Les électeurs ont donc parlé. La Chambre des représentants américaine est passée aux mains des démocrates — le début d’une nouvelle série d’audiences interminables, conçues pour distraire les électeurs des vols qui se produisent en coulisses… et du désastre qu’ils annoncent.
Là, loin du feu des projecteurs, les démocrates et les républicains, les gauchistes et les trumpistes, se répartiront les biens mal acquis grâce aux élections.
Nous reviendrons dans un instant à ce sujet. D’abord, quelques nouvelles d’Irlande, où nous nous trouvons depuis lundi.
Il y a de la pluie et quelques bourrasques… mais c’est un très bel automne sur l’Ile d’émeraude.
L’herbe est verte. Et les arbres sont particulièrement colorés cette année, peut-être parce qu’ils n’ont guère eu d’eau en début de saison.
Un langage pour initiés
Sur le site des travaux, où nous rénovons un ancien presbytère, nous avons trouvé un homme fluet, doté de somptueux favoris, aux commandes d’une pelleteuse. Nous nous sommes présentés :
« Bonjour, je suis Bill Bonner… le propriétaire ».
« Ergist nooum charbit ».
« Ah… oui… belle journée ».
« “Glaff chit gllobian gaffba ».
« Oui… eh bien… je suis ravi que vous soyez là. Nous avons beaucoup de travail à faire, pour nettoyer les champs et ainsi de suite »…
« Buhljj mpstra guelpq ».
« Merci… oui… à bientôt ».
Plus tard, nous nous sommes tournés vers notre bras droit, Ronan, pour quelques explications.
« Je n’ai pas compris un seul mot. Il ne parle que le gaélique ? »
Il y a une région gaélophone non loin. Nous supposions que l’homme venait de là.
« Non, c’est Paddy O’Rourke. Il parle anglais, mais ça ressemble à du gaélique. Un peu. J’aurais dû vous prévenir. Il faut vivre ici 20 ans avant de comprendre Paddy ».
« Je ne sais pas s’il me reste autant de temps »…
Des rituels creux
Quoi qu’il en soit…
Les élections sont l’un des grands rituels creux de la vie moderne. Elles permettent à l’individu moyen de redresser fièrement le menton, pensant que c’est lui — et non les initiés — qui a toujours le dernier mot.
Lorsqu’on parle à une personne « moyenne », on trouve généralement quelqu’un de parfaitement agréable, dont les affaires sont plus ou moins en ordre.
Il s’entend (généralement) bien avec les autres, évite les accidents de la route et conduit sa vie personnelle avec des compétences raisonnables et des objectifs plausibles.
En revanche, il est complètement incapable de maîtriser les nombreux détails et nuances de la vie publique au XXIème siècle.
Parlez-lui des déficits commerciaux… des taux négatifs… ou des terroristes : il perd immédiatement ses repères et se raccroche aux clichés et slogans électoraux.
« Nous devons protéger ce en quoi nous croyons »… « Mieux vaut les combattre là-bas qu’ici »… « L’économie se porte plutôt bien, ils doivent savoir ce qu’ils font »…
Ses réponses relèvent plus des sentiments que des idées… des préjugés que de la réflexion… et des désirs que des principes. Surtout, elles démontrent un gigantesque manque de cynisme.
C’est bien ainsi que cela devrait être. Les gens ont mieux à faire que réfléchir à des questions publiques abstraites… et l’on ne va pas loin, dans sa vie privée, en étant cynique.
Pourtant, si le cynisme entrave les affaires privées, il est essentiel pour les affaires publiques. Eh, hélas, le citoyen moyen est mal équipé en la matière.
Aimez-vous les Américains ?
En étudiant les primates, les chercheurs ont conclu que « l’intelligence sociale » (qui se loge peut-être dans le lobe frontal) est liée à la taille du groupe. Apparemment, il faut beaucoup d’énergie cérébrale pour gérer les relations humaines.
L’homme de Neandertal vivait dans des groupes composés de 20 à 50 personnes seulement. Les chimpanzés peuvent gérer des groupes légèrement plus nombreux. Et les humains sont adaptés à des groupes de 150 à 200 personnes. Généralement, plus le primate est intelligent, plus la taille du groupe est élevée.
Quelle chance ont ces animaux de comprendre des groupes de 300 millions ? Il leur faudrait bien plus de cynisme — et un cerveau de la taille d’un vaisseau spatial.
Les questions publiques sont déroutantes, ambiguës et idiotes — même pour les experts. On ne peut pas attendre d’un chauffeur routier qu’il ait un point de vue cohérent ou très développé à leur sujet.
Un récent éditorial du Wall Street Journal, signé par David Gelernter, professeur à Yale, était complètement à côté de la plaque. Si vous n’aimez pas Donald Trump, avançait-il, c’est que vous n’aimez pas l’Amérique ou les Américains :
« Est-il possible de détester Donald Trump mais pas l’Américain moyen ? […] Je vois souvent chez la gauche une haine ouverte, inconditionnelle, dont la personne — que Dieu lui pardonne — est fière. C’est décourageant, et même dégoûtant. Et cela signifie, à mon avis, qu’une personne qui hait Trump hait réellement l’Américain moyen — homme ou femme, noir ou blanc. Souvent, il déteste les Etats-Unis aussi ».
En ce qui nous concerne, nous avons un point de vue différent. Nous aimons les chauffeurs routiers, les boulangers et les conducteurs d’engins. Nous aimons aussi les Etats-Unis. Quant à leur président, nous ne l’avons jamais rencontré.
Mais ce n’est pas parce que nous aimons quelqu’un que nous voulons qu’il nous dicte notre conduite. Et ce n’est pas parce que vous avez fait voter 150 millions de ces individus moyens que leur choix vaudra mieux qu’un simple tirage au sort.
Ce sera probablement pire. Parce que — même si la personne moyenne est un être humain raisonnable… elle n’est jamais entièrement bonne ou entièrement mauvaise, mais toujours soumise à influence.
Et un démagogue habile — un M. Je-Sais-Tout plein d’assurance, avec une solution simple pour chaque problème — sera toujours plus doué pour agiter les foules qu’un penseur humble et honnête.
Vous avez là deux des plus grandes fraudes du système. Nous sommes tous censés être égaux. Mais certains — en utilisant le processus politique pour leurs propres desseins — peuvent dire au reste d’entre nous comment gérer nos vies.
Qui plus est, le processus de sélection fera quasi-toujours émerger les pires — et non les meilleurs — candidats.
Si bien que nous nous retrouvons à être dirigés par les plus grands crétins.
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