La Chronique Agora

Même l’Allemagne abandonne le libéralisme

Allemagne, fiscalité, gaz, pénurie

Masquer une pénurie énergétique par des pirouettes budgétaires ne fait que décaler, chèrement, l’inévitable confrontation avec la réalité.

La « fin de l’histoire » anticipée par le politologue Francis Fukuyama suite à l’éclatement du bloc soviétique aura fait long feu. La victoire de la démocratie et du libéralisme sur le dirigisme autoritaire n’avait, nous le réalisons rétrospectivement, rien de définitif. Nul besoin d’aller jusqu’aux pays en guerre pour constater que le libéralisme n’est plus en odeur de sainteté – qu’il s’agisse des libertés publiques ou économiques.

En France, Etat jacobin par excellence, le marché libre, l’entrepreneuriat et la mondialisation ont toujours été perçus avec méfiance. Voir l’Etat gérer le quotidien des citoyens par un empilement de règles contraignantes, une multiplication des taxations punitives et de copieuses subventions, est considéré comme normal – au point que, malgré une dépense publique de l’ordre de 60% du PIB, nombre d’hommes politiques et de citoyens espèrent encore prendre le pouvoir pour imposer « plus d’Etat ».

Cet amour français pour le dirigisme et le pilotage étatique de l’économie détonnait dans le concert des nations démocratiques. Mais, depuis le début de cette décennie, il se diffuse dans tout l’Occident. Nos partenaires privilégiés tombent les uns après les autres dans le piège de l’économie politisée.

La crise du Covid avait déjà fait voler en éclat de nombreux garde-fous en matière d’impression monétaire et de mise sous tutelle des échanges commerciaux. La situation sanitaire à peine revenue à la normale, voici que la guerre en Ukraine et la crise énergétique qui l’ont suivie justifient une nouvelle fuite en avant dans la soviétisation de l’économie.

Cet été, c’est notre voisin Allemand, pourtant réputé plus libéral que la France, qui a confirmé son basculement vers une économie dirigée. Historiquement favorable aux privatisations, Berlin a renié son ADN en mettant sous cloche, dans la plus grande précipitation, le secteur de l’énergie.

Quand l’Allemagne suit les mauvaises idées de la France

« En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des impôts ! »

C’est ainsi que nous pourrions résumer la politique d’urgence suivie par le gouvernement suite à l’augmentation du prix des carburants. Au printemps, pour répondre aux citoyens choqués de voir le prix du sans-plomb s’inscrire durablement au-dessus des 2 € le litre, le gouvernement a annoncé une remise sur l’achat de carburant pour les véhicules particuliers et professionnels.

Début avril, il s’est engagé à subventionner à hauteur de 18 centimes par litres (TTC) l’essence et le gazole. De nombreux analystes se sont émus du caractère à la fois inflationniste, injuste, et macroéconomiquement néfaste de la mesure.

Parce qu’il s’agit d’un transfert de richesse massif (près de 10 Mds€ en année pleine, de quoi reconstruire 20 fois le CHU de Caen), parce qu’il est indiscriminé (tous les citoyens qui achètent de l’essence le perçoivent, quels que soient leurs revenus), parce qu’il est trop généralisé pour être économiquement efficace (tout le monde paye pour tout le monde), et parce qu’il n’est pas financé (l’Etat utilise la dette pour payer cette nouvelle dépense courante), l’aide à l’achat de carburant aurait pu être une mauvaise idée qui ne dure pas.

Las, la torpeur estivale a été l’occasion de doubler la mise. Un décret publié au Journal officiel du 24 juillet a prolongé jusqu’au 31 août 2022 la subvention de 18 centimes. Puis son montant va même augmenter, pour passer à 30 centimes durant les mois de septembre et d’octobre. L’Etat français confirme ainsi son rôle de pompier-pyromane de l’inflation : pour lutter contre la hausse des prix, il distribue massivement de l’argent qu’il n’a pas.

