La Chronique Agora

Loto, Potosi et philosophie

** Nous revenons toujours à la même pensée, ces derniers temps : rien n’est plus dangereux que la bonne fortune. Ou comme le disait le grand philosophe mongol Prança Dantafas :

* "La chance vous donne toujours un bon coup de pied dans le derrière".

* Si vous êtes assez chanceux pour gagner au loto, faites attention à vous. Quasiment tous les gagnants du loto finissent ruinés au bout d’un an ou deux. En fait, nombre d’entre eux sont encore plus ruinés qu’ils l’étaient avant de gagner la loterie. Parce que leur chance les pousse à faire de mauvais calculs.

* La semaine dernière, on racontait l’histoire d’un gagnant dans la presse londonienne. Il avait gagné des millions de livres sterling. Se sentant en veine, il investit dans un certain nombre d’entreprises suggérées par des amis, des parents et des étrangers purs et simples — et toutes échouèrent. Il épousa une femme bien plus jeune — qui le quitta ensuite (en emportant avec elle la maison qu’il lui avait achetée). Il investit sur les recommandations d’analystes et de conseillers — qui se révélèrent naturellement être des idiots. Et il prêta de l’argent à des gens qui, naturellement, ne pouvaient le rembourser. On parlait de lui dans les journaux parce qu’il a été arrêté pour avoir agressé l’un de ses vieux amis en essayant de récupérer une dette (il avait besoin de l’argent pour payer son loyer !)

* Evelyn Adams a gagné la loterie du New Jersey à deux reprises — en 1985 et 1986. En voilà de la chance ! Elle a gagné 5,4 millions de dollars au total. Mais n’allez pas chercher Evelyn dans une demeure de Beverly Hills ou Palm Beach — elle vit dans un mobil home.

* "Tout le monde voulait mon argent. Tout le monde tendait la main"… dit-elle.

* Ou prenez le cas de William "Bud" Post. Il a gagné 16,2 millions de dollars à la loterie de Pennsylvanie en 1988. Vous pensez qu’il était tiré d’affaire pour le reste de ses jours ? "J’aurais aimé que ça n’arrive jamais. C’était un cauchemar total", dit Post. En un an il avait accumulé un million de dollars de dette et dut se mettre en faillite. A présent, il vivrait d’allocations.

** Niall Ferguson explique dans son livre The Ascent of Money ["L’ascension de l’argent", NDLR.] que c’est la bonne fortune qui a ruiné l’économie espagnole du 16ème siècle. En fait, nous avons déjà abordé ces faits de base dans les pages de la Chronique Agora. Ferdinand et Isabelle ont bouté les derniers Maures hors d’Espagne l’année même où ils ont envoyé Colomb au-delà du vaste océan. Se débarrasser des musulmans se révéla être une perte nette pour les Espagnols : ils emportèrent avec eux l’argent… et plus important encore… des talents commerciaux précieux. Mais lorsque les conquistadors arrivèrent dans le nouveau monde, ils touchèrent le jackpot.

* Une montagne en particulier, le Potosi, rapporta 45 000 tonnes d’argent pur entre 1556 et 1783. Valer un potosi est une expression qu’on utilise encore en espagnol pour décrire quelque chose valant une fortune. Même avant que l’extraction minière ne commence, les Espagnols s’étaient largement servis dans l’or aztèque et inca. L’or et l’argent-métal étaient de véritables devises, à l’époque. Les métaux précieux entrèrent dans l’économie espagnole et gonflèrent rapidement la masse monétaire… d’abord en Espagne puis dans toute l’Europe. Le coût de la vie en Angleterre, pour lequel on trouve des chiffres, a grimpé de 700% durant la "révolution des prix" entre les années 1540 et 1640.

* L’argent "gratuit" provenant des colonies finançait environ 40% du budget gouvernemental espagnol. Mais même avec des navires apportant toujours plus d’or et d’argent dans les ports espagnols, la couronne se retrouva à court d’argent. En 1557, elle fit défaut sur ses paiements. Puis à nouveau en 1560, 1575, 1596, 1607, 1627, 1647, 1652 et 1662.

* Le gouvernement américain finance à présent la moitié de ses dépenses avec de l’argent emprunté. Cela ressemble au système de financement espagnol dans le sens où l’argent provient de l’extérieur de l’économie elle-même. La différence, c’est que les Etats-Unis doivent encore régler leur financement. L’or espagnol était une véritable devise. Il ne devait pas être remboursé. Il était "monétisé" dès l’instant où il arrivait.

* Le financement américain est plus subtil, plus compliqué. Mais il est rendu possible par une chance extraordinaire. Les Etats-Unis ont la devise de réserve mondiale… et l’économie la plus grande et la plus liquide au monde. Les gens mettent leur argent dans les bons du Trésor américain parce qu’ils sont certains que l’argent sera là pour eux quand ils en auront besoin. Et ils sont habitués à un monde "désinflationniste" ; les taux d’intérêt et les taux d’inflation chutent depuis 25 ans. Dans la mesure où l’économie mondiale traverse désormais une correction déflationniste, le risque d’inflation semble très très lointain. Pour le moment, donc, les Etats-Unis semblent en mesure d’emprunter des sommes quasi illimitées à des taux d’intérêt très bas.

* Tout de même, les dépenses déficitaires du gouvernement américain ne peuvent que déclencher une hausse des prix à la consommation, à un moment ou à un autre. Combien de temps avant que leur chance ne leur donne un bon coup de pied au derrière ? Comment ? Nous n’en savons rien.

* La croissance de la masse monétaire américaine a été relativement constante durant ces 45 dernières années. Puis, sous la pression des programmes de relance/renflouage, elle a explosé. Art Laffer affirme qu’il n’y a aucun sens à comparer la situation actuelle à quoi que ce soit dans notre histoire ; il ne s’est encore jamais rien passé de tel. Il affirme que l’inflation, cette fois-ci, pourrait être bien pire que l’inflation des années 70, lorsque le prime rate a atteint 21,5%. On est dans une nouvelle ère !

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