La Chronique Agora

L’Islande… ou les inconvénients d’une activité trop volcanique

** A-t-on tendu un nouveau piège aux vendeurs à découvert hier ?

Il leur était difficile de ne pas s’y laisser prendre !

Ils auraient dû se méfier de la trop belle concordance d’éléments techniques et macroéconomiques accréditant le scénario d’un épisode correctif beaucoup plus intense qu’en début de semaine.

Nous avons effectivement assisté à l’ébauche d’une jolie spirale baissière à deux heures de la clôture dans le sillage du dollar (1,5910/euro, nouveau plancher historique) tandis que le pétrole s’envolait symétriquement vers 112 $ ; il a même battu un record absolu à 112,2 $ vers 13h00.

Pour achever de convaincre les plus réticents de jouer la baisse des marchés, Lehman Brothers — un moment promis au même sort que Bear Stearns — annonçait la liquidation de trois fonds victimes de l’aggravation continue de la crise des subprime au cours des dernières semaines.

Et dire que les investisseurs se pensaient tirés d’affaire, sinon débarrassés du plus gros des risque liés à la crise des dérivés de crédit, depuis le sauvetage de Bear Stearns le 19 mars dernier puis la recapitalisation massive d’UBS (15 milliards de dollars). L’annonce de Lehman Brothers a remis au goût du jour quelques scénarios boursiers parmi les plus sombres au motif que seulement 25% des pertes potentielles ont été dévoilées par les banques à ce jour.

Pour ne rien arranger, la banque centrale d’Islande annonçait en matinée une nouvelle hausse de 50 points de base de son taux directeur (à 15,5%), ce qui signifie que le loyer de l’argent explose de 175 points de base en moins d’un mois !

** Certains économistes n’hésitent pas à comparer — bien que l’échelle soit sans commune mesure et le timing plus resserré — les difficultés subies par l’Islande à celles que pourraient encourir les Etats-Unis d’ici quelques mois.

Il existe plus que quelques éléments concordants entre les deux pays : lorsque nous avons visité l’Islande en famille au printemps 2005, l’activité économique y était carrément volcanique (+8% de croissance) et les revenus des ménages grimpaient comme des geysers (de +13% en 2004).

Ceux qui ont vu Strokkhur, le geyser le plus actif d’Europe, en action seront convaincus de la pertinence de la comparaison : tout commence par la formation d’une belle bulle d’eau bouillante, d’un bleu topaze, d’environ un mètre de diamètre et de 60 cm de hauteur. Soudain, tout explose, une gerbe rugissante s’élève à plus de 20 mètres de hauteur puis retombe sous forme d’un nuage de fines gouttelettes, accompagnée d’une puissante odeur d’oeuf pourri.

C’est précisément cette phase « d’oeuf pourri » qui continue d’empuantir l’atmosphère de l’Islande en 2008.

Tout a commencé, comme aux Etats-Unis en 2002, avec l’instauration d’une politique monétaire trop accommodante. Il s’en est suivi une phase de surinvestissement massif, accompagnée d’un boom de la consommation — avec des crédits pas chers offerts à tout va par les banques locales — puis d’un creusement abyssal de la balance commerciale (12,8% du PIB).

La banque centrale islandaise a commencé à resserrer les boulons dès le mois de mai 2004 : je crois qu’en avril 2005, le taux directeur — parti de 5% — était déjà repassé à 10% et il atteindra 13% un an plus tard, en juillet 2006.

Les conséquences, vous les devinez aisément. L’Islande connaît depuis 18 mois un sévère credit crunch, la monnaie, la couronne ISK, se désagrège malgré des taux à 15%. Tout ceci engendre une poussée d’inflation importée et le ralentissement économique dégénère en stagflation. La hausse du PIB étant divisée par deux tous les ans depuis 2005, elle ne dépassait pas 1% en 2007 alors que l’inflation flirtait avec les 6%… et sera peut-être négative au second semestre 2008.

