela tiendrait du miracle après les plans d’austérité annoncés par les pays du "Club Méditerranée"… et qui sont directement inspirés de celui mis en place par l’Irlande un an plus tôt (résultat : une récession de -8,7% assomme le pays du trèfle).

Savez-vous ce que les mêmes recettes de réduction des déficits ont provoqué en Estonie et en Lituanie ? La réponse est un effondrement de 20% à 22% du PIB l’an passé, accompagné d’un grand bond en arrière de près de 10 ans, qui laisse plus de 25% de la population au chômage. Vous pourriez objecter qu’avec un PIB qui demeure stable, l’Espagne affiche un taux de sans-emploi comparable… mais ce n’est pas une consolation pour les républiques baltes.

Il n’échappe à personne qu’après la péninsule grecque et ses rivages enchanteurs — mais un peu trop chauds l’été –, c’est au tour de la péninsule ibérique — avec ses plages écrasées de soleil — de donner des maux de tête aux détenteurs d’euros, façon crise d’insolation.

▪ Vous pourriez croire la France bien mieux lotie… Mais le président de la Cour des Comptes, Didier Migaud, affirme qu’il ne sert à rien de se cacher derrière notre parasol tricolore : "tous les clignotants budgétaires et financiers sont au rouge", "l’année 2009 s’est achevée sur un déficit de 138 milliards d’euros, soit une fois et demi celui constaté en 2008 (…) ce qui représente plus de deux tiers du produits de la totalité des impôts et taxes nationales".

"Avec une chute de  19,1% par rapport à 2008, les recettes fiscales nettes de l’Etat sont revenues à un niveau proche de celui de 1979, alors que dans le même temps, le PIB a augmenté de 68%". Nous ne pouvons qu’en déduire le peu de bénéfices d’une forte croissance de l’activité pour la prospérité d’une nation puisque les profits générés ne vont pas dans les poches des salariés ni dans celles de l’Etat : qu’en est-il des paradis fiscaux ?

Après avoir si peu profité de la croissance, les contribuables accepteront-ils de financer des déficits qu’ils savent imputables à un système bancaire mondialisé qui les a enfermés (ainsi que les Etats ayant volé à son secours) dans le piège de la dette ?

Le risque d’instabilité sociale est de plus en plus fréquemment évoqué comme l’un des risques majeurs à moyen terme pour les entreprises et leur profitabilité future… Cela en plus du scénario de récession à la japonaise que les marchés redoutent désormais d’ici 2012.

De ce point de vue, l’Europe est le bloc économique le plus susceptible de manifester une aversion massive aux plans d’austérité qui impliquent de faire voler en éclats des décennies d’acquis sociaux… ce qui compromettrait tout espoir de retour à l’équilibre budgétaire dans un avenir prévisible.

▪ Les plus conscients de cet aspect des choses sont peut-être les Chinois; qui détiendraient 500 à 600 milliards d’euros de bons du Trésor émis par différents pays de l’Eurozone.

Wall Street (-0,7% au final) a littéralement dévissé de plus de 1,3% en l’espace de seulement cinq minutes mercredi soir. La cause de cette chute abrupte ? Les opérateurs ont découvert sur le site du Financial Times un article qui relatait les interrogations de la Chine concernant le niveau de ses réserves en obligations souveraines libellées en euro.

Pékin s’inquiète, au même titre que les banquiers occidentaux, du niveau d’endettement de la Grèce, du Portugal et de l’Espagne.

Et la "nouvelle" tombe — pur hasard ? — au lendemain de la visite de Tim Geithner et d’Hillary Clinton en Chine, c’est-à-dire chez le premier créancier des Etats-Unis (avec probablement 1 600 milliards de dollars de T-Bonds et autres actifs libellés en dollar).

L’euro — déjà affaibli par les avertissements de l’OCDE — s’est enfoncé dès 21h30 sous les 1,22 $ et jusque vers 1,217 $ peu avant minuit, soit -1,5%. Il a ainsi tutoyé ses planchers annuels établis 10 jours plus tôt vers 1,2145 $.

Le retracement de la parité originelle de 1,1760 $ ne semble plus qu’une question de jours… et de réflexions assassines concernant l’absence de politique commune permettant de défendre efficacement une monnaie certes unique mais tiraillée entre des égoïsmes multiples.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile