La Chronique Agora

Les lumières s’éteignent

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La guerre économique totale contre la Russie fait bien ses premières victimes… mais en Allemagne et en Finlande.

Coup de tonnerre outre-Rhin : à 21 ans et 4 mois de distance, nous assistons à la seconde plus grosse faillite d’un opérateur énergétique de ces 50 dernières années.

Après Enron en novembre 2001, voici que le géant allemand Uniper – filiale du groupe finlandais Fortum – vient officiellement d’appeler l’Etat allemand à la rescousse car menacé de faillite.

En fait, la situation de faillite est déjà actée : le premier importateur européen de gaz russe a commencé à puiser dans ses stocks pour honorer les commandes de ses clients, n’ayant plus de trésorerie pour en acheter sur le marché.

Fraude et pas fraude

Alors, bien sûr, comparaison n’est pas raison : Enron avait fait une faillite frauduleuse, ce qui n’est pas le cas d’Uniper.

Les deux firmes ont en commun d’avoir exercé le même métier puisque celui d’Enron, au début des années 1990, c’était concrètement le transport et la vente en gros de gaz naturel.

Mais Enron prit un virage décisif vers le courtage en énergie sous l’impulsion d’un nouveau venu, l’ancien consultant de McKinsey Jeffrey Skilling, qui développa des équipes de trading sur les contrats à terme, notamment les mégawatts produits à partir de l’hydro-électricité.

Ce négoce de dérivés d’électricité, peu et mal régulé à l’époque déboucha rapidement sur un savant mélange de manipulation des cours et de corruption, le tout couvert par la mise en place de pratiques comptables frauduleuses, à une échelle industrielle, avec la complicité active d’Arthur Andersen (qui perdit son droit d’exercer lors d’un procès retentissant en 2002) et de McKinsey… qui n’écopa que d’une condamnation légère.

Pas de fraude du côté d’Uniper, cependant : l’essentiel du gaz que ce groupe délivre sert à fabriquer de l’électricité… mais pas celle destinée à chauffer les salles de classe ou les chambres du pavillon ouvrier des salariés de l’usine Rheinmetal de Dusseldorf.

Rajouter un pull et un édredon n’est pas le cœur du problème : sans le gaz fourni par Uniper, l’usine Rheinmetal devra s’arrêter de fonctionner cet automne. Ses salariés seront mis au chômage technique pour une durée indéterminée… et ils auront du coup bien du mal à payer leur loyer, en plus du chauffage de leur maison, le mégawatt/heure ayant doublé en un an, de 75 à 150 €.

D’autres faillites à venir ?

Il y a de fortes chances que leur électricité leur soit fournie par E.ON, le concurrent d’Uniper basé dans la ville voisine d’Essen.

Cependant, E.ON, qui produit près de 30% de ses mégawatts au gaz, risque également de ne pouvoir fournir du courant en quantité suffisante dès cet automne, si le gazoduc Nordstream-I n’est pas remis en service après des travaux de maintenance côté russe (du 11 au 22 juillet). Des travaux qui ne sont pas une « feinte », car des compresseurs en fin de vie doivent absolument être remplacés.

Il se trouve que la turbine de rechange est actuellement en réparation au Canada, sur le site de Siemens Energy à Montréal, et ce pays a bloqué, sur injonction des Etats-Unis, la livraison de toute une série de matériel à la Russie… dont la fameuse turbine.

Le gouvernement canadien aurait assoupli – spécifiquement – les sanctions que l’allemand Siemens Energy était censé respecter… mais Gazprom a déclaré qu’elle « ne possède aucun document qui permettrait à Siemens de faire sortir la turbine du Canada ».

Difficile de savoir qui dit le vrai : la situation semble demeurer plus qu’ambiguë.

De ce fait, Gazprom, a annoncé le 13 juillet ne pas être en mesure de garantir le bon fonctionnement du gazoduc Nordstream-I de Sibérie occidentale vers l’Allemagne.

Cela n’a pas empêché Emmanuel Macron d’accuser Vladimir Poutine de « militariser le gaz russe » lors de son interview du 14 juillet.

C’est pourtant l’UE – dont Ursula von der Leyen se veut la porte-parole et le principal soutien à l’Ukraine – qui a décrété un embargo quasi total sur le gaz dans le cadre de sa « guerre économique totale », laquelle inclut le non-paiement en rouble de ce que la Russie exporte.

Le contribuable paiera

Gazprom, qui n’est plus payé par ses clients allemands (ou alors par des expédients à la limite de la légalité et donc sans lendemain), avait donc commencé à réduire ses exportations, privant Uniper de la possibilité de remplir ses cuves.

Mais il lui faut dans le même temps continuer d’honorer ses contrats de livraison de gaz à l’industrie allemande, au prix convenu à l’avance, alors qu’il faut qu’elle s’en procure coûte que coûte, au prix spot et y compris auprès de la France (!).

Les analystes de Citigroup ont calculé que cela lui coûtait près de 30 M€ par jour… et le contribuable allemand va y être de sa poche de 3 à 5 Mds€, la maison-mère finlandaise Fortum ayant déjà injecté 9 Mds€. Par la suite, la facture globale de sa survie s’élèvera probablement à 15 Mds€, à répartir entre les Etats allemands et finlandais.

Et ça, c’est seulement si E.ON ne capote pas à son tour d’ici quelques mois.

Pour tenter de limiter l’hémorragie de trésorerie, Uniper a décidé de puiser dans ses réserves… mais l’été, c’est précisément la période qui permet de restocker du gaz – traditionnellement pas cher, car la demande est faible en cette saison – pour l’hiver, et pas l’inverse.

Du coup, les autorités allemandes doivent renoncer à l’espoir d’atteindre un remplissage à hauteur de 90 % le 1er novembre prochain (elles sont tombées à 64,5% mi-juillet, un plus bas historique à cette date).

D’où les mises en garde contre des pénuries d’énergie cet hiver par le chancelier allemand Olaf Scholz, reprises à son compte par Emmanuel Macron… mais avec une promesse « qu’il n’y aura pas de coupure de courant pour les particuliers ».

Ceci résonne comme « il n’y aura pas de pass sanitaire au pays des Lumières ».

Mais si les lumières s’éteignent, du coup, tous les mensonges sont permis, non ?

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