La Chronique Agora

Matières premières : quand transition énergétique rime avec inflation

lithium

Les prix flambent – et les matières premières ne sont pas épargnées. La révolution énergétique est en train de remettre en cause des équilibres déjà fragiles, et cela ouvre des opportunités pour les investisseurs.

La transition énergétique a, comme toute révolution, son côté obscur.

Le recours croissant aux énergies renouvelables, qui se traduit dans les faits par une électrification massive de notre économie, ne concerne pas que les citoyens, collectivités, et industriels qui décident de franchir le pas.

Faisant peser un poids inattendu sur certains secteurs, dont celui des matières premières, les investissements dans l’électricité propre bouleversent l’équilibre entre offre et demande qui prévalait lorsque les hydrocarbures étaient encore une solution acceptable pour alimenter en énergie la croissance mondiale.

Prenant le virage du « zéro carbone », les pays émergents multiplient les nouvelles capacités de production d’énergie verte. De leur côté, les pays développés se fixent des objectifs de plus en plus ambitieux pour déplacer leur consommation d’énergies fossiles par vers l’électricité propre.

L’effet sur le prix des matières premières se fait déjà sentir. Cobalt (+62%), lithium (+135%), aluminium (+83%) : les métaux industriels dont la transition énergétique a une soif inextinguible connaissent, depuis la reprise post-Covid, des hausses fulgurantes.

Alors que pétrole, charbon, et gaz naturels représentent encore 84% de l’énergie primaire consommée sur la planète, et que les énergies renouvelables ne couvrent, quant à elles, que 5% du mix énergétique mondial, les tensions sur ces métaux ne font que commencer.

Métaux industriels dans la tourmente : le cas de l’aluminium

Le cas de l’aluminium illustre parfaitement la situation délicate dans laquelle se trouve le secteur des métaux industriels. Ce métal malléable, léger, résistant à la corrosion et facile à mettre en forme est très prisé par l’aéronautique, la construction, et l’industrie chimique.

La transition énergétique est venue augmenter une demande industrielle déjà bien orientée : du fait de sa légèreté, les constructeurs automobiles l’utilisent de plus en plus pour réduire le poids (donc la consommation) des véhicules. Sa capacité à réfléchir 95% de la lumière incidente en fait aussi un matériau de choix dans la construction de panneaux solaires ou dans le bâtiment pour augmenter l’albédo des habitations urbaines.

Contrairement au lithium, qui est la source de bien des interrogations quant à sa disponibilité de long terme, l’aluminium se paye le luxe d’être un composé abondant. C’est même le métal le plus présent dans l’écorce terrestre, et il représente à lui seul près de 8% de la masse des matériaux de surface. La bauxite, principal minerai exploité pour obtenir de l’alumine, se trouve sur les cinq continents.

En outre, l’aluminium est un métal qui se prête particulièrement bien au recyclage. La réutilisation d’aluminium nécessite vingt fois moins d’énergie que sa production à partir de bauxite, et, contrairement au plastique, il est possible de le recycler quasiment à l’infini sans perte de qualité.

Avec une production mondiale en croissance régulière depuis près d’un siècle, et des filières de recyclage de plus en plus présentes sur toute la planète, il n’existe aucune raison fondamentale de craindre une pénurie durable d’aluminium.

Evolution de la production mondiale d’aluminium en mégatonnes/an.  Infographie : Wikicommons

Pourtant, les marchés s’affolent.

Opérateurs industriels et spéculateurs se bousculent pour sécuriser leurs approvisionnements et ont fait passer le prix spot de 1 500 $ la tonne en mai 2020 à plus de 2 700 $/t début septembre. Il faut revenir plus de dix ans en arrière, en avril 2011, pour retrouver des prix équivalents – et les records des années folles 2007-2008 ne sont plus qu’à une encablure.

La brutalité de la hausse en ligne droite du prix de l’aluminium est du jamais-vu en trente ans. Infographie : TradingEconomics.com

La délicate équation de la transition énergétique

Pourquoi ce métal abondant, dont la production industrielle est maîtrisée depuis les années 1890 grâce au procédé de Bayer et qui est facilement recyclé, vient-il à manquer ?

Les raisons sont en fait politiques, et illustrent un des paradoxes de la transition énergétique. Tout comme les terres rares, elles aussi abondantes dans l’écorce terrestre contrairement à ce que leur nom laisse à croire, l’aluminium est désormais majoritairement produit en Chine.

S’appuyant sur son énergie peu chère et des contraintes environnementales historiquement plus légères qu’en Europe, l’empire du Milieu s’est accaparé une part croissante de la production mondiale, jusqu’à posséder 60% des parts de marché.

Or la nouvelle stratégie de Pékin est de tendre, comme nombre de pays développés, vers le « zéro carbone » tout en protégeant de plus en plus la qualité de l’environnement. Très gourmande en électricité, la production d’aluminium consommerait, selon les chiffres de S&P Global Platts, 6,7% de la consommation totale d’électricité en Chine.

Dans le Xinjiang, principale région productrice d’aluminium (12% de la production mondiale), le mix énergétique est particulièrement carboné avec plus de 50% de l’électricité issue de centrales à charbon.

Afin d’atteindre ses objectifs de réduction d’émission de gaz à effets de serre, Pékin a donc mis en place un système de rationnement d’électricité qui conduit à des ralentissements de production des usines. Interrompre la production d’aluminium permet de moins solliciter les centrales à charbon… mais cette situation paradoxale fait que le métal, qui est nécessaire à la transition énergétique et à l’amélioration de la sobriété de nos économies, risque de manquer.

La stratégie d’urgence des gouvernements de tous bords, qui consiste à diminuer au plus vite les émissions de gaz à effet de serre quelles que soient les conséquences, va devoir être affinée. Il sera désormais nécessaire de penser en terme « d’investissement carbone » et accepter des émissions accrues aujourd’hui si le bilan global est favorable à long terme.Cette gymnastique intellectuelle, bien connue des investisseurs, n’est visiblement pas encore entrée dans les mœurs des décideurs politiques.

Selon Nicholas Snowdon de Goldman Sachs, elle ne le sera pas de sitôt ; le prix des métaux industriels devrait continuer à s’envoler si les gouvernements ne lâchent pas la bride des producteurs. D’ici 12 mois, l’analyste prévoit un prix de 3 200 $/tonne pour l’aluminium – du pain béni pour les valeurs minières, en Chine comme ailleurs.

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