▪ Les marchés progressent constamment dans leur analyse de « ce qui compte vraiment ». Ils ont effectué un nouveau saut quantique la semaine dernière : après avoir relégué au rang de simple bruit de fond toute la problématique économique, ils ont décidé qu’ils pouvaient également se passer de la dimension géopolitique.
Les dirigeants turcs versent dans la provocation, les membres de l’OTAN se retrouvent complètement en porte-à-faux avec un allié qui joue avec le feu, la Russie se contente d’une riposte économique et non militaire ?
Alors tout va bien : même si une dizaine de pays sont impliqués militairement sur le territoire syrien… même si les bombardements continuent au Yémen… même si l’affrontement entre sunnites et chiites (c’est à dire entre Riyad et Téhéran) s’envenime… il devient chaque jour plus qu’évident que rien de fâcheux ne saurait survenir au Proche-Orient !
Tout ce qui compte, c’est ce qui se passe dans la tête des banquiers centraux et les nouvelles largesses monétaires qu’ils vont promettre |
Revenons-en donc aux fondamentaux. Tout ce qui compte, c’est ce qui se passe dans la tête des banquiers centraux et les nouvelles largesses monétaires qu’ils vont promettre. Et peu importe les turpitudes qui affligent notre pauvre planète, laquelle se réchauffe inexorablement.
L’inflation (l’officielle, celle qui ne tient pas compte du coût du logement, de la santé, des études, etc.), en revanche, ne cesse de refroidir ; la BCE se fait désormais un devoir de la combattre.
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Pour endiguer la marée déflationniste, elle n’hésitera pas à déployer tout son arsenal : creusement d’un long sillon dans le sable (taux de prises en pension négatifs) tout le long de la plage, rajout de 15% à 20% de châteaux de sables supplémentaires (quelques milliards de rachats de dettes douteuses en plus)… et si cela ne suffit pas, la BCE pourrait imiter la Banque du Japon et se mettre à racheter des actions.
Quel rapport avec une inflation à 2% (un objectif complètement arbitraire… mais qui ose le remettre en cause et exiger la réintégration dans son calcul de tout ce qui plombe le pouvoir d’achat) ?
Aucun, bien sûr… mais cela n’a aucune importance. Tout ce qui compte, c’est que les 80% d’actifs financiers détenus par les 1% les plus riches continuent de s’apprécier !
▪ Une remise en perspective
Le déséquilibre de l’économie présenté de cette façon ne vous semble pas assez parlant ? Eh bien sachez que d’ici le 31 décembre, si Wall Street parvient à bétonner les niveaux actuels et si le rendement des T-Bonds 2025 plafonne sous les 2,25% après une hausse de taux de la Fed le 16 décembre prochain, le patrimoine des 0,1% les plus riches sera équivalent à celui des 90% les plus pauvres.
Oui, vous lisez bien : 310 000 Américains possèdent autant d’immobilier (sous toutes ses formes), d’actions et de produits obligataires que les 280 000 000 les moins fortunés.
Les 10% d’Américains les plus riches (30 millions de personnes) se partagent 77,5% de la richesse du pays… mais les 1% les plus riches possèdent plus de 50% de ce total. Autrement dit, les 9% les plus riches — hors les 1% — ne détiennent qu’un peu moins de 25% de la richesse.
Les classes moyennes supérieures, celles qui ont les moyens à la fois de consommer et de consacrer une partie de leur épargne à l’achat de valeurs mobilières, ne se partagent donc en réalité que des miettes, en termes de dividendes et de revenus obligataires distribués.
Les 90% restants ne se partagent même pas des miettes. A l’échelon individuel, ils ne possèdent que quelques grains de farine à la surface du pain… et encore, à peine la moitié d’entre eux.
Alors maintenant, le fameux « effet de richesse » de la hausse des marchés, à qui profite-t-il ? Certainement pas aux 90% qui sont censés consommer avec tellement d’entrain que cela pourrait faire ressurgir l’inflation.
▪ A part consommer à crédit, quelle est l’autre issue ?
C’est là que leur est tendu le second piège déflationniste. Sans croissance, pas de création d’emplois, davantage de chômage (oublions la grotesque imposture du « plein emploi » aux Etats-Unis) et une pression à la baisse qui s’exerce sur les salaires depuis 2008.
Le troisième piège déflationniste, c’est une épargne qui ne rapporte plus rien en termes de rendement, et qui dans certains pays va devenir structurellement négative.
Plus on met de côté, moins on pourra consommer à terme, plus il faut accroître l’effort d’épargne |
Plus on met de côté, moins on pourra consommer à terme, plus il faut accroître l’effort d’épargne (qui ne produit rien) pour espérer disposer de quoi vivre plus tard… et donc restreindre les dépenses du moment (spirale récessionniste).
