▪ Nous devons procéder d’entrée de jeu à un mea culpa. En effet, nous avions conclu notre chronique de jeudi en partageant les légitimes espoirs nourris par les investisseurs en matière de soutien à la croissance par la BCE, à quelques heures de la conférence de presse de Mario Draghi en direct depuis Barcelone.
Même si la tenue de la réunion de la BCE sur le sol espagnol en cette période critique pour ce pays était le fruit d’un heureux (pensions-nous) hasard du calendrier — tout est programmé au moins deux ans à l’avance –, nous n’imaginions pas un seul instant que Super Mario se contenterait de faire part de sa compassion pour les 50% de jeunes espagnols sans emploi. Il a ainsi expliqué que c’était à leur pays de se débrouiller pour restaurer la confiance des marchés, à force d’austérité, de sacrifices sociaux et de réformes de leur législation du travail.
▪ Mario Draghi offre une douche froide aux marchés
Le parton de la BCE avait démarré très fort la séance des questions/réponses en faisant plonger les places européennes de 1,5% vers zéro en écartant fermement la perspective d’une réduction du loyer de l’argent. Il a affirmé dans la foulée que cette hypothèse n’avait même pas été discutée par les membres du conseil.
Une vraie douche froide… et les marchés ont attendu en vain qu’il actionne le robinet d’eau chaude, même juste à moitié, histoire d’atténuer le choc thermique et de détendre un peu ses auditeurs.
Nous étions donc pour une fois en phase jeudi matin avec une majorité de commentateurs et d’opérateurs. Ces derniers s’attendaient à une confirmation du récent changement de ton de la BCE qui faisait directement référence à la nécessité d’un minimum de croissance pour espérer réduire les déficits.
Mario Draghi s’est contenté de servir aux marchés une sorte de synthèse sémantique bancale en affirmant que le « pacte de Stabilité monétaire n’était pas incompatible avec la croissance ». Il a ajouté que la croissance ne se décrète pas et qu’il faut laisser aux stimuli monétaires (le second LTRO a été mis en oeuvre le 1er mars dernier, ce qui fait tout juste deux mois) le temps de faire effet.
Nous sommes partiellement d’accord… Les quantitative easing successifs de la Fed n’ont en rien ressuscité l’activité économique américaine en 2010 et 2011, ni relancé l’emploi, ni rétabli la confiance dans une reprise des Etats-Unis. Mais qui s’est assuré que l’argent injecté n’était pas confisqué par le système financier à son profit exclusif ?
▪ L’argent débloqué dort bien au chaud… dans les banques
Où en est-on en Europe aujourd’hui ? Sur 1 000 milliards d’euros de liquidités à 1% offerts au système bancaire ces quatre derniers mois, 800 milliards dorment chaque soir bien à l’abri derrière les guichets de la BCE, moyennant une rémunération de 0,75%… quand cet argent n’est pas investi dans des Bunds allemands qui rapportent royalement 0,25%.
Et M. Draghi invite la jeunesse dont « il comprend les préoccupations » à patienter. Comprenez qu’il va falloir attendre que les banques deviennent moins frileuses et recommencent à se prêter de l’argent entre elles, puis aux Etats en difficulté (à 6% de surcroît) !
Les jeunes peuvent attendre longtemps avant que la situation évolue dans un sens qui leur soit favorable. Plus le temps passe, plus les créances douteuses s’accumulent en Espagne, plus la défiance devient grande et plus l’argent s’enkyste auprès de la BCE.
L’une des pistes pour restaurer la confiance — la mise en place d’une bad bank pour cantonner les actifs pourris détenus par les régions autonomes espagnoles, à l’image de ce que fit la Fed dès la mi-septembre 2008 — a été balayée du revers de la main par Mario Draghi. D’après lui, « nous ne sommes pas encore contraints de recourir à de tels expédients ».
▪ L’Espagne au bord de l’explosion sociale ?
A partir de quand jugera-t-il la situation suffisamment préoccupante ? Lorsque les banques européennes auront replacé en dépôt plus que les 1 000 milliards des deux LTRO chaque soir dans la crainte que des émeutes n’éclatent au cours de la nuit dans les rues de Madrid, Barcelone, Santander ou Séville… avant de se propager à la vitesse d’un « tweet » dans les rues de Naples, Rome et Milan ?
Ce sera une fois encore l’occasion pour M. Draghi d’affirmer qu’il « comprend » les motivations des manifestants… tout en condamnant par avance la violence ; il s’agit là d’une précaution oratoire employée lors d’une réponse adressée à un journaliste espagnol qui évoquait le risque d’une explosion sociale, sous-entendue imminente.
Alors en effet, cette séance de jeudi qui avait démarré sous de très bons auspices (nous y avons cru nous aussi) laisse un goût bien amer aux investisseurs.
Tout alla pour le mieux jusque vers 14h30 et la publication d’une contraction beaucoup plus forte que prévue des demandes d’indemnités chômage aux Etats-Unis (-27 000 au lieu de -15 000 anticipé) pour la dernière semaine d’avril. Les indices boursiers européens gagnaient pratiquement 1,5% en moyenne mais ils ont, comme vous l’avez constaté, terminé en baisse de -0,15% (selon l’Euro-Stoxx 50).
Les marchés ont bien tenté de surmonter la déception causée par la rhétorique de Mario Draghi : sa conférence de presse a déçu absolument toutes les attentes. Mais ils ont reçu un dernier coup sur la tête à 16h avec un indice ISM des services aux Etats-Unis qui plonge de 56 vers 53,5% en avril, bien en deçà du consensus des 55,4%.
Le sous-indice des nouvelles commandes décroche de plus de cinq points, de 58,8 vers 53,5 et la « composante emploi » se dégrade de 56,7 vers 54,2 le mois dernier, au plus bas depuis décembre 2011.
Le CAC 40 a vu son avance passer en deux heures de +1,3% à -0,5%. Le moral de Wall Street a vacillé avec des indices américains dont le repli dépassait 1% à la mi-séance (contre une avance symbolique de +0,1% vers 15h45).
▪ Tout le monde efface ses gains
Au final, retour à la case départ pour le Dow Jones qui efface ses gains du début de la semaine… et repli de 2,5% pour les places européennes qui effacent la totalité du terrain gagné au cours des deux semaines précédentes.
A la veille du second tour des présidentielles, le CAC 40 s’affirme comme l’indice ayant le mieux surmonté la série de déceptions qui a fait capoter trois tentatives de rebonds successifs sur les places du Vieux Continent.
Peut-être faut-il y voir une singularité comportementale inédite de la « finance sans visage »… Mais ce qui semble la caractériser le mieux en la circonstance, c’est qu’elle se montre sans le moindre d’état d’âme !