La Chronique Agora

Qu’est-ce que les marchés boursiers ont en commun avec le cinéma ?

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▪ Un peu déprimé par les bruits de botte qui font de plus en plus de raffut en Ukraine et dans les ports de la Mer Noire, j’ai décidé d’emmener ma petit famille se distraire avec le visionnage d’une sorte d’OVNI cinématographique baptisé The Grand Budapest Hotel.

J’aurais dû lire le synopsis plus attentivement : l’intrique débute quelques semaines avant le déclenchement d’une « grande guerre » — comme de juste en plein hiver — au centre de l’Europe. Le tout sur fond de décors enneigés aussi joyeux que des photos en noir et blanc du front franco-allemand dans la région de Verdun un matin de brouillard verglaçant.

Les deux héros du film — l’homme aux clés d’or et son apprenti préféré — veillent sur le confort des pensionnaires d’un palace improbable et perché, telle une meringue rose acidulée, au sommet d’une montagne aussi éloignée que possible des turpitudes d’un monde de brutes avides (si l’on en juge par le profil de 90% des personnages qui participent à l’intrigue).

Le Grand Hôtel constitue une métaphore de la Civilisation avec un grand « C ».

▪ Grandeur et décadence
Le Grand Hôtel constitue une métaphore de la Civilisation avec un grand « C ». Cette dernière vise à prospérer dans la douceur et le raffinement des décors et des usages… mais ses portes grandes ouvertes sur le monde extérieur et son personnel trop policé sont infiniment vulnérables à l’irruption de la barbarie.

Il suffit d’un seul plan de caméra au réalisateur pour démontrer que le gris (et même le vert-de-gris) des uniformes d’une milice peut éclipser les couleurs chatoyantes des uniformes de ceux qui sont au service du bien être des résidents « civilisés ».

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Le film suggère par ailleurs que lorsqu’une guerre éclate, une milice est bien souvent remplacée par une autre, pire encore (peu importe de savoir comment ou pourquoi). Ceux qui ont l’argent comme seul mobile s’accommodent aussi bien des premières que de celles qui leur succèdent… les autres ne trouvent leur salut que dans la fuite.

Après la guerre et la décadence, la civilisation d’autrefois représentée par le Grand Hôtel tombe en décrépitude et rares sont ceux qui cultivent encore la nostalgie des temps heureux. Ils n’ont de toute façon plus les moyens de la faire revivre lorsque les pages de l’histoire sont tournées.

Je ne vous dévoilerai rien de l’intrigue — à mi-chemin entre les Monty Pythons et Charlie Chaplin, en passant par Hitchcock et Jean-Pierre Jeunet –, et vous me pardonnerez de vous dépeindre le film avec la finesse d’une brosse de colleur d’affiche… mais je suis loin de posséder le talent du réalisateur Wes Anderson.

Vous l’aurez sûrement compris, j’ai bien aimé cette petite fantaisie cinématographique, cette parenthèse en marge des productions cinématographiques bourrées d’effets spéciaux numériques qui visent à faire « plus vrai que le vrai ».

▪ Une analogie intéressante…
Je ne suis pas critique de cinéma mais seulement scrutateur du monde financier et interprète du comportement des marchés… De sorte qu’il ne m’a pas fallu plus de quelque minutes pour établir l’analogie entre le parti-pris de la perfection symétrique constituant la structure narrative de Grand Budapest Hotel et la construction de la hausse des indices boursiers occidentaux depuis l’été 2012.

Les retracements baissiers apparaissent parfaitement calibrés, rien ne dépasse du cadre, tout devient prévisible, artificiel.

Toute spontanéité est totalement purgée. Les mêmes structures graphiques se répètent inlassablement, pas une courbe ne sort de son canal. Les retracements baissiers apparaissent parfaitement calibrés, rien ne dépasse du cadre, tout devient prévisible, artificiel.

Les sherpas des marchés ne cherchent même plus à ce que les cours reflètent la conjoncture. Elle se retrouve réduite au statut de vague référent dont la représentation visuelle ne prétend pas à plus de réalisme que les décors en carton-pâte des premiers court-métrages de George Méliès.

Pour conclure, je dirais que les marchés d’aujourd’hui ne sont plus qu’une sorte de rêverie numérique permanente, un paradis artificiel sous perfusion monétaire. Le plus angoissant, c’est que la plupart de ceux qui le commentent ou en vivent ne sont même plus capables de le reconnaître comme tel.

La succession inexorable de plans-séquences où s’enchainent des images parfaitement symétriques, où jamais la caméra ne tremble ni ne s’égare, où les acteurs occupent exactement l’espace prédéfini au centre de l’image… Ils prennent cela pour le réel alors que ce n’est que du cinéma.

Même en forçant l’artifice comme pour The Grand Budapest Hotel, les financiers drogués aux liquidités sont convaincus — et jureraient sous la torture — que Wes Anderson a juste filmé le monde réel.

▪ Sauf que notre monde, ce n’est pas du cinéma
Dès que nous allumons nos écrans, nous constatons que la planète regorge de milices vêtues de gris et de kaki qui tuent « de vrais gens pour de vrai »… et que les guerres commencent en hiver, comme dans The Grand Budapest Hotel.

Je subodore que si le pouvoir ukrainien a été renversé en même temps que la flamme olympique s’éteignait à Sotchi, cela fait partie d’un scénario parfaitement planifié. En effet, Moscou ne pouvait pas, en pleine trêve olympique, envoyer ses troupes sauver le régime à l’agonie d’un dictateur allié de la Russie.

Les marchés peuvent-ils encore longtemps faire comme si c’était du cinéma ?

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