C’est là que se referme le quatrième piège. Les obligations ne rapportant rien, il faut acheter des actions dont le rendement est en apparence meilleur…mais au prix de quelle prise de risque ?
Sauf que le raisonnement que nous tiennent les institutionnels qui vivent du commerce des actions est une escroquerie intellectuelle :
– Premièrement : le rendement actuel n’est nullement acquis pour les 10 prochaines années, contrairement aux bons du Trésor.
– Deuxièmement : le rendement des actions est de plus en plus bas alors que les profits baissent globalement cette année (-6%), malgré le soi-disant « alignement des planètes ».
– Troisièmement : il faut payer les actions le double de leur prix par rapport à 2011 pour obtenir la même quantité de dividende distribué… Donc en réalité, les actions sont un vecteur de rendement ruineux pour les 90% les plus pauvres — et en plus, ils s’exposent à tout moment à une désintégration de la valeur de leur épargne, contrairement aux obligations où 100% du capital sera récupéré à terme.
– Quatrièmement : ils ne jouent absolument pas avec les mêmes armes que les banques d’affaires et les hedge funds. Les 90% les plus pauvres misent 100 et ne reçoivent des dividendes que sur la base de ces 100 qu’ils ont déposé ; les brasseurs d’argent, eux, déposent 100 mais prennent un levier de 10, avec un argent emprunté gratuitement (taux zéro obligent)… et vont donc recevoir 10 fois plus de dividendes que l’épargnant lambda.
Alors effectivement, avec du levier, les actions se montrent fichtrement rentables… même si les cours sont délirants.
Et avec de l’argent gratuit, si un levier de 10 ne suffit pas, cela ne coûte pas plus cher de prendre un levier de 15… parce que la liquidité à emprunter est illimitée dans un régime de quantitative easing. La demande n’affecte pas le coût de l’offre.
▪ L’absurdité d’un « marché de flux »
En revanche, la masse des actions que les titans de la finance — auxquels se joignent désormais la Banque du Japon et pourquoi pas bientôt la BCE — peuvent acquérir étant limitée, les cours explosent.
C’est le fameux « marché de flux », le marché le plus imbécile, le plus absurde, le plus dévastateurs pour l’économie réelle |
C’est le fameux « marché de flux », le marché le plus imbécile, le plus absurde, le plus dévastateurs pour l’économie réelle.
Ce marché de flux se nourrit de la dégradation des conditions de vie de 90% de la population (dégradation masquée par 1 000 mensonges statistiques répétés à satiété), laquelle constitue la principale justification des QE.
Les QE engendrent un monde de rendement artificiel à coups de leviers et autres artifices comme la spéculation sur la volatilité — ce qui détruit toute intention d’investir dans notre monde concret, lequel devient toujours plus poussif et incertain.
Les taux zéro ou négatifs engendrent un « marché à choix unique » — qui n’est donc plus un marché, par définition — où le seul moyen d’éviter l’effondrement, c’est de s’enferrer dans une fuite en avant éperdue dans l’assouplissement quantitatif.
C’est pourquoi les économistes cyniques se disent certains que les actions vont continuer de grimper tandis que l’économie réelle continuera de s’enfoncer dans la « stagdéflation » : parce que le seul enjeu pour la Fed ou la BCE consiste désormais à repousser l’heure de la désintégration… en se servant du prétexte de la poursuite d’un objectif de 2% d’inflation (totalement arbitraire je le répète).
Parce que chaque jour, chaque semaine, chaque trimestre qui passe permet aux ultra-riches de refourguer une fraction de leurs actifs financiers hyperinflatés aux épargnants pauvres ou appartenant aux classes moyennes (essentiellement sous forme de contrats d’assurance-vie en unités de compte en France, ou de 401(k) aux Etats-Unis).
Des centaines de millions d’épargnants modestes privés délibérément de tout rendement pour que l’argent reste gratuit… afin que les 0,1% les plus riches puissent continuer de truquer la valeur de leur patrimoine financier et de mettre progressivement la main sur tout ce qui a une valeur tangible.
Observez la prolifération des super-maisons (plus grandes que la Maison Blanche), des super-yachts, observez les résultats des ventes aux enchères, qu’il s’agisse d’art ou de pierres précieuses d’exception. Les prix s’envolent vers la stratosphère tandis que l’épargne des ménages succombe déjà à la confiscation par les taux négatifs.
Heureusement qu’ils n’ont plus que le choix d’acheter des actions avec les des PER de 25 au plus haut ! C’est sûr, tout va bien se passer !