La Chronique Agora

La lutte anti-Trump pour la présidentielle de 2020 (3/3)

incertitude direction économie américaine

Le sort de la réélection de Trump tient à « pas de récession » ou « récession », la Fed jouant un rôle d’équilibriste avec les taux d’intérêt.

Pour être honnête vis-à-vis de Trump, bon nombre de ses tweets outrageants ne sont pas des attaques qu’il lance en premier, mais des réponses aux attaques d’autrui. Comme il le dit : « je pratique le contre : je rends les coups ». C’est vrai, mais Trump est tout de même critiqué pour ses débordements et son attitude « peu présidentielle ».

Historiquement, le comportement de Trump est-il si exceptionnellement médiocre par rapport à celui de ses prédécesseurs ?

Woodrow Wilson a fait emprisonner des journalistes qui avaient critiqué ses mesures politiques. Wilson a également nationalisé de grands pans de l’économie américaine, lors de la Première Guerre mondiale, et dissimulé plus tard ses AVC handicapants tandis que sa deuxième épouse dirigeait secrètement le pays.

Warren Harding était un libertin notoire et a entretenu des relations sexuelles avec d’innombrables assistantes et collaboratrices de campagne, à la Maison Blanche.

Franklin D. Roosevelt avait une maîtresse, Lucy Meyer, et leur liaison s’est poursuivie après son élection à la fonction présidentielle. La maladie incurable de Franklin D. Roosevelt a été dissimulée lors de l’élection de 1944 afin que les démocrates conservent le contrôle même s’il mourait au début de son quatrième mandat (ce qui est arrivé).

Harry Truman est arrivé au pouvoir sans aucune préparation aux fonctions que cela impliquait et sans être au courant du projet de fabrication de bombe atomique alors presque achevé. Truman était grossier et prompt à la critique, et a notamment menacé violemment un critique musical qui avait « descendu en flèche » le concert donné par sa fille.

Eisenhower a entretenu une liaison intime et romantique avec sa secrétaire, Kay Summerby, pendant la Seconde Guerre mondiale.

John F. Kennedy consommait des drogues en toute illégalité et s’adonnait à l’adultère en série (il a eu d’innombrables rendez-vous galants dans les appartements et la piscine de la Maison Blanche).

Lyndon B. Johnson a également commis des adultères en série et exhibé ponctuellement ses parties génitales devant son personnel et ses collaborateurs.

Quant à Bill Clinton, les scandales sexuels qui lui sont associés sont notoires.

L’entourage de Barack Obama aurait payé le révérend Jeremiah Wright, considéré comme anti-patriotique, pour qu’il passe sous silence son rôle prolongé de mentor d’Obama.

Bien entendu, cette longue liste retraçant les comportements peu honorables d’anciens présidents n’est que la partie visible de l’iceberg. Mon objectif n’est ni de juger ni de condamner ces hommes – j’en laisse le soin à d’autres – mais simplement de poser la question suivante : « qu’est-ce qui cloche tant avec Trump ? »

Son vocabulaire n’est pas pire que celui de Johnson ou Truman. Ses frasques sexuelles datent d’avant son arrivée à la Maison Blanche et ne sont pas pires que celles de Kennedy ou Clinton.

Mais trois différences considérables, entre Trump et ses prédécesseurs, pourraient expliquer les vitupérations et la haine dont il fait l’objet.

La haine viscérale de l’outsider

Premièrement, la presse occultait la plupart des indiscrétions des précédents présidents.  Cela se pratiquait en échange de faveurs et afin de protéger la dignité de la fonction. Cette politique a été mise en œuvre par les publications et les rédacteurs en chef, même si les journalistes n’y adhéraient pas. Mais ils auraient pu être « virés ». Ce pare-feu s’est érodé avec le temps, surtout sous le gouvernement Clinton.

Dans tous les cas, cette protection accordée par la presse est désormais révolue. Trump est totalement exposé.

Deuxièmement, il y a eu l’avènement des réseaux sociaux et des smartphones. Il y a donc un appareil photo dans tous les sacs à main et un microphone dans chaque poche. La vie privée est une notion qui appartient au passé, et les affaires privées des personnages publics sont pratiquement impossibles à dissimuler.

