La Chronique Agora

Mario Draghi va-t-il faire passer la BCE à l’assouplissement quantitatif ?

▪ La presse a fait ses choux gras de l’opération de refinancement à long terme (LTRO) réalisée par la BCE en décembre dernier. A cette occasion, certains commentateurs ont été jusqu’à parler de véritable QE (quantitative easing) de la BCE. Si effectivement vous vous limitez aux titres des journaux, l’affaire peut sembler sérieuse.

Rendez-vous compte : 489,191 milliards d’euros de liquidités servies par la BCE aux banques européennes en échange de la prise en pension de papiers de dettes françaises, allemandes mais sans doute plus certainement grecques, italiennes, espagnoles et portugaises. Quelle affaire !

La réalité est légèrement différente.

Le même jour que cette opération sont arrivées concomitamment à échéance plusieurs opérations de financement (OMO ou open market operations) pour un montant total de 328,274 milliards d’euros. Au final, et sans tenir compte des opérations échues la veille même qui viendraient en déduction de ce montant, ce ne sont « que » 160,917 milliards d’euros qui ont été offerts aux banques européennes. C’est-à-dire à peu près le montant habituel d’une opération de financement.

Dès lors, on peut se demander pourquoi la BCE a réalisé cette opération qui n’a rien d’exceptionnelle et qui ne valait pas que l’on fasse tout ce tintouin médiatique. Bonne question ?

A mon sens il s’agissait d’un coup pour voir. L’explication va peut-être vous paraître saugrenue mais gardez-la néanmoins dans un coin de votre mémoire.

▪ La BCE en mauvaise posture
La BCE est dans une situation financière pire que celle de la Fed. Il vous suffit d’aller sur les sites respectifs de ces institutions pour y découvrir la taille de leur bilan. La Fed affiche un bilan représentant — tenez-vous bien — 20% du PIB américain, mais celui de la BCE pèse déjà 30% du PIB de la Zone euro. Rapporté à leur capital respectif, ces banques centrales ont désormais un levier de 41 pour la Fed et de 33 pour la BCE. C’est-à-dire qu’une petite variation de valorisation des actifs détenus par la BCE effacerait tout son capital.

Vous comprenez maintenant pourquoi la BCE refuse obstinément de prendre ses pertes sur les obligations grecques qu’elle détient malgré l’insistance des créditeurs privés de la Grèce.

Imaginez la situation : une banque centrale qui fait faillite, ou du moins qui se retrouve au bord de la faillite, obligée de revenir vers les Etats, pardon vers les contribuables européens, pour se recapitaliser.

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Le coup de décembre était donc, selon moi, un coup pour voir comment réagirait le marché à une opération de monétisation à outrance de la BCE.

▪ La BCE rodait sa stratégie
Si le marché avait mal vécu cette situation, il suffisait à la BCE de faire la démonstration que je vous ai faite plus haut et de dire que tout ceci n’était rien de plus qu’une opération normale se combinant avec des opérations arrivant à échéance.

Ceci cache une préoccupation majeure : il s’agit maintenant de préparer les opérations de refinancement importantes de tous les Etats européens qui vont se présenter sur les marchés, les uns après les autres, pour que les investisseurs leur prêtent des liquidités.

Pour 2012, ce montant est estimé à 600 milliards d’euros — dont l’essentiel arrive à maturité au premier semestre. Ce qui représente un besoin en financement en progression de 35% par rapport à celui de 2011. Tout ce beau monde est en compétition avec les autres Etats de la planète, Etats-Unis en tête (1 330 milliards de dollars supplémentaires de déficit inscrits au budget 2012 viendront s’ajouter aux besoins en refinancement), qui cherchent à se financer.

▪ La BCE prête à inonder de liquidités…
Le premier trimestre va donc être très chaud. Mario Draghi, profitant du bon accueil offert au pseudo QE de décembre, « menace » d’un super QE de 1 000 milliards d’euros fin février. Les chiffres publiés par la BCE montrent qu’au 22 février « seulement » 252,213 milliards d’euros sont susceptibles d’arriver à échéance.

