Par Isabelle Mouilleseaux (*)
Vous avez été nombreux à me poser la question des banques centrales et de l’impact de leurs ventes d’or sur le cours de l’or. Je vous propose de faire un petit point sur cette question fort intéressante. Vous allez voir…
Qui détient aujourd’hui l’essentiel de l’or physique mondial ?
Vous vous dîtes sans doute que ce sont les banques centrales, assises sur des réserves d’or plus ou moins importantes. Certes. Mais ces dernières ont changé leur fusil d’épaule depuis quelques années déjà.
Pas question de dormir sur son tas d’or
Depuis une vingtaine d’années, la plupart des banques centrales se sont lassées d’un actif qui dormait dans leurs coffres et ne rapportait rien. L’âge des monnaies convertibles en or était passé depuis longtemps…
Malheureusement, pour les banques centrales, vendre publiquement leur or, c’était risquer de déclencher un séisme financier…
D’où l’idée de "prêter" son or
En revanche, elles pouvaient le prêter – ce qui est beaucoup plus discret. Car si une banque centrale est tenue de déclarer au FMI ses achats, ses ventes ainsi que l’état de ses réserves, rien, à ce jour, ne la force à préciser quelle partie de ses réserves elle a mis en location.
C’est comme cela qu’est né le carry trade or
La banque centrale prête une certaine quantité d’or à une banque accréditée ("Bullion Bank"), à taux d’ami (jusqu’à 0,1%), pour une durée allant d’un mois à dix ans.
Aussitôt, la banque emprunteuse met en vente cet or sur le marché – à découvert, donc – et réinvestit les fonds dans des placements variés et surtout plus rémunérateurs. A commencer par des emprunts d’État.
Elle se rémunère sur le rendement de ces obligations, moins le loyer de l’or. Elle empoche ainsi le différentiel de taux. Zéro mise initiale, un rendement de 3% à 4% garanti : qui dit mieux ?
Bien entendu, il y a un revers – tout n’est jamais rose en Bourse, même pour une banque ! Le risque ? Les banques sont supposées restituer l’or physique à la demande du prêteur. Une véritable épée de Damoclès au dessus de leurs têtes…
370 milliards de dollars d’actifs financiers en contrepartie de l’or
Après vingt ans de ce petit jeu, on estime la valeur de ces emprunts à quelque 370 milliards de dollars au cours actuel ! 15 000 tonnes d’or auraient ainsi été prêtées.
Cela signifie non seulement que les réserves des banques centrales sont constituées pour bonne partie d’or prêté à des banques qui seraient bien en peine de le rembourser… mais aussi que tout le marché est structuré selon un short abyssal des positions à la vente. Elles sont si gigantesques qu’elles ont maintenu les cours sous pression.
Quand l’heure des comptes sonnera…
La logique du nombre vous commande de passer long. Tôt ou tard, le défaut de contrepartie va se faire sentir. Quand l’heure des comptes sonnera et que les emprunteurs se verront tenus de racheter 370 milliards de dollars d’or, il n’est pas fou d’imaginer que les cours vont tripler…
Mais revenons au montage en lui-même et à ses risques inhérents.
Ce petit montage marche très bien, tant que le cours de l’or ne monte pas…
Imaginez la position des banques qui, il y a quelques années, ont emprunté aux banquiers centraux de l’or qui cotait, par exemple, entre 280 et 550 $ la tonne. Elles ont revendu l’or à ce cours-là sur les marchés.
Que se passerait-il si les banques centrales demandaient à être remboursées ?
Il faudrait que les banques rachètent l’or sur le marché, au cours du jour, pour le restituer. Et si le cours cote 900 $ l’once, sachant qu’il a pu être vendu 350 $ par exemple, inutile de vous dire que ce serait très très douloureux pour les banques…
Il n’est clairement pas dans leur intérêt que le prix de l’once d’or monte.
Le GATA a-t-il raison ?
Certains d’entre vous m’ont parlé du GATA, qui défend la théorie suivante : l’implosion du système de prêt-emprunt entre banques et banquiers centraux entraînerait le rachat massif d’or sur les marchés et propulserait le cours de l’or à des niveaux jamais atteints. Sur ce point, je suis d’accord.
Il est donc clairement dans l’intérêt de tout ce petit monde de faire baisser le cours de l’or. Là encore, je suis en phase.
Complot ?
L’idée du GATA est donc de convaincre qu’à chaque fois que le prix de l’or grimpe, les banques centrales vendent de l’or pour freiner et capter la hausse du cours de l’once, dans l’intérêt de préserver le système en place. Et que, par conséquent, elles seraient pour beaucoup dans la baisse actuelle du cours de l’or…
Que les banques centrales vendent de l’or, dans le respect des quotas qui leurs sont imposés, je n’en doute pas. Qu’elles le fassent dans les moments de pic de demande et de cours, c’est rationnel.
Mais de là à imaginer un grand complot… je ne franchirai pas ce pas.
(*) Isabelle Mouilleseaux rédige chaque jour l’Edito Matières Premières & Devises (Publications Agora), une lettre internet gratuite consacrée au marché des matières premières. Passionnée depuis toujours par la Bourse et par tous les marchés financiers, Isabelle s’est spécialisée dans les matières premières et veut permettre à l’investisseur particulier de découvrir et de comprendre l’investissement sur ce marché des matières premières.