Troisièmement, il y a la chose la plus insidieuse et importante de toutes : Trump est un outsider. La différence entre gauche et droite, entre démocrate et républicain, a perdu tout son sens. Les Bush « républicains » ont fait passer des projets de type social-libéral tels que la loi « Americans with Disabilities Act », l’extension des programmes Medicare et les réformes de l’enseignement étiquetées « No Child Left Behind ». Clinton le « démocrate » a fait passer des projets conservateurs tels que la réforme des prestations sociales, l’ALENA et un budget équilibré.

Les partis et étiquettes politiques ont perdu leur importance. Ce qui comptait, désormais, c’était l’emprise de la mentalité des initiés de Washington (« inside the Beltway ») et une loyauté envers un gouvernement tentaculaire et un Etat administratif permanent.

Trump a rejeté ce côté « initiés » et promis « d’assainir le marigot ». En procédant ainsi, il est devenu une menace existentielle aussi bien pour la gauche que pour la droite. L’establishment perpétuel, de gauche et de droite, s’est uni avec ses alliés des médias pour détruire Trump. Cette démarche persiste, et cela ne changera pas jusqu’à ce que Trump quitte ses fonctions.

Cette haine viscérale de l’establishment vis-à-vis de Trump n’est pas fondée sur les mesures politiques ou la personnalité. Elle est fondée sur le fait que Trump méprise l’élite politique et qu’elle le lui rend bien.

Si Trump faisait partie des « initiés » de Washington, on ferait fi de ses gaffes ou bien on les gèrerait avec humour. Mais il n’en fait pas partie. C’est un outsider. Cela veut dire que les « initiés » des deux partis doivent le détruire afin de préserver les privilèges qu’ils ont acquis.

Les effets décalés de la politique monétaire menée il y a un an

Pour les investisseurs, ce « match à mort » a d’énormes conséquences que nous allons aborder à présent.

Les partisans de Trump seront les premiers à vous dire que le marché actions a opéré un rally partant des 18 529 points affichés sur l’Indice Dow Jones Industrial Average la veille de l’élection de Trump et atteignant les 25 848 points au 15 mars 2019. Soit un gain spectaculaire de 40% en 28 mois.

Le taux de chômage est proche d’un plus-bas sur 50 ans. Le chômage des Afro-Américains et des Hispaniques enregistre un plus bas historique. La participation à la main-d’œuvre est stable, après avoir chuté sous le mandat d’Obama. Le recours à l’aide alimentaire est en baisse. Les prix de l’immobilier grimpent. L’inflation est maîtrisée.

En 2018, la croissance s’est située au-dessus de la tendance enregistrée sur 10 ans, et reste la meilleure année de croissance continue sur toute cette période. Les salaires réels affichent leur meilleure progression sur plus de 10 ans.

Si l’économie n’est pas en plein essor, historiquement, elle produit les meilleures performances enregistrées depuis la crise financière mondiale. L’économie américaine semble particulièrement forte, comparée à celles de partenaires commerciaux majeurs tels que le Royaume-Uni, la France, l’Italie, le Japon et l’Allemagne. Même la Chine affiche un ralentissement spectaculaire, alors que les États-Unis continuent d’agir comme un moteur fiable animant la croissance mondiale.

Ce palmarès économique est repris chaque jour par les partisans de Trump et leurs quelques alliés des médias.

Dans la plupart des autres médias, on fait tout simplement fi de ces données tout en poursuivant le « Trump-bashing » autour de la « collusion russe », du mythe du rapport Mueller et des entreprises de Trump.

La dualité de ces récits autour de la personne de Trump est devenue routinière.

Mais derrière le rideau du discours médiatique, on a quelque raison de se faire du souci pour l’économie américaine. La production manufacturière est en baisse, aussi bien d’un mois sur l’autre que d’une année sur l’autre.

L’utilisation des capacités américaines affiche une légère baisse, dernièrement. Certains indices répertoriant les nouvelles commandes et les expéditions sont aussi en baisse, manifestement.

