Les dirigeants français et allemands jouent les pompiers pyromanes avec un plan de relance sans précédent. Mais derrière la lance à incendie se cachent des cambrioleurs qui tentent le coup du siècle… et pour une fois, l’investisseur français pourrait s’attribuer une part du butin.
Pour les uns, c’est la victoire de la solidarité, du vivre-ensemble à l’européenne et la promesse d’un rebond économique imminent.
Pour les autres, c’est un énième affront à l’économie de marché, une nouvelle victoire des cigales sur les fourmis et la porte ouverte vers l’hyperinflation.
Le projet de plan de relance franco-allemand, annoncé en grande pompe il y a quelques jours, suscite des prises de position marquées.
Pourtant, comme avec tout bon chiffon rouge politique, ce ne sont pas ses caractéristiques les plus commentées qui font sa spécificité. S’il voit le jour, ce plan de relance aura des conséquences économiques jamais vues pour l’Europe et les investisseurs français – et d’une façon que peu d’analystes anticipent.
Où se cache la nouveauté ?
La notion même de plan de relance fait évidemment s’étrangler les libéraux. Après avoir paralysé leurs économies, voilà que les dirigeants français et allemands jouent au pompiers pyromanes et tentent d’éteindre l’incendie qu’ils ont allumé en mars.
L’Europe étant, au même titre qu’un Etat, un appareil permettant de redistribuer de la richesse et non la créer, il est évident que tout plan de relance est un transfert qui déshabille Pierre pour habiller Paul. Il ne rendra pas la Zone euro plus riche dans son ensemble, et les sommes engagées devront à un moment ou à un autre être payées soit par l’impôt, soit par la confiscation de l’épargne, soit par l’inflation.
Le montant en jeu, de son côté, marque la fin de toute mesure. 500 milliards d’euros représentent 20% de la dette française accumulée à fin 2019, 100 fois l’affaire Kerviel qui était censée mettre à genoux notre système financier, ou encore plus de huit ans de perception d’impôts sur le revenu en France. Voir que deux dirigeants peuvent décider en quelques jours de mobiliser un tel montant donne des sueurs froides quant au niveau de centralisation du pouvoir dans nos contrées.
Mais tout ceci n’est pas nouveau.
La France a déjà mobilisé au cours des deux derniers mois une enveloppe atteignant les 450 milliards d’euros. Cette somme, qui engage l’avenir du pays sur des générations, a été distribuée à la discrétion de l’exécutif.
Il n’est qu’à moitié étonnant que l’Europe se dote à son tour d’une « caisse noire de relance », qui bénéficiera à certaines catégories de la population, certaines entreprises, et certaines bonnes causes. Nous ne faisons pas mieux à l’échelle nationale.
L’Europe n’est pas plus libérale que la France, et les coronabonds imaginés par Emmanuel Macron et Angela Merkel ne représentent pas une révolution. Même le pseudo-débat quant à la forme des allocations qui verront le jour (subventions ou emprunts) n’est que de la poudre aux yeux : la différence est très ténue entre une subvention à fonds perdus et de la dette d’Etat qui peut être roulée au fil des échéances.
La grande nouveauté, ce n’est pas de faire payer les pays à la gestion budgétaire orthodoxe pour leurs voisins impécunieux ; ce n’est pas de mobiliser 500 milliards d’euros d’un claquement de doigt ; ce n’est pas de vouloir noyer nos économies sous les subventions étatiques.
La vraie nouveauté des coronabonds, c’est d’ouvrir la porte à une exportation massive de la dette européenne. Avec une signature unique lors de l’émission d’obligations, la responsabilité individuelle des pays n’est plus engagée.
Ils peuvent dépenser sans compter, et même sans emprunter directement sur les marchés. L’Europe centralisera ces dépenses et fera appel aux marchés de capitaux internationaux pour lever les sommes correspondantes.
Plus besoin d’impôts, plus besoin de saisies sur les comptes bancaires, plus besoin d’inflation : ce sont les investisseurs étrangers qui payeront l’addition.
L’Europe tente un hold-up façon USA
L’irresponsabilité chronique de nos gouvernements-cigales face à l’équilibre des comptes publics ne mérite aucune acclamation.
Dépenser aujourd’hui une richesse qui sera produite dans le futur et faire porter le coût de cette prétendue générosité aux générations futures par l’impôt, la spoliation de l’épargne, ou l’inflation est moralement injustifiable et économiquement condamnable. Transférer ce risque à l’étranger n’est pas plus noble.
En ce sens, la nouvelle salve de dépenses publiques qui se prépare devrait recueillir notre désapprobation la plus totale. C’est le cas… mais l’honnêteté intellectuelle nous oblige à constater que, cette fois-ci, le contribuable-investisseur français pourrait être le grand gagnant du hold-up qui se prépare.
Comme toute dépense publique, les coronabonds ne sont ni de la création ni de la destruction de richesse, mais un simple transfert. Du côté des payeurs, nous trouverons les investisseurs étrangers qui répondront présent lors des émissions obligataires de la Commission. Les raisons qui peuvent pousser un étranger à détenir de la dette européenne ne manquent pas – et n’ont finalement aucune importance.
L’afflux de capitaux vers la Zone euro et la monétisation perpétuelle de la dette immédiatement neutralisée par la thésaurisation des obligations aura, pour l’économie européenne, le même effet euphorique que l’arrivée du dollar-papier dans les années 1970.
L’Europe pourra dépenser sans compter. Les Etats pourront financer leurs entreprises privilégiées, offrir des prestations sociales généreuses et des subventions sans compensation. Cerise sur le gâteau, tout ceci n’aura pas à se traduire par une hausse d’impôts.
L’Etat-nounou se transformera en Etat-Père Noël, financé par l’épargne internationale. Bien sûr, à terme, tout cet argent obtenu sans contrepartie aura des effets délétères sur l’économie réelle. Comme aux Etats-Unis, nous verrons fleurir des secteurs entiers qui ne vivent que sous perfusion de l’argent d’Etat. Le nombre d’entreprises zombies, déjà fort élevé en France, ne fera que grossir.
Mais, à l’échelle d’une carrière d’investisseur, l’effet net peut rester positif. Si les coronabonds voient le jour et se retrouvent transformés en mécanisme pérenne d’eurobonds, les entreprises européennes connaîtront une croissance encore jamais vue.
Passer de la générosité étatique nationale à l’exportation de la dette comme le font les USA depuis la Deuxième guerre mondiale mettra notre économie sous stéroïdes. Une nouvelle vague de croissance, artificielle mais bien réelle, pourrait voir le jour. Tant pis pour l’économie de marché, tant mieux pour les investisseurs qui sauront en profiter !