Vous le percevez sans peine depuis le 6 janvier dernier, nous sommes de nouveau confrontés à des marchés à sens unique, à une hausse somnambulique.
Le S&P 500 alignait mercredi soir une treizième séance de progression sur une série de 16 depuis le 1er janvier. Sur les trois séances de consolidation observées en 2012, pas une seule n’a vu l’indice phare perdre plus de 0,5%.
Et ce n’est pas un repli de 0,35% jeudi à mi-séance qui pouvait l’empêcher d’inscrire une quatorzième hausse alors que les places européennes s’étaient envolées de 1,7% en moyenne quelques heures auparavant.
▪ Les robots mènent les marchés au septième ciel
Cela fait maintenant six semaines que les indices boursiers ne prennent en compte que les bonnes nouvelles et ignorent totalement les mauvaises — ou les signaux invitant à la prudence.
Depuis que les robots ont pris la tendance en main le 20 décembre dernier, nous assistons à une succession de hausses à perte de vue, quelle que soit la teneur de l’actualité.
Les indices américains grimpent sans volume (mais personne ne s’en soucie), au sein d’un canal ascendant d’une perfection géométrique qui exclut la manifestation d’une quelconque forme de jugement critique ou de psychologie humaine.
Les oscillateurs daily ou weekly apparaissent surachetés dans des proportions dangereuses. Rappelons que le jeu des robots algorithmiques est d’entretenir la tendance coûte que coûte — c’est ce qui permet d’écraser la valeur temps et de s’enrichir sur la vente de produits de couverture.
▪ L’écart de prix gouverne désormais les Bourses mondiales
C’est totalement contraire à la vocation d’un marché qui est de fixer une valeur qui convienne au plus grand nombre puisque la seule référence que retiennent les ordinateurs, c’est le prix. C’est pourquoi il n’y a pratiquement plus aucun véritable actionnaire buy & hold [« achetez et conservez », NDLR] depuis 1998 et l’avènement de la Bourse à la milliseconde.
N’oublions pas que la principale source de profit des robots, ce sont des écarts de prix, minimes mais répétés des milliers et potentiellement des millions de fois au cours d’une simple minute de cotation.
Ils n’ont pas pour fonction de formuler une anticipation judicieuse de la valeur d’un actif à un horizon de quelques semaines ou de quelques mois. Ils sont aidés par l’innombrable cohorte des gestions « benchmarkées » dont la stratégie se résume à courir après le score — et avoir raison ou tort en même temps que tout le monde.
Dans ce contexte essentiellement technique, il faut s’efforcer de ne pas faire fuir les derniers actionnaires. Ces derniers épargnent pour leur retraite sans savoir que les cours de Bourse ne correspondent plus à rien, sinon au volume des flux de liquidités injectés par la Fed au seul profit de quelques banques d’affaires influentes.
Le plus compliqué pour les professionnels qui peuvent encore être joints par des clients –souvent fortunés et avertis — c’est de trouver chaque jour un prétexte à peu près crédible pour justifier la persistance d’un optimisme apparent sur les marchés, même si les chiffres économiques et les résultats trimestriels s’avèrent le plus souvent inférieurs aux prévisions.
▪ On ne nous dit pas tout
Les médias anglo-saxons participent volontiers à cette lecture biaisée de l’actualité. Ils font leur une avec les bonnes surprises du jour et rejettent les mauvaises nouvelles en fin de rubrique, quand il ne reste que 30 secondes pour évoquer les anecdotes diverses.
Et quand une statistique est incontestablement mauvaise, les commentateurs dégainent aussitôt leur « c’est moins pire que prévu », ou « c’est un simple accident de parcours ».
Si le CAC 40 a repris 1,5% ou le DAX 30 1,8%, c’est parce que les investisseurs sont rassurés de voir les taux longs italiens refluer sous le seuil symbolique des 6%. Cela reste intenable, mais du moment qu’il s’agit d’une détente des rendements, c’est bon à prendre.
C’est officiellement tout ce qui compte. Le marché se fiche éperdument de savoir que la BCE refuse d’être impliquée dans une décote visant ses 40 milliards d’euros d’emprunts grecs… et que de nombreux hedge funds n’acceptent pas de participer à un effort volontaire au-delà de -50% ; la Grèce sera donc acculée à la faillite quoi qu’en disent les experts de Bruxelles ou du FMI. Ne parlons pas du Portugal, qui se retrouve en fâcheuse posture, et de l’Irlande, au bord du défaut de paiement.
« L’appétit pour le risque est de retour ! » peut-on lire ou entendre un peu partout…
▪ Des hausses qui auront des conséquences fâcheuses
« Avec des placements obligataires qui ne rapportent rien, il n’y a pas d’autre choix que d’acheter des actions ». Ce même raisonnement a été répété en boucle au début des années 90 au Japon. En l’absence de croissance et malgré des injections massives de liquidités à taux zéro, Tokyo avait certes enchaîné trois ou quatre rebonds de 20 ou 25%… mais ils furent tous suivis de rechutes encore plus profondes.
Le Nikkei n’avait cessé de perdre du terrain jusqu’en 1998.
La vision des marchés demeure donc très mécaniste. La conjoncture n’est pas bonne — la Fed le répète inlassablement à chacune de ses réunions – et les problèmes structurels ne sont pas réglés (seule la BCE sauve la situation en « achetant du temps »). On ramasse donc des actions au motif imparable qu’il faut bien faire quelque chose de tout cet argent.
Mais au fait, pourquoi y a-t-il autant d’argent disponible pour acheter des actions et si peu pour relancer l’économie réelle, le seul vecteur d’accroissement de la richesse?
▪ Ne retenir que le positif
Pourquoi se poser de genre de question ? Ce qui compte, c’est que Wall Street aille dans la bonne direction !
Pourquoi une hausse de prix devrait-elle toujours refléter une véritable hausse de la valeur ?
Pourquoi s’appesantir sur les sujets qui fâchent alors qu’il y a tant de motifs de se réjouir ?
Tenez par exemple : les commandes de biens durables pour décembre ont progressé de 3% (le consensus attendait 2,4%). Cela prouve, soi disant, que l’économie américaine se redresse — peu importe que l’embellie ne concerne que le secteur aéronautique avec les commandes reçues par Boeing.
Il suffit de faire l’effort d’ignorer que les ventes de logements neufs ont reculé de 2,2% en décembre après six hausses consécutives, et de glisser très vite sur les inscriptions hebdomadaires aux allocations chômage qui sont ressorties en hausse (22 000 à 377 000).
Les opérateurs attendent comme le messie la publication du PIB américain ce vendredi. Ce ne sera sans doute pas très révélateur car la première estimation de la croissance est l’un des chiffres les moins fiables du monde occidental avec le nombre des créations d’emplois. Rappelons que la variation du PIB a été révisée de 30% à 50% à la baisse à plusieurs occasions depuis le début de la crise.
Nous saurons donc à 14h30 si la hausse actuelle est une baudruche ou un ballon plus résistant mais qui reste gonflé à l’hélium.