Notre voisin allemand est entré dans le même cercle vicieux avec une autre énergie : le gaz.

Les mauvaises solutions à un vrai problème

Vous n’êtes pas sans savoir que l’Allemagne est non seulement ultra-dépendante du gaz, mais qu’elle avait en plus fait le pari de s’approvisionner en Russie pour se distancier de l’Afrique et du Moyen-Orient.

Du fait de la guerre en Ukraine et de l’effondrement des volumes importés depuis la Russie, elle subit de plein fouet la hausse des coûts du gaz naturel, qui a dépassé au cœur de l’été les 200 € le MWh.

Evolution du prix spot du gaz naturel en Allemagne durant l’été. Données : eex.

Berlin a dû faire face, avant même le pic de consommation hivernal, à une situation intenable lorsque ses énergéticiens se sont retrouvés coincés entre le marteau de la hausse des prix spot et l’enclume des tarifs négociés avec les consommateurs.

Ne pouvant plus acheter, pour les raisons politiques que vous savez, le gaz russe peu cher et abondant, les énergéticiens allemands ont dû acheter en toute urgence des mètres-cube de gaz à prix comptant. Uniper s’est ainsi retrouvé acculé et n’a évité la faillite que grâce au sauvetage étatique. Alors que l’énergéticien était dans une situation si difficile qu’il commençait à puiser dans les réserves de gaz (pourtant censées être en phase de remplissage), l’Etat allemand a volé à son secours en mobilisant 15 Mds€ en échange de 30% du capital.

L’Allemagne était donc dans une situation où les consommateurs n’avaient pas accès au signal-prix du marché et où l’Etat était venu éponger les pertes. La mécanique aurait pu s’arrêter là : Berlin a décidé de boucler le cercle vicieux en ajoutant… une taxe sur le prix du gaz !

A partir du mois d’octobre, un prélèvement supplémentaire sera imposé aux ménages et aux entreprises allemandes à hauteur de 2,4 centimes par kWh. Dans un pays où la moitié des foyers se chauffe au gaz, la hausse pourrait atteindre 480 € par an hors TVA, pour un ménage de quatre personnes. Cet impôt quasi-généralisé a, de l’aveu-même du ministre allemand de l’Economie, Robert Habeck, pour objectif d’équilibrer les comptes publics mis à mal par le sauvetage d’Uniper.

Cependant, comme les contribuables français le savent bien, le mécanisme de taxation/subvention n’est pas un fusil à un coup. C’est un cycle, même s’il est enclenché avec les meilleures des intentions pour régler une crise aigüe.

Déjà, la sphère politique s’est émue de cette taxation qui touchera citoyens et entreprises en période d’inflation généralisée. Tournant le dos à des décennies de rigueur budgétaire, la réaction du ministère de l’Economie a été d’annoncer… un nouveau paquet de subventions. Ce ne sont pas moins de 30 Mds€ d’aides qui ont été annoncées pour alléger la note pour les plus pauvres.

Ainsi, l’Allemagne s’engage dans la spirale infernale de la taxation/subvention des agents économique. Notre voisin aurait pu jeter un œil à notre économie (et à nos comptes publics) pour réaliser qu’il s’agit d’une mauvaise réponse au vrai problème de l’inflation et de la pénurie, mais la fourmi allemande semble désormais prendre pour modèle la cigale française.

A l’heure où le prix du gaz vole de record en record, et où les volumes importés de Russie ne cessent de baisser (ils se sont effondrés à moins de 100 millions de mètres cubes par jour au cœur de l’été), Berlin devrait revoir rapidement sa copie. L’Etat peut redistribuer, voire imprimer, des euros… mais pas des mètres-cubes de gaz. Masquer une pénurie énergétique par des pirouettes budgétaires ne fait que décaler, chèrement, l’inévitable confrontation avec la réalité.

Seule véritable mesure de la disponibilité du gaz pour les agents économiques : les volumes d’importation. Ici, les flux de gaz russe vers l’UE. Données : IEA

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