Dans ces conditions, si Super Mario devait passer aux actes, la BCE mettrait sur le marché environ 750 milliards d’euros. Une véritable inondation de liquidités en perspective ! Pourquoi Mario ferait-il cela ?

Tout simplement parce que la BCE n’ayant pas de mandat pour acheter directement des obligations souveraines européennes, elle le fera indirectement via les banques qui ont accès à son guichet pour les opérations de marchés (OMO).

▪ … banques et finalement Etats
En fournissant des liquidités aux banques — lesquelles en ont déjà des montagnes puisqu’elles ont actuellement un magot de 492 milliards en pension (rémunéré s’il vous plaît) à la banque centrale — la BCE va dans les faits acheter des obligations souveraines via les banques qui les lui donneront en pension en échange des liquidités en question.

Par ce tour de passe-passe, déjà largement utilisé mais à une plus petite échelle jusqu’alors, la BCE devient le financeur indirect de tous ces Etats endettés et se substitue aux créditeurs pas assez fous pour accepter une rémunération symbolique du risque qu’ils prendraient en achetant des obligations grecques, italiennes, portugaises… françaises.

▪ Résumons ce tour de passe-passe
Pour ceux qui auraient eu du mal à suivre, je résume ici le circuit : les Etats font des dettes et cherchent des créditeurs, personne ne veut leur prêter sinon avec un taux de rémunération en rapport avec le risque encouru, alors la BCE fournit des liquidités aux banques qui en échange lui remettent en pension des papiers de dettes achetés juste avant aux gouvernements italien, portugais, irlandais, grec ou français.

Ce faisant, les taux des dettes souveraines sont contenus à un niveau raisonnable permettant ainsi de limiter la perte éventuelle de la BCE sur les obligations qu’elle détient. Ouf !

▪ Un seul gagnant à l’arrivée : les métaux précieux
Cette fin février, nous allons voir si Mario tient sa parole ou si tout ceci n’était qu’une simple rodomontade. Inutile de vous dire que ce serait une bonne nouvelle pour vos métaux précieux, et une moins bonne pour notre avenir. Les banques centrales américaine, britannique, européenne, japonaise et même suisse sont toutes entrées dans une folie monétaire d’une dimension jamais atteinte sinon en Amérique latine ou récemment au Zimbabwe.

Dans l’hypothèse où il tiendrait ses engagements, les perspectives à long terme sur les métaux précieux seraient donc une fois de plus confirmées ou plutôt renforcées. J’ai toujours dit que les meilleurs amis des investisseurs en métaux précieux étaient nos banquiers centraux et je persiste.

Une décision dans ce sens pèserait lourdement sur l’euro ce qui ne ferait que confirmer qu’un investissement en euro dans les métaux précieux reste la position gagnante.

▪ Attention aux minières
Néanmoins, il n’est pas certain que les marchés actions apprécient outre mesure cette décision. La réaction à court terme devrait saluer le geste de Mario et éventuellement nous emmener dans une bulle de valorisation, mais les anticipations d’inflation qui devraient naître quelque temps après devraient nuire à la dynamique des marchés actions.

Les minières étant d’abord des actions dans les périodes où l’inflation n’a pas encore atteint un certain seuil, elles devraient souffrir comme les autres et revenir à un niveau très attractif pour le long terme.

Et si Mario ne tenait pas parole ? Alors… si on ne peut même plus compter sur la parole d’un banquier central, ancien de Goldman Sachs, à qui pourrait-on se fier ?
[NDLR : Retrouvez les conseils de Yannick Colleu sur l’or et les métaux précieux tous les mois dans Vos Finances : il suffit de continuer votre lecture…]

Première parution dans l’Edito Matières Premières & Devises du 21/02/2012.

 

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