La Chronique Agora

Mario Draghi a abaissé de 0,25% le taux directeur, mais c’est tout !

▪ Plus cela semble bizarre, plus cela risque-t-il de se répéter ? Cette question, nous nous la posons depuis le vendredi 29 juin au petit matin. Les marchés sont-ils en train de nous rejouer le scénario du 20 octobre au 1er novembre 2011 : envolée de 10% en une semaine, retour à la case départ la semaine suivante ?

Les similitudes sont troublantes, notamment l’étroitesse des volumes qui démontre l’absence de participation des acheteurs fondamentaux — grosses fortunes, gérants d’OPCVM.

L’envolée de 4,75% de vendredi dernier avait bénéficié de seulement quatre milliards d’euros échangés en séance — les 800 millions traités durant le fixing ne comptent pas, ce ne sont que des arbitrages techniques. Il a fallu à peine un milliard pour faire passer le CAC 40 de 3 150 à 3 190, ce qui témoigne qu’il ne peut s’agir que de rachats panique de vendeurs pris à contrepied à quelques heures d’une échéance semestrielle.

Les séances de lundi et mardi (entame de trimestre) étant structurellement acheteuses, il n’était pas difficile de faire monter la sauce. Cela d’autant plus que le marché était toujours aussi désert, aiguillonné par des rumeurs savamment distillées et suggérant monts et merveilles concernant les intentions de la BCE.

▪ Baisse du taux directeur : un simple apéritif ?
Autrement dit, les opérateurs ont fini par se convaincre qu’une baisse de 0,25% du taux directeur (qui était déjà anticipée lors de la précédente réunion) ne constituerait qu’un apéritif avant le repas de roi qui serait servi lors de la conférence de presse de 14h30 jeudi.

Mario Draghi a effectivement justifié la décision sans surprise de mettre le « repo » à 0,75% et le taux des prises en pension à zéro — compte tenu de l’inflation, cela coûte 2,25% de déposer ses liquidités aux guichets de la BCE — par la multiplication des signaux d’affaiblissement de la conjoncture qui font progressivement basculer l’Europe en mode récession. Et n’oublions pas l’inflation devrait se rapprocher de 2% d’ici fin 2012/début 2013.

Mais en ce qui concerne le festin d’allusions à des mesures de soutien monétaire non conventionnelles au cours des prochains mois, le chef Mario Draghi a soulevé une cloche en argent surmontant une… assiette vide.

Le patron de la BCE a démenti l’existence d’une action coordonnée des banques centrales. Il a refusé d’abaisser la qualité des collatéraux acceptés en garantie des prêts accordés aux banques en général (et espagnoles en particulier), et il a enfin écarté la mise en oeuvre d’un troisième LTRO — il faut attendre de mesurer les effets des deux précédents.

Les marchés étaient déjà déterminés à vendre la nouvelle de la baisse des taux, mais ils ont perdu toutes leurs illusions en un quart d’heure.

Ils se sont empressés de matérialiser des gains inespérés de 7% de hausse en ligne droite lorsqu’ils ont entendu Super Mario affirmer que les 500 milliards dont sera peut-être doté le MES (s’il voit effectivement le jour) devraient suffire pour stabiliser le système financier européen.
Même doté d’un optimisme inoxydable, il est impossible de le croire sur parole !

▪ La glissade des indices boursiers
La glissade des indices boursiers s’est accélérée jeudi à partir de 14h45. Les écarts à la baisse se sont avérés très disparates en fonction des conditions conjoncturelles régnant dans chaque pays.

Londres — noyé sous un déluge de 62 milliards d’euros de liquidités déversées par la Bank of England — termine même en hausse de 0,15%. Madrid et Milan plongent de 3% et 2,1% respectivement — les taux longs se sont retendus malgré le geste de la BCE.

A Paris, le CAC 40 s’enfonçait sous les 3 230 points (-1,17% à 3 229) après avoir affiché durant quelques secondes 0,5%, à 3 288, vers 13h46. Mais l’indice a effacé la totalité de ces gains avant même que Mario Draghi ne prenne la parole.

L’Euro-Stoxx 50 affichait pour sa part un repli voisin de 1,2% (à 2 285 points) qui contrastait avec la singulière résistance de Wall Street à la mi-séance.

Les indices américains ont en effet tenu le coup jusque vers 20h30, s’offrant le luxe d’une progression intraday pour le Dow Jones (0,1%) et pour le Nasdaq (0,4%). La consolidation l’a toutefois emporté au cours des 90 dernières minutes. Le Dow recule finalement de 0,36% et le S&P de 0,47%.

Des replis sans conséquence ! Ces deux indices n’ont en fait reperdu que ce qu’ils avaient gagné au cours des trois dernières minutes de cotations de la demi-séance de mardi.

Le Nasdaq lui n’a carrément rien lâché après avoir bondi de 0,35% mardi entre 18h57 et 19h01 (fixing de clôture pour cette demi-séance d’avant 4 juillet).

Une foule de raisons pouvait justifier la consolidation des indices américains ce jeudi. Il est plus difficile de déterminer pourquoi ils ont progressé durant plus de quatre heures.

Peut-être certains opérateurs ont-ils considéré que Wall Street avait pris du retard par rapport aux places du Vieux Continent depuis vendredi dernier.

Il se peut aussi que la rechute de l’euro sous les 1,24 $ ait entraîné des arbitrages au profit des actifs libellés en dollar, et donc des valeurs cotées au sein du S&P.

Mais rien n’est joué en ce qui concerne la performance hebdomadaire de Wall Street. Les statistiques de l’emploi publiées ce vendredi peuvent bouleverser la donne… et se montrer très révélatrices de l’état d’esprit général. Ce dernier est incontestablement positif puisque le Nasdaq 100 s’envole de 16% depuis le 1er janvier.

En attendant ces chiffres, l’enquête mensuelle d’ADP a révélé un montant bien plus important de créations d’emplois dans le secteur privé (176 000 contre 100 000 anticipés). Mais cela a été compensé par un indice ISM des services décevant  : il rechute de 53,7 vers 52,1, au plus bas depuis janvier 2010.

Enfin, les ventes dans le commerce de détail sont ressorties très en dessous des attentes au mois de juin — le pire score observé depuis trois ans — malgré le soulagement apporté par le net recul du prix des carburants ces dernières semaines.

▪ Bizarre, vous avez dit bizarre ?
Il y a décidément beaucoup de paradoxe et de bizarreries (d’où le titre de cette chronique) dans le comportement des marchés, eu égard à l’ensemble des éléments conjoncturels et politiques que nous avons commentés depuis une semaine.

Un petit aphorisme illustre à merveille la période que nous venons de connaître depuis le sommet de Bruxelles :
« La théorie, c’est quand on pense maîtriser tous les paramètres permettant de prédire un résultat mais que rien ne fonctionne.

La pratique, c’est quand tout fonctionne mais que l’on s’avère incapable d’expliquer pourquoi.

La Bourse réussit le tour de force consistant à synthétiser la théorie et la pratique : rien ne fonctionne… mais personne ne sait pourquoi ! »

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