Même si les taux ont été maintenus trop bas et trop longtemps par Reykjavik, le pays a mis en oeuvre de grands projets industriels et hydroélectriques, comprenant notamment la construction d’un barrage titanesque de 200 mètres de haut créant un lac artificiel de 80 km à proximité du plus grand complexe de traitement de minerais d’aluminium de l’hémisphère Nord. Les turbines sont situées 40 kilomètres en aval, d’où le creusement d’un tunnel de longueur équivalente qui va pratiquement du bord des glaciers aux plaines côtières.

Ce projet représente peut-être une montagne de dettes et a sans doute obstrué la plus spectaculaire gorge glaciaire du centre du pays mais, au final, il met les habitants de l’île à l’abri du besoin en matière d’approvisionnement électrique pour des décennies.

** Les Américains remboursent depuis 18 ans — et pour encore 12 ans — les 600 milliards de dollars d’ardoise de la faillite des saving & loans, et nous parions que la crise des subprime devrait leur en rajouter autant d’ici la fin de l’année. Pendant ce temps-là, il ne se construit pas une usine, pas un pôle industriel… sauf pour extraire et raffiner des millions de barils de pétrole — qu’ils proviennent du Golfe du Mexique ou de sables bitumineux extraits au Canada — qui partent en fumée, tout comme les stocks de créances titrisées de Merrill Lynch. Celui-ci devrait même annoncer de nouvelles dépréciations massives de CDO d’ici la mi-avril.

La Fed n’aura pas d’autre choix que d’abaisser de nouveau son taux directeur à 2,00% ou 1,75% à la fin du mois. La banque centrale d’Angleterre vient de lui ouvrir la voie en réduisant de 25 points son taux directeur pour soutenir le secteur immobilier, confirmant implicitement que la conjoncture se détériore plus rapidement que prévu.

La BCE a sans surprise passé son tour hier en laissant le « repo » inchangé à 4,00%, le niveau de l’inflation étant toujours jugé préoccupant. J.C. Trichet concède cependant que les incertitudes liées à la croissance augmentent.

** Compte tenu de tout ce qui précède, vous conviendrez qu’une vague d’euphorie était à peu près le seul scénario boursier que les opérateurs pouvaient raisonnablement exclure : c’est donc celui-là même qu’il fallait privilégier lors de la réouverture des marchés américains une heure après l’annonce de l’aggravation du déficit commercial américain de 58,2 milliards de dollars jusque vers 62,3 milliards de dollars… facture pétrolière oblige.

Dès les premières minutes de cotations, Wall Street a donc pris le contre-pied  d’une vague d’allègements de précaution et a entamé un redressement qui s’amplifiait à la mi-séance.

Les « grosses mains » — vous pouvez persister à les croire invisibles — semblent vouloir signifier que trois séances de repli consécutif, cela suffit. Le Dow Jones a donc rebondi de 0,9%, le S&P 500 de 0,85%, et le Nasdaq de pas moins de 1,7%.

Il n’en fallait pas davantage pour provoquer une vigoureuse remontée du CAC 40 qui est repassé en 90 minutes de 4 780 à 4 860 points, sauvegardant in extremis le palier de soutien des 4 850 points.

Le CAC 40 avait enfoncé les 4 800 points en début d’après-midi alors que le dollar inscrivait un nouveau plancher historique à 1,5913/euro. Mais ce troisième test des 1,59 depuis le 17 mars dernier a déclenché une vague de prises de bénéfices sur l’euro qui rechutait en l’espace de quelques heures jusque sur 1,5750. Cela vous aura peut-être permis, si vous avez eu le réflexe d’accéder aux recommandations du Téléphone rouge, d’acheter du papier dans des conditions plus favorables que nous l’avions indiqué depuis mardi dernier. Nous n’avons pas l’intention de nous montrez gourmands : nous aurions trop peur de nous faire dévorer !

Philippe Béchade,
Paris

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