La guerre en Ukraine montre à quel point les politiques de certains pays européens se sont basés sur des solutions de facilité, au prix de leur dépendance énergétique. La transition écologique ne résoudra pas tout : de nouveaux partenariats doivent être trouvés.
En politique étrangère, les gouvernements devraient toujours s’efforcer d’argumenter à partir d’une position de force. La guerre actuelle en Ukraine, causée par l’invasion russe, a mis en évidence le manque de force de l’Europe. Je ne parle pas nécessairement de la force militaire – combien de chars ou de fusées nos armées détiennent, même si cela peut malheureusement jouer un rôle à un moment donné –, mais de la force de prendre des décisions indépendamment de la nécessité économique.
A quoi sert le commerce ?
Le commerce est un bien mondial. Il induit notre volonté de coopérer pacifiquement, et il enrichit aussi bien les pays qui ont une balance des échanges excédentaire que ceux qui sont déficitaires sur ce plan. Lorsqu’une nation enfreint le principe d’échange pacifique et coopératif, il est opportun et judicieux de restreindre les flux commerciaux.
Si cela entraîne une perturbation importante de certaines des industries les plus essentielles, comme c’est le cas pour l’importation de combustibles fossiles en provenance de Russie, cela montre que l’Europe s’est trop reposée sur le commerce avec un partenaire indigne de confiance.
Il y a beaucoup d’apologistes du président russe Vladimir Poutine sur internet qui tentent de justifier les atrocités commises par son régime. Et pourtant, même ces apologistes savent pertinemment que Moscou utilise ses exportations de gaz naturel et de pétrole comme d’une arme politique contre ses partenaires commerciaux.
« Le chancelier allemand Olaf Scholz a pris l’ordre d’arrêter le processus de certification du gazoduc Nord Stream 2. Eh bien. Bienvenue dans le meilleur des mondes où les Européens vont très bientôt payer 2 000 € pour 1 000 mètres cubes de gaz naturel ! », a ainsi tweeté le président du Conseil de sécurité russe et ancien premier ministre, Dmitri Medvedev.
Le prix d’une politique
Cependant, il est essentiel que l’Europe ne puisse pas être soumise au chantage de régimes autoritaires tels que la Russie. Lorsque Valéry Giscard d’Estaing a mis en œuvre le virage français vers l’énergie nucléaire dans les années 1970, il l’a fait non pas pour réduire les émissions de dioxyde de carbone (même si cela a été un effet secondaire positif), mais pour garantir l’indépendance énergétique de la France.
Alors que la France est en mesure de présenter une énergie abordable et une empreinte carbone réduite, l’abandon progressif de l’énergie nucléaire en Allemagne a entraîné les prix de l’électricité les plus élevés du monde développé. Le passage aux énergies renouvelables n’a pas été un succès, car l’énergie éolienne et l’énergie solaire ne seront jamais des solutions 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour le réseau énergétique du pays.
Dans certains pays, comme la Belgique et les Pays-Bas, même les écologistes ont accepté cette réalité et étendu la durée de fonctionnement des centrales nucléaires.
Le consensus politique sur le Green Deal européen est rompu. Les centrales au charbon sont réactivées ou étendues, et les pays cherchent leurs propres réserves de gaz naturel. Qui sait, peut-être même que le gaz de schiste sera sur la table.
A long terme, l’Europe doit renforcer sa position auprès de ses principaux partenaires stratégiques. Les importations de GNL en provenance des États-Unis et du Canada nécessitent des infrastructures stratégiques, pour lesquelles seule l’Espagne est actuellement véritablement préparée. Les nouvelles centrales nucléaires ont besoin de temps pour leur construction – en France, les six EPR qui ont été confirmé, en plus de Flamanville, pourraient être mis en service en 2035, si tout se déroule idéalement. Le credo devrait être : plus tôt que tard.
Se rapprocher d’anciens partenaires, et en trouver de nouveaux
La guerre de la Russie contre l’Ukraine offre à l’UE l’occasion de rechercher une relation plus productive avec les nations africaines, une relation qui profitera aux deux parties. L’Ukraine a récemment décidé d’interdire les exportations de blé, et le régime de sanctions contre la Russie a un impact considérable sur le commerce à travers le continent européen.
Cela dit, la crise actuelle n’est pas seulement l’occasion d’accroître les exportations de denrées alimentaires et de négocier des exemptions aux nouveaux droits de douane, mais aussi de faire connaître l’Afrique comme une alternative au gaz naturel russe. L’Algérie fournit environ 11% des besoins en gaz de l’Europe et a déclaré qu’elle pouvait augmenter sa production de près de 50% grâce au gazoduc TransMed existant.
Le ministre italien des Affaires étrangères, Luigi di Maio, qui est en mission d’enquête pour trouver des alternatives au gaz naturel russe, a récemment visité le pays. Pendant des années, pour les nations européennes, acheter son gaz à Gazprom a été plus facile pour une raison importante : le gaz russe est moins cher. Désormais, ce pourrait ne plus être le cas.
De plus, si l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte et la Libye sont des acteurs importants, l’Afrique subsaharienne verra également son rôle géostratégique s’améliorer.
Le Nigeria, le Mozambique et le Sénégal ont fait pression par le passé pour obtenir une aide financière européenne afin de développer et d’exploiter leurs réserves de gaz naturel. Ils sont désormais dans une position unique pour faire entendre leur voix à Bruxelles.
La Tanzanie, qui, l’année dernière encore, tentait de débloquer des investissements étrangers dans son développement gazier, est plus susceptible que jamais d’accéder au marché du GNL (gaz naturel liquéfié), car l’Europe mise de plus en plus sur les expéditions de GNL du monde entier. Le Ghana, un autre acteur qui, au cours des dix dernières années, a connu une augmentation significative de ses besoins en gaz, est maintenant sur le point de faire partie du club des exportateurs d’énergie.
Quelle que soit l’issue de la guerre, les relations de l’UE avec la Russie vont être mises à mal pour des années, voire des décennies, à venir. C’est l’occasion pour les acteurs africains d’intervenir, de formuler des exigences et d’imposer des pratiques commerciales équitables.
L’Europe doit définir ses priorités. L’utopie écologiste dans laquelle installer des panneaux solaires permettront même aux plus petites nations d’être indépendantes et neutres en carbone s’est heurtée au dur mur de la réalité. Tandis que la transition énergétique de l’Allemagne n’a pas seulement nui à ses consommateurs, elle a aussi financé la machine de guerre russe.
Ceux qui croient à la force par le pouvoir doivent prendre des mesures audacieuses pour créer un avenir où l’Europe ne sera pas laissée de côté, ni roulée dessus.