Les importations et les déficits commerciaux ont également nettement augmenté. La courbe des rendements des bons du Trésor s’est inversée dans les maturités à deux et cinq ans.

Aucun de ces indicateurs ne baisse vers des niveaux extrêmes et aucun autre indicateur n’affiche des résultats positifs.

Rien ne signale une récession à court terme ; pourtant, tout devrait inquiéter Trump.

Ses partisans affirment perpétuellement que « c’est la meilleure situation économique jamais enregistrée ».

Or ce n’est pas le cas.

Il y a un problème : la politique monétaire agit avec un décalage de 12 à 18 mois. Si l’économie est en train de ralentir en ce moment, ce n’est pas à cause du relèvement des taux de décembre 2018 mais à cause de ceux de décembre 2017 et mars 2018.

Les relèvements de taux de fin 2018 n’ont pas encore exercé leur effet. Mais ils le feront bientôt, et l’économie ralentira encore plus.

Cette dynamique est clairement visible dans le graphique ci-dessous :

Lorsque la tendance n’est pas votre alliée. Alors que le PIB a enregistré un rebond au deuxième trimestre 2018 dû aux baisses d’impôt de Trump (4,2% de croissance annuelle), il semblerait que la croissance baisse rapidement vers la moyenne de 2,24% de croissance annuelle enregistrée depuis la fin de la récession, en juin 2009. Obama a également réussi à enregistrer plusieurs trimestres de croissance supérieure à 4%, mais ces bons trimestres sont rapidement retournés à un niveau de 2% voire inférieur. Les prévisions actuelles de la Fed d’Atlanta tablent sur 0,4% de croissance annuelle pour le premier trimestre 2019. Ce serait le taux de croissance le plus faible depuis le quatrième trimestre 2015.

Les partisans de Trump ont affirmé que les 4,2% de croissance annuelle du deuxième trimestre 2018 prouvent que les mesures économiques du président font revenir les États-Unis sur la voie d’une croissance supérieure à son niveau tendanciel.

A l’époque, mon opinion était la suivante : la croissance du deuxième trimestre était un pic ponctuel provoqué par la baisse d’impôts de fin 2017 (effective au 1er janvier 2018), mais il fallait davantage de données avant de tirer des conclusions.

A présent, les données sont là. La croissance a baissé de 4,2% à 3,4% au troisième trimestre avant de chuter encore à 2,6% au quatrième trimestre. Les estimations de la Fed d’Atlanta concernant le premier trimestre 2019 tablent sur une croissance annuelle de 0,4% seulement. Bref, le « Trump Bump » [NDLR : rebond Trump] est terminé, et la croissance américaine retourne à sa tendance post-2009 de 2,24% (bien au-dessous de la tendance à long terme de 3,23%, enregistrée après les années 1980).

Aucune de ces tendances (le resserrement monétaire, l’inversion de la courbe des rendements, le ralentissement de la croissance, etc.) n’est un signe garantissant une récession, mais elles sont toutes sources d’inquiétude. La phase d’expansion actuelle (qui dure depuis 117 mois) est à quelques mois de devenir la plus longue phase d’expansion de l’histoire des États-Unis.

Toutefois, il s’agit également de l’expansion la plus faible de l’histoire du pays. Cette expansion n’affiche ni l’inflation, ni les pénuries de main-d’œuvre, ni les pénuries de capacité qui, historiquement, ont amené la Fed à relever les taux d’intérêt et à déclencher une récession.

La Fed réalise un numéro d’équilibriste entre le relèvement des taux (pour se préparer à la prochaine récession) et des pauses sur la voie de ces relèvements (pour éviter de provoquer la récession dès maintenant). Jusqu’à présent, ces astuces ont fonctionné, mais il s’agit d’un équilibre périlleux qui pourrait facilement basculer vers une récession. De plus, il existe d’autres facteurs (les guerres commerciales, le ralentissement mondial, les paniques financières) qui échappent au contrôle de la Fed, et pourraient également aboutir à une récession.

Au cours des 18 prochains mois, la différence entre « pas de récession » et « récession » reposera également sur la différence entre « réélection de Trump » et « élection d’un candidat démocrate » en 2020.

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