La Chronique Agora

Les marchés préfèrent croire les rumeurs que les discours de la BCE ou de la Fed

▪ La hausse de 5% des indices boursiers au cours de ces dernières 72 heures ne nous semble pas reposer sur des fondements très solides. Exprimé de manière plus crue : ce rebond s’appuie sur des rumeurs et des espérances complètement bidon. Il faudra que les marchés puisent dans l’actualité des prochains jours quelques éléments positifs pouvant servir de relais à la hausse — autrement dit : on peut toujours rêver !

Nous adorons les circonlocutions et le langage politiquement correct utilisés ces derniers jours par les faiseurs d’opinion (chaînes TV, presse financière). Ces derniers décrivent en termes élégants et acceptables ce qui constitue à nos yeux un festival de tentatives (réussies, nous devons le concéder) de manipulation des marchés.

Puisque les raisons d’une reprise solide et durable n’existent pas, quelques petits malins n’hésitent pas à les inventer… enfin pas tout à fait, ne poussons pas la caricature trop loin.

Recette pour expliquer l’inexplicable
Il suffit d’assembler quelques éléments factuels concernant des pistes de résolution des difficultés du moment. Ajoutez à cela quelques pseudo-fuites orchestrées par des personnes prétendument bien informées mais qui souhaitent garder l’anonymat — comme de bien entendu ! Ensuite, il suffit de balancer ce cocktail d’information/désinformation sur la toile (via un blog ou un fil d’info plus ou moins officieux d’un organisme de presse) et le tour est joué !

En l’occurrence, comme nous l’avions souligné hier, Wall Street était parti ventre à terre (2,4% à la clôture, plus forte hausse de l’année 2012) sur la diffusion d’une rumeur évoquant une inflexion de l’attitude de la Fed en matière de soutien — monétaire — à l’économie américaine.

▪ Peu d’infos et beaucoup d’intox
Les marchés ont basculé mercredi dans l’euphorie la plus débridée suite à la parution d’un article en ligne du Wall Street Journal. Ce dernier accréditait l’hypothèse d’un discours beaucoup plus pro-actif de Ben Bernanke (dès ce jeudi devant le Congrès américain) en faveur de mesures de soutien à la croissance.

C’était plausible, à condition d’oublier le diagnostic du Beige Book — et sa tonalité plutôt circonspecte mais teintée d’optimisme — publié quelques heures auparavant.

Mais c’était d’abord et surtout ce que Wall Street avait envie d’entendre après l’intervention désespérément conventionnelle et formaliste de Mario Draghi quelques heures auparavant… Or c’était bel et bien du flan, de la poudre aux yeux… et osons le dire plus crûment : de l’intox.

Le patron de la Fed a répondu pendant près de 90 minutes aux questions de la presse et des sénateurs qui n’ont pas manqué de le titiller sur la crédibilité des « rumeurs » évoquées ci-dessus. Mais il n’a lâché aucun indice, aucune information, n’a commis aucun lapsus révélateur durant près de deux heures : pas de nouveau stimulus monétaire à l’étude.

▪ Si les Etats-Unis tombent, ce sera de la faute de l’Europe
Il n’a fait que reprendre mot pour mot les termes de ses précédentes interventions et n’a évoqué aucune initiative imminente de la part de la Fed. Il a répété qu’elle se tient prête à agir en cas de dégradation de la situation économique… pour cause d’instabilité en Europe, réaffirmant qu’il  s’agit là (et plus que jamais) de la principale menace pour le système bancaire américain et la croissance mondiale.

Ben Bernanke a également évoqué la question des déficits abyssaux aux Etats-Unis. Il enjoint les parlementaires démocrates et républicains à mettre entre parenthèse leurs querelles partisanes et les postures électorales, au nom de l’intérêt supérieur de la nation ; mais cela ne vient qu’en seconde position dans sa liste des menaces pesant sur l’avenir du pays.

Fitch Rating ne semble pas de cet avis et a revu la note de l’Espagne — dégradée de trois crans à « BBB », le dernier cran avant la catégorie junk bond, avec implication négative. Quant aux Etats-Unis, ils perdront leur triple A si les prochaines négations budgétaires au Congrès n’aboutissent pas à une réduction significative de la dette et un rééquilibrage des comptes publics.

Mettez tout cela bout à bout et vous obtenez une clôture dans le rouge à Wall Street jeudi soir. Même si le S&P ne perd symboliquement que 0,01%, le Nasdaq a cédé près de 0,5%. Et nous n’avons pas assisté à de troisième séance de consécutive de hausse pour les actions américaines, alors que les places européennes ont aligné une quatrième clôture positive d’affilée.

Le CAC 40 a renoué durant un petit quart d’heure d’euphorie avec les 3 100 points, une heure après l’annonce de la Bank of China.

A ce moment-là (il était environ 15h45), les places européennes grimpaient de 1,5% en moyenne, Francfort de 2%… et une pluie d’étoiles brillaient dans les yeux des opérateurs.

▪ Un projet d’union bancaire européenne n’est pas près de voir le jour
Tenez par exemple, la rumeur circulait que les discussions avançaient entre les pays européens au sujet du projet d’union bancaire européenne (et de garantie illimitée des dépôts).

Elles ont si bien avancé qu’il n’aura pas fallu attendre plus de 24 heures pour réaliser que les Allemands sont contre (pas question de s’engager à renflouer sans limite les clients des banques grecques) et les Anglais n’ont jamais envisagé un seul instant de mettre un doigt dans ce genre d’engrenage. Jamais des fonds britanniques ne serviront à renflouer quiconque — ou quoi que ce soit — sur le continent.

Un tel accord de garantie bancaire paneuropéenne ne peut voir le jour qu’à l’unanimité de l’ensemble des pays de l’Union (des 27). Il en manque déjà deux à l’appel, et pas des moindres.

Nous imaginons mal les Finlandais accepter de gaîté de coeur de garantir les avoirs des clients des banques helléniques.

Mais au fait, combien de Grecs visitent-ils le pays du Père Noël chaque année ?
Quelques milliers tout au plus ! Et la majorité de ceux qui se rendent là-bas n’y vont certainement pas pour vérifier si le barbu en cape rouge attèle quatre ou six rennes à son traîneau. Les touristes ne doivent représenter qu’une fraction minoritaire des Grecs qui atterrissent à Helsinki.

En revanche, si la Grèce revient à la drachme, ce sera tout bénef’ pour les touristes finlandais !
Vous pouvez étendre le raisonnement à pas mal de citoyens européens situées au nord d’une ligne Rhin/Danube auprès desquels les pays du « club Méditerranée » ne sont considérés que comme des lieux de villégiature qui s’accommodent mal du concept d’austérité, et qui préfèrent répudier la dette plutôt que d’épouser une rigueur germanique.

Le nord a de l’épargne, le sud a du soleil. Transférez des dizaines de milliards au bord de la Grande Bleue, il fera toujours aussi humide et froid durant six à huit mois des Pays-Bas à la Pologne.

Les marchés nous disent que les lignes sont en train de bouger, que l’Europe s’avance vers une solution… mais la seule à laquelle ils veulent croire, c’est que la planche de salut se confond avec la planche à billets des banques